Des Organismes Génétiquement Modifiés et du citoyen
Notes sur la démence technologique moderne
et la mystification citoyenne
Le lecteur trouvera ici quelques notes qui tentent de dévoiler de manière non exhaustive les tendances idéales actuellement à l’œuvre dans le domaine des biotechnologies. Nous n'envisageons ici ces dernières que sous l'aspect limité de l'introduction des OGM dans l'agriculture. D'autres secteurs du complexe génético-industriel, comme le secteur médical qui sert de justification idéologique à tous les autres, mériteraient une étude qui permettrait de mettre en évidence la véritable folie qui s'est emparée du milieu techno-scientifique: "Des équipes de scientifiques annoncent, non sans fierté, avoir réussi à créer sur la paillasse de leur laboratoire des chimères embryonnaires "homme-vache" capables de vivre plusieurs jours." (Le Monde, 15 décembre 1998) C'est désormais dans les laboratoires de la recherche mercenaire qu'on prend pour seul principe d'action : " Rien n'est vrai; tout est permis. "
Peut-être s'étonnera-t-on du rapprochement opéré dans ce texte entre le problème des OGM et celui de la citoyenneté moderne. Pourtant il ne s'agit pas ici d'un rapprochement arbitraire ou hasardeux : énoncée au début de la note 11, l'existence d'un lien étroit entre les deux questions s'est vue pleinement illustrée en juin dernier par l'organisation, dans une annexe de l'Assemblée nationale, d'une " Conférence de citoyens ", chargée de débattre autour du problème des OGM. Précisons que si nous ne peignons pas en rose le citoyen, c'est parce qu'il n'intervient ici qu'en tant que personnification d'un rôle social et politique en vogue depuis plusieurs années.
Le lecteur trouvera également le témoignage de deux actions soulignant le lien entre les OGM et les nouvelles formes de l'idéologie citoyenne. Enfin, rappelons que c'est après le sabotage de stocks de maïs transgénique dans une usine de Novartis, le 8 janvier 1998 à Nérac, par des membres de la Confédération paysanne et le procès qui s'ensuivit, que l'existence des OGM est devenue une question posée à tous. Pour commencer à y répondre nous pensons qu'aucune réunion publique ou privée organisée par les professionnels de la manipulation ne devrait se dérouler impunément.
Quelques ennemis du meilleur des mondes transgéniques.
Paris, janvier 1999.
c/o Association Contre le Nucléaire et son Monde
ACNM, BP 178 75967 Paris Cedex 20
Notes sur la démence technologique moderne
et la mystification citoyenne
1
Il est dans l'essence du capitalisme de réduire à sa merci - et le plus souvent par la destruction - tout ce qui est bien commun pour le transformer en propriété privée ou en marchandise. Aujourd'hui, par les biotechnologies, il s'approprie la production du vivant. Par exemple, le 12 mai 1998 le Parlement européen a autorisé le brevetage des plantes, des animaux, et des parties du corps humain.
2
La mise en coupe réglée de la nature par le capitalisme a débuté dès le XVIe siècle en Angleterre avec le mouvement des enclosures, premier acte d'appropriation d'espaces publics et collectifs (communaux). Dès la fin du XIXe siècle, parallèlement au développement de la science et de l'industrie, le processus de privatisation du vivant s'était amorcé avec la création des semences hybrides qui perdent leurs propriétés et voient leurs rendements chuter à partir de la seconde génération. Aujourd'hui, le brevetage du vivant, la fabrication et la mise en circulation des OGM sont une forme de cette logique marchande et industrielle qui veut réduire "nos communaux les plus intimes" (Rifkin, Le Siècle biotech), les gènes, à une matière première transformée en marchandise : l'irruption des OGM dans le monde représente un saut qualitatif dans la mise en place d'un mode de production de l'alimentation complètement artificiel et remodelable à volonté selon les besoins de l'industrie. La nature serait donc indéfiniment manipulable sans qu’en retour la vie humaine en soit affectée…
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Alors qu'en occident l'immense majorité des paysans a disparu pour laisser la place à des employés d’un secteur agro-alimentaire détenu par quelques multinationales, la mise au pas de l'agriculture s'achève. Aux États-Unis, grâce aux enquêtes menées par les flics privés de l'agence Pinkerton, la firme agro-chimique américaine Monsanto poursuit en justice les agriculteurs qui se servent du grain récolté comme semence pour l'année suivante et obtient que soit détruite leur récolte. Les semences, avant d'être des semences, sont des marchandises dépendant de brevets et vendues sous forme de kit semence-désherbant-pesticide. Cette soumission de l'agriculture aux choix des multinationales parachève la destruction radicale des savoir-faire et des possibilités d'autonomie locale.
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L'étape suivante de l'asservissement de l'agriculture est la stérilisation des semences : "En mars 1998, [la] génétique vient de marquer un nouveau point avec le brevet Terminator, accordé au département américain de l'agriculture et à une firme privée, la Delta and Pine Land Co. La technique consiste à introduire un transgène tueur qui empêche le développement du germe du grain récolté : la plante se développe dans les conditions habituelles, produit une récolte normale, mais elle produit un grain biologiquement stérile. En mai 1998, la multinationale Monsanto rachète la Delta and Pine Land Co. et le brevet Terminator - déposé ou en cours de dépôt dans 87 pays -, dont elle négocie en ce moment le droit exclusif avec le département de l'agriculture à Washington. (...) Curieuses "sciences de la vie" qui s'acharnent contre cette propriété merveilleuse du vivant de se reproduire et de se multiplier dans le champ de l'agriculteur, afin que le capital se reproduise et se multiplie dans le bilan de l'investisseur. " (J. P. Berlan, R. C. Lewontin, Le Monde diplomatique, décembre 1998.)
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Contrairement à ses débuts où elle devait prouver sa légitimité face à l'hégémonie de la religion en expliquant un monde connaissable par l'expérience, la science produit aujourd'hui des découvertes dont elle ne peut pas envisager toutes les conséquences. Elle exige maintenant de ses détracteurs qu'ils démontrent scientifiquement les raisons de leurs doutes, quand bien même le sens commun appréhende aisément les risques.
Après les essais de bombes atomiques consécutifs à la Deuxième Guerre mondiale et le développement " civil" de l'énergie nucléaire, la production massive d'OGM est un nouvel "essai " grandeur nature d'une production non seulement émancipée des caractéristiques du vivant, mais aussi radicalement hostile à celui-ci : elle marque la volonté de créer un point de non-retour. L'ancien président de la commission de Génie biomoléculaire, Axel Khan, peut ainsi déclarer tranquillement : " La seule possibilité est d'aller de l'avant. Il faut procéder au cas par cas, mais les tests ne suffisent pas. Il faut avoir des cultures transgéniques sur des milliers d'hectares. [...] Un moratoire sur les cultures transgéniques [...] reviendrait à "vouloir ne pas savoir" les problèmes qui pourraient apparaître à grande échelle. C'est pourquoi la commission de Génie biomoléculaire est contre. " (Agra Press hebdo, 21/10/96, p. 32.) Signalons que ce nouveau Docteur Folamour est aujourd'hui directeur adjoint des sciences de la vie chez Rhône-Poulenc, devenue Aventis depuis sa fusion avec Hoechst.
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À l'opposé de ce qu'affirme la propagande des firmes Monsanto, Novartis et Rhône-Poulenc (campagne publicitaire parue en juin 1998), l'introduction des OGM va aggraver la misère et les problèmes alimentaires dans les pays dits en voie de développement. Les OGM, d'abord destinés aux pays solvables, permettront ainsi de produire des ersatz de plantes cultivées aujourd`hui pour l'exportation par les pays pauvres : après avoir substitué aux cultures vivrières des cultures destinées à l'exportation, les Occidentaux commencent à supprimer ces dernières. Par exemple, on parvient maintenant à faire produire l'huile laurique - normalement extraite des noix de coco ou des palmiers - par du colza transgénique. Si cette substitution a pour effet d'abaisser les coûts, le marché de l'huile laurique échappera à l'Asie et à l'Afrique. Ces multinationales ne consacrent aucun investissement à d'autres types de recherche puisqu'il n'y a pas de profit à attendre de la résolution des problèmes du "Tiers-Monde". Cette propagande sur les OGM masque le fait fondamental que l'organisation de l'agriculture des pays dits sous-développés relève d'abord de rapports de forces d'ordre politique et économique : latifundisme, envahissement par des produits à bon marché venant des pays " développés ", guerres, en un mot la domination du Sud par le Nord.
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L'ensemble du milieu scientifique connaît très bien la nature des risques liés à la diffusion des OGM, mais se refuse à en tirer la moindre conclusion pratique, contrairement aux sociétés d'assurance qui ont renoncé à les couvrir.
Il y a d'abord l'appauvrissement de la biodiversité cultivée du fait de l'accaparement des variétés par des firmes de plus en plus concentrées. Cette stratégie de monopole limite déjà le choix des paysans auxquels il est interdit de semer les grains provenant. de leur propre récolte, que ceux-ci soient issus de semences transgéniques ou traditionnelles. Par ailleurs un paysan voisin d'un champ transgénique verra ses cultures le devenir par l'interpollinisation. Enfin, s'ajoute, au détriment de la biodiversité " naturelle " et des équilibres des milieux, la pollution génétique liée aux flux de gènes normalement échangés entre plantes sélectionnées, plantes sauvages et adventices de la même famille. Cette migration génétique conférera à ces dernières des propriétés et résistances indésirables pouvant affecter en plus la rhizosphère des sols, et pas seulement des sols cultivés.
Citons également d'autres risques actuellement recensés : création de nouvelles variétés chimériques dont on ignore tout (le tabac avec un gène de la luciole ou la tomate au gène de poisson), probable apparition de phénomènes de résistances aux pesticides chez les insectes et les plantes qui deviendront des " super-prédateurs " et des " super-plantes " nuisibles, quasi indestructibles, risque d'augmentation de certains cancers chez l'homme (par exemple, le cancer des testicules, voir The Lancet, 15/4/1995), et phénomènes d'allergies. Comme dans le cas de la production du plutonium et des transuraniens par l'industrie nucléaire, on relâche dans la nature des éléments fabriqués et empoisonnés qui n'y existaient pas.
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Mais tout cela n'a aucune importance pour les industriels qui ont rejeté, dans l'optique bornée d'un profit immédiat, toute vision à long terme. Comme le proclame crûment le directeur de la communication de Monsanto : " Nous n'avons pas à garantir la sécurité des produits alimentaires génétiquement modifiés. Notre intérêt est d'en vendre le plus possible. C'est à la Food and Drug Administration de veiller à leur sécurité. " (Berlan et Lewontin, ibid.) On savoure mieux tout le sel de cette déclaration si l'on sait que Monsanto occupe des fonctions de décision dans cette instance étatique de contrôle... Comme pour le nucléaire, une fois de plus, le contrôleur est le contrôlé.
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De plus en plus visiblement totalitaire, l'économie mondiale trouve dans le développement des OGM de nouveaux moyens conformes à son expansion délirante. Si la concurrence fait actuellement rage entre firmes agro-chimiques (concentrations, restructurations avec le cortège habituel de licenciements), on notera que ces farouches adversaires en affaires savent se transformer en " concurrents-alliés " chaque fois que l'inquiétude affleure dans le public, notamment dans des campagnes publicitaires.
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" La technologie est avant tout le discours du mensonge [...] le mensonge se situe dans la totalité du discours technologique qui affirme haut et fort les "valeurs" par le moyen même qui nie ces valeurs. [...] Le grand dessein, c'est que, avant tout, il n'y ait pas de conflits. " (Jacques Ellul, Le Bluff technologique.)
L'essence du totalitarisme technologique consiste à substituer aux choix d'ordre politique des solutions techniques. Celles-ci engendrent de nouveaux problèmes, que les multinationales et les bureaucrates prétendent gérer de manière "rationnelle ", c'est-à-dire toujours de plus en plus techniquement. Cette manière d'envisager l'ensemble des aspects de la vie humaine gèle toute imagination en faisant croire que plus rien d'autre n'est possible que des solutions techniques, des palliatifs, des prothèses.
C'est le plus souvent autour de décisions délicates qu'elle doit impérieusement imposer, que la logique capitaliste et bureaucratique modernise son mode de gestion politique. Tout comme l'apparition des OGM est le fruit de la manipulation génétique, la gestion politique implique la manipulation des individus. II suffit d'insérer le gène de la responsabilité chez les individus dépossédés et disposés à le recevoir, pour créer l'illusion d'une participation citoyenne dépourvue de toute dimension décisionnelle. Impliquer moralement le citoyen permet aux pouvoirs de diluer leurs responsabilités.
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Le citoyen incarne une des contradictions centrales du capitalisme : de même que, dans le champ de la production, ce dernier a besoin de réaliser simultanément l'intégration et l'exclusion des hommes en tant que salariés, il veille, dans l'espace politique, à réaliser simultanément la participation et l'éviction des hommes en tant que citoyens. La gestion politique actuelle se trouve en effet confrontée à l'obligation d'avoir à assumer un déchirement insurmontable : tout en désirant éloigner le plus possible les individus de la direction de leurs affaires, elle se plaint en même temps de l'apathie généralisée et de la banalisation des comportements " incivils " que cette situation génère inéluctablement. La fonction spectaculaire du citoyen consiste précisément à promettre la résolution de cette contradiction.
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Le citoyen moderne apparaît aujourd'hui comme la figure la plus mystifiante de l'impuissance politique régnante.
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Le citoyen vote, certain de faire un choix politique. On est arrivé à le persuader que dans un État de droit, tout est améliorable avec un peu de bonne volonté citoyenne. Il en vient à croire qu'il est pris en considération dans des décisions qu'il n'a pourtant jamais prises. Certains jours, il arrive même qu'on le fasse manifester.
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Le citoyen se reconnaît essentiellement par le degré d'adhésion qu'il porte à l'endroit des valeurs et des représentations communes de la classe moyenne devenues partout dominantes. II est indifféremment étudiant satisfait, pédagogue perplexe, directeur commercial inquiet, employé du secteur culturel, lecteur de Télérama et autres bourdieuseries, ouvrier raisonnable, parfois chômeur... En ce sens, son incapacité politique n'est qu'un aspect du mouvement plus vaste de dépossession qu'il rencotrre dans l'ensemble de ses activités quotidiennes.
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À l'instar d'un produit de substitution miracle, le discours citoyen surgit au moment même où les formes traditionnelles de participation politique et de militantisme syndical s'écroulent définitivement. L'accélération de l'effondrement de la vie sociale et politique depuis les dix dernières années s'explique principalement par la fin de la fausse inimitié Est-Ouest, la disparition de la classe ouvrière, et la victoire connexe de la logique marchande. Avec l'aide du milieu associatif de gauche, instrumentalisé de façon paternaliste par les politiciens pourtant discrédités, le citoyen prospère dans un processus de mutation de la politique où toute opposition sérieuse s'efface, où chaque parti ne couvre plus que la gestion au jour le jour de changements décidés ailleurs. Entité choisie pour combler le vide politique et social, la figure du citoyen est l'abstraction qui s'élève sur des ruines.
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Bien qu'il se plaise à s'imaginer engagé, le citoyen est par excellence l'homme de l'irrésolution. Constamment perdu lorsqu'il est question d'asseoir son choix en quelque matière d'importance que ce soit, il est l'homme des inquiétudes jamais dépassées. Uniquement produit pour valider des questionnements et des choix préétablis, il demeure le plus souvent dans l'ignorance quasi complète des mécanismes actuels de manipulation politique, d'où sa propension humanitariste. Ne soulevant jamais la question du pouvoir, il est celui qui s'agite aux quatre coins d'une agora virtuelle qu'il souhaiterait sans heurts ni conflits. Le citoyen est bien ce " candide " tel que le désigne avec la plus grande satisfaction le député Le Déaut, ex-président de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, et organisateur de la "Conférence des citoyens " sur les OGM en juin 1998.
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Parce qu'il ne peut jamais rien décider par lui-même, tout pour le citoyen devient simple objet de connaissances à poursuivre indéfiniment. Ici se trouve la raison pour laquelle il n'acceptera jamais que des " débats " dénués de toute portée pratique. Le " débat " constitue en effet le cadre privilégié de l'épanchement citoyen : dans le contentement de son insatisfaction soumise, il écoute religieusement la parole rassurante des experts lui révéler l'incontournable " objectivité " du savoir doctoral, demeure sage comme l'image qu'on lui montre de lui-même, et plus il progresse dans l'acquisition illusoire de ce savoir, plus il pense le moment enfin venu d'affirmer une décision confiante et pleine. C'est cependant à l'instant précis où son assurance semble la plus ferme que, rattrapé par son irrésolution maladive, il s'écroule dépité et malheureux dans les caniveaux de son incertitude spécifique. Parce qu'il ne veut jamais conclure. Son état d'hébétude se manifeste alors par la confusion et l'absence d'intérêt des questions qu'il adresse gracieusement à ses tristes bonimenteurs. Et lorsque dans un débat à la Cité de la Villette, on lui annonce que le développement des OGM est en dernier ressort indispensable si l'Europe ne veut pas se laisser distancer économiquement par les États-Unis, il reste apathique face à ce qui, visiblement, n'est qu'un diktat. Le citoyen est celui à qui on dit " Il faut", et qui finit par accepter. Parce qu'il a renoncé à tout usage de sa volonté et de son discernement, le citoyen, en même temps que ses maîtres sont dans la disposition de tout entreprendre, se voit donc réduit logiquement à la nécessité de tout tolérer.
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À l'aube du XXIe siècle. avec Internet et la Love Parade, le téléphone portable et des centaines de chaînes sur le câble, le spectateur et l'internaute, en fait, l'homme moderne est devenu lui extrémiste du consensus : pour entendre uniquement ce qu'il a envie d'écouter et qui le flatte, il lui suffit de zapper car partout il trouvera une variété illimitée de discours couvrant les mêmes mensonges, partout la même propagande pour couvrir d'innombrables trafics d'influence. De sa participation à ce jeu avec le pouvoir, le citoyen retire la satisfaction de contribuer à donner une forme humaine à la puissance dont il est le jouet et qui ravage également le monde et les hommes.
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Face à un monde qui se précipite de plus en plus résolument vers un chaos généralisé, et dans lequel la définition de l'homme présentée par l'idéologie biogénéticienne se réduit misérablement à la seule expression de son code ADN, la citoyenneté est une de ces pilules qu'on avale pour masquer les effets attendus d'une maladie incurable. En fait, la liquidation de l'impuissance politique dans laquelle chacun est tenu demeure liée à celle, beaucoup plus vaste, du système institutionnalisé par l'État et la logique marchande depuis deux siècles. Elle aura une chance de débuter quand les individus, rejetant la passivité organisée et reconnaissant leurs forces individuelles comme forces sociales, réinventeront l'espace public où pourront se tenir des débats exécutoires concernant tous les aspects de l'existence.
Dans ce cadre, à l'opposé d'une fantasmatique "fin de l'Histoire", les possibilités offertes aux idées et aux principes de se combattre visiblement, directement, toujours dans la perspective d'appuyer des choix authentiquement décisionnels, constitueront les bases de l'expression d'une démocratie entière et universelle, par laquelle l'ensemble des hommes pourront enfin créer leur propre histoire.
À propos de la décision du Conseil d'État du 11 décembre 1998
Le 11 décembre dernier, le Conseil d'État, saisi par Écoropa, Greenpeace, Les Amis de la Terre et la Confédération paysanne, déclarait qu'il ne pouvait se prononcer sur le fond de l'autorisation de mise en culture du maïs transgénique Novartis, jusqu'à ce que la Cour de justice des Communauté européennes statue sur le fait de savoir si une telle décision entre dans son champ de compétence juridique. Le problème n'est donc que repoussé. Par ailleurs certains juristes font remarquer que le Conseil d'État, saisi par un tiers ou auto-saisi peut, s'il le souhaite, statuer de nouveau sans attendre sur le sursis à exécution.
Ce dessaisissement volontaire du Conseil d'État met l'opposition au défi de s'organiser, elle aussi, à une échelle élargie à l'Europe.
" Conférence de citoyens "
Nous avons distribué le tract ci-contre le 22 juin 1998, rue de l'Université, à l'intérieur de l'annexe de l'Assemblée nationale, où avait lieu une conférence de presse rendant compte des travaux de la, "Conférence de citoyens " sur les OGM. Après notre expulsion des locaux par les gardes républicains sur ces mots : "C'est un lieu public, vous n'avez rien à y faire! " la conclusion du pseudo-événement a pu se dérouler à l'intérieur du bâtiment, derrière les grilles précipitamment mises en place à chaque entrée.
Dans une allusion oblique à cette intervention, Le Monde du 24 juin concluait ainsi son éditorial: " Les blasés en déduiront que l'exercice ne servait à rien, si ce n'est à suppléer par la démagogie à la fuite décisionnaire des politiques. Nous préférons saluer une démarche qui aurait été bienvenue avant le choix énergétique en faveur du nucléaire et qui permet d'associer les citoyens aux choix de société. " Les nucléaristes du Monde qui, peu de temps après, allaient organiser un show citoyen à La Villette célébraient avec satisfaction l'arrivée de la démocratie virtuelle.
Dans le document final distribué aux journalistes, le " panel de citoyens " préconisait : " L'interdiction des gènes marqueurs de résistance aux antibiotiques comme outils de sélection lors de la phase de construction des plantes transgéniques. " Dans son propre rapport, Jean-Yves Le Déaut, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, concepteur de cette mascarade démocratique, recommandait l'autorisation des maïs transgéniques contenant ces gènes-là.
Le 30 juillet 1998, le gouvernement autorisait donc la mise sur le marché de deux nouveaux maïs transgéniques contenant ce gène résistant aux antibiotiques.
DE LA DÉMOCRATIE GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉE
Ça sent le cancer rue de l'Université...
Voici donc que va se prononcer la <conférence dite de citoyens ou de consensus " sur les Organismes Génétiquernent Modifiés (OGM). Ces différentes appellations disent bien ce que la chambre d'enregistrement des volontés de l'Économie et de l'État, l'Assemblée nationale, attend du citoyen moderne mis devant tant de faits accomplis et de décisions arbitraires prises au gré des aléas du lobbying, et dont les fanatiques de l'aliénation attendent qu'il devienne un extrémiste du consensus, c'est-à-dire qu'il n'ait d'opinion ferme et précise sur rien d'essentiel et n'en tire par conséquent aucune conclusion sur quoi que ce soit qui puisse l'engager. Conférence faite, tout doit continuer.
L'impuissance fondamentale qui se manifeste ici ne tient pas à la timidité des guest-stars citoyennes face aux experts. La volonté de diluer la responsabilité qui s'affiche désormais ouvertement au sommet de la représentation est appelée à se généraliser chez ceux qui veulent bien du pouvoir mais plus de ses inconvénients. On connaît l'adage : "responsable mais pas coupable." En mouillant tout le monde dans les " décisions " par ces "débats", on substitue à la technique du fusible celle du délestage. C'est en effet une remarquable innovation dans le fonctionnement de la représentation parlementaire que cette conférence qui présuppose, en fin de compte, sur des "questions de société", que les citoyens n'auraient plus confiance en leurs élus et qu'une complicité pourrait être à nouveau synthétisée par le biais d'un talk-show télévisé et qu'ainsi on partagera avec eux la "responsabilité" sinon la culpabilité.
Quand des spécialistes dans d'autres manipulations – à moins que ce ne soient les mêmes -, manipulations génétique en particulier, manipulation du vivant en général, nous promettent une alimentation plus saine, plus équilibrée, etc., nous comprenons que le progrès qu'ils veulent si généreusement nous faire partager n'a lieu d'être que parce que l'industrie chimique des pesticides et l'industrie agro-alimentaire de la néo-bouffe ont jusqu'ici traité tout cela par le mépris, en prétendant nous libérer de tout un tas de contraintes archaïques. Maintenant que ces contraintes ont été modernisées c'est-à-dire intégrées à la production industrielle (on appelle ça la qualité), les produits qui en résultent nous sont présentés comme un formidable progrès technique dont on ne saurait se passer. Quelles nouvelles régressions humaines et sociales les OGM vont-ils maintenant engendrer ?
Les plantes transgéniques sont en réalité un moyen pour de grands groupes industriels de prendre le contrôle de l'ensemble de la production agricole, par le biais des droits de propriété qu'il acquièrent sur la semence : " Ce qui se joue avec cette technologie, c'est notre transformation en simples ouvriers sous contrat, sans maîtrise de notre production ni de notre avenir. " (Un agriculteur américain cité par Le Monde, 12 Juin 1998.) Ces plantes sont également rendues plus résistantes aux agressions du milieu naturel (virus, ravageurs, etc.). Qui s'est déjà promené dans les campagnes, fruits du travail millénaire des paysans, a pu apprécier à quel point elles sont hostiles à l'industrialisation. Il a fallu en détruire les haies, en combler les chemins, en exterminer les espèces inutiles, tels les paysans, pour faire place nette aux machines et à la culture intensive; bref, préparer un terrain favorable aux épidémies, aux surpopulations de ravageurs et autres dérèglements auxquels seuls peuvent remédier d'autres intrants toujours plus toxiques.
Pour stériliser définitivement ce milieu encore trop rétif, quoi de mieux que d'y exacerber la compétition entre les espèces survivantes en les engageant dans une course au développement des résistances et une escalade dans l'agressivité ? Certains scientifiques soutiennent que les êtres vivants seraient soumis à la loi d'airain de la lutte pour la vie (struggle for life selon les darwinistes). Pour l'homo oeconomicus et ses automates, il semble maintenant évident que la guerre de chacun contre tous par tous les moyens possibles, c'est-à-dire la compétition économique qui fait rage sur toute la planète est la lutte contre la vie.
Ce qui est en jeu avec les OGM et avec toutes ces manipulations du vivant, c'est la prise en charge par l'industrie de la totalité des conditions de la vie humaine. Lorsque les hommes seront entièrement dépendants pour leur existence de la production industrielle, l'existence de la marchandise et la soumission aux impératifs de l'économie seront une question de vie ou de mort pour tout le monde et l'humanité un vaste et fructueux marché captif. Tout, dans la stratégie des grands groupes comme Monsanto, Novartis, Hoechst, etc., tend vers ce résultat, et il suffit de parcourir leurs plaquettes de propagande pour savoir dans quelle sorte de monde, sous leur bienveillante tutelle, ces fanatiques de l'aliénation veulent nous faire vivre.
Cette dépossession radicale de la nature vivante (car pour l'homme, la racine, c'est la plante...) est identiquement l'aliénation de notre liberté et de notre autonomie à des puissances que plus personne ne maîtrise. Cela constitue proprement une régression jusqu'à un état social proche de celui de l'âge des cavernes, où les hommes étaient dominés et fascinés par les puissances incontrôlables de la Nature. Ils le sont maintenant par la Technologie, qui est bien moins généreuse puisque partout elle substitue à la société du genre humain ses automates, puisque partout elle rend l'homme obsolète et la nature inutile. Dans tous les secteurs de la société moderne, cet archaïsme techniquement suréquipé, apparaissent des barbares, des hommes " aussi éloignés de la nature que de la raison ".
Nous sommes conscients que la dépendance de la grande masse des gens à la société industrielle ne fait qu'augmenter, et aussi que tous les problèmes sociaux n'ont d'autre source que la désagrégation des rapports humains que cela engendre.
On nous dira que nous ne saurions nous aussi nous passer de cette société industrielle et que nous n'avons rien à y opposer que des solutions individuelles qui ne sauraient être qu'un autre acquiescement. Pourtant, nous recherchons activement à nous dégager autant que faire se peut de son emprise. D'abord en dénonçant, comme nous l'avions fait au siège de Novartis, à Rueil-Malmaison, le 18 février, et à l'occasion de cette conférence, son système d'illusion qui gèle toute imagination en faisant croire que plus rien d'autre n'est possible que des solutions techniques, des palliatifs et des prothèses, aux problèmes de la vie humaine.
Pour nous, en effet, la vie est ailleurs.
Paris, le 22 juin 1998
Association Contre la Technologie et son Monde c/o ACNM BP 178 75 967 Paris cedex 20
Un "débat" citoyen
Le 24 novembre 1998, quelques semaines avant la décision attendue du Conseil d'État concernant l'autorisation de mise en culture de trois variétés de maïs transgénique Novartis, le journal Le Monde, partenaire de la Cité des sciences et de l'industrie, organisait à Paris un " grand débat " : " L'Opinion publique face aux plantes transgéniques. " Deux tables rondes étaient prévues et le député Le Déaut devait conclure la soirée.
Après la projection d'un reportage style radio-trottoir qui voulait sans doute montrer l'insondable néant du spectateur moderne surinformé mais ignorant, puis un petit cours sur la transgenèse présenté par Joël de Rosnay, la première table ronde pouvait débuter. Alors que le philosophe Dominique Bourg commençait à ânonner ses âneries, l'un d'entre nous intervint vigoureusement en lui coupant la parole et conclut son intervention ainsi : " Il ne peut y avoir de débat entre ceux qui ont déjà décidé de tout, entre eux, selon leurs intérêts propres et avec la puissance sociale que l'on sait, et nous, à qui rien n'est laissé que l'ignoble rôle de la claque, celui d'applaudir à votre talent de cyniques manipulateurs. " A ces mots, une pluie d'oeufs s'abattit sur les conférenciers. Ces messieurs-dames à qui nous avons fait prendre la fuite dans les coulisses étaient : Catherine Vincent, journaliste au Monde; Dominique Bourg philosophe de l'" inquiétude citoyenne " ; Suzanne de Cheveigné qui sonde les " hésitations " du public; Pierre Pagesse, PDG de Limagrain (3e semencier mondial) ; Étienne Magnien, biotechnologiste à la Commission européenne, et enfin Michel Aigle, président du conseil scientifique de l'INRA, qui préféra quitter les lieux pour ne plus revenir.
Ayant interrompu le show durant une vingtaine de minutes nous nous sommes adressés au public, pour lui exposer les raisons de notre action. Une partie minoritaire de la salle (dans laquelle figuraient des cadres de 'Limagrain) demanda notre départ, certains nous traitant de "fascistes", de "fanatiques ", du - sfaaires , etc_., l'autrc sembla ç wusid<erer avec sympathie notre intervention mais sans aller jusqu'à se joindre à nous. Le tract ci-contre avait été distribué dans la salle, avant le début de la réunion.
Un exemple de confusionnisme citoyen
Lettre d'un spectateur à La Villette
M...
rue de la Pompe 75016 Paris 26 novembre 1998
Je suppose que c'est votre groupe qui est responsable de la pagaille qui a eu lieu au début du débat sur les OGM à La Villette ; si je me trompe, veuillez mettre cette lettre au panier.
Vous voulez faire entendre votre opinion - d'accord - mais ce n'est pas en criant plus fort que les autres que vous avez raison.
Peut-être estimez-vous répondre à une forme de violence (multinationales, politiques...) par une autre forme de violence. Allez plutôt faire sauter un laboratoire de Monsanto ou faire brûler un entrepôt de semences transgéniques.,Joignez l'utile à l'agréable. Jeter des oeufs, c'est facile et lâche.
Dernière chose: comment espérez-vous mettre les gens de votre côté quand un de vos adeptes, de façon méprisante et condescendante, " autorise " le public à écouter le débat. J'estime être capable de me faire par moi-même une opinion sur la valeur des interventions dans un tel débat.
Que l'on nie, dénie le droit d'écouter, comme vous avez essayé de le faire, relève, à mon avis, d'une attitude un tantinet extrémiste.
Salutations.
Ici,
le citoyen
privé de tout
se voit privé
de ses experts…
Texte des papillons jetés dans la salle ou moment de notre intervention.
Rendez-vous ! Citoyens !
Quand les manipulateurs du vivant veulent assurer leurs tripatouillages marchands, ils étudient attentivement avec leurs collègues les manipulateurs de l'opinion les réactions du cobaye sur lequel ils expérimentent en commun : le citoyen, cette chose publique qui a remplacé l'homme. Quelques semaines avant la décision " sur le fond" du Conseil d'État concernant l'autorisation de mise en culture de trois variétés de maïs transgénique Novartis, l'équipe caudataire du Monde en partenariat avec la Cathédrale des Sciences et de l'Industrie et avec la bénédiction de Jean-Yves Le Déaut, député grand coordinateur de mascarades citoyennes et démocratiques, nous pondent un débat sur " l'opinion publique face aux Plantes transgéniques ". Et cela, faut-il s'en étonner, dans ce temple de l'idolâtrie technophile moderne (y avait-il endroit plus approprié, lorsqu'on est sommé d'applaudir à la disparition programmée de l'agriculture et de la paysannerie ?).
Ils sont venus, ils sont tous là : universitaires de tout poil, sondeurs, scientifiques… Il y a même un PDG - celui de Limagrain, troisième semencier mondial associé à Rhône-Poulenc pour le développement des technologies génétiques - et in extremis, un écologiste de Greenpeace, la multinationale de l'environnement, qui prospèrent grâce à l'apathie de citoyens muettement hostiles au destin de cobayes qu'on leur réserve.
Pour ces messieurs, " l' opinion publique " n'est plus que l'émanation d'un ensemble d'individus atomisés, n'ayant d'autre capacité pour se former une opinion que le recours aux médias. Des statistiques à variations corrigées, des sondages aux questions inessentielles; bref, des chiffres et des clichés à manipuler selon des procédés cabalistiques. La seule discussion qu'ils peuvent avoir entre eux sur les OGM concerne bien évidemment " les facteurs de l'acceptabilité sociale de ces nouvelles technologies végétales ".
Il ne s'agit donc pas de parler des " risques et des bénéfices liés aux OGM" en tant que tels, et certainement pas du fait que tous les groupes d'assurances aux États-Unis comme en Europe refusent de couvrir les risques écologiques et sanitaires inhérents à ces organismes. Comme le proclame la multinationale agro-chimique Monsanto : " Les meilleurs produits s'appellent bénéfices. " Pour de tels débats, il existe des réunions plus discrètes, parce que privées, tel ce séminaire organisé les 23 et 24 septembre 1998 à Paris
avec la participation du ministère de l'Agriculture, de l'INRA, de Novartis, Monsanto, des grands distributeurs, des cabinets de juristes, etc. " Appliquez les biotechnologies de demain ! " était le thème discuté. Parmi les points abordés figuraient ceux-ci, en effet capitaux : " Rompre le tabou de la culture transgénique, éviter les mises en cause de [leur] responsabilité juridique, préparer des plans de retrait si nécessaire... "
" Comment le citoyen peut-il être associé à la décision publique ?" Voilà qui veut bien dire que cette " décision publique " (décision des pouvoirs publics, de l'État) est prise sans lui et que les choix sont déjà faits lorsqu'il est question de l'associer en tant que potiche, figurant sur la photo d'arrivée dans la course à la soumission à ce qui existe, pour donner une légitimité démocratique aux diktats du totalitarisme technologique. II est donc urgent de le convoquer pour le presser de s'exprimer, de collaborer à ce petit brain-storming. Elle permettra aux spécialistes en manipulations diverses, journalistes, parlementaires, contestataires professionnels et scientifiques, de trouver les thèmes et de renouveler leur stock d'idée sur la manière de présenter à l'opinion les nouvelles autorisations de semences transgéniques et autres saloperies.
La technologie a annihilé le politique en imposant ses choix à travers ses produits, les rapports de production et les dépendances qu'ils impliquent. Reste à la société à s'adapter, à charge pour tous ceux qui dépendent de cette puissance de la soumettre : c'est bien là ce à quoi veut participer ce genre de débat truqué...
La messe de ce soir est dans la continuité de la Conférence de citoyens qui en juin 1998 avait inauguré cette pratique de la démocratie génétiquement modifiée (DGM). Pendant trois jours, Jean-Yves Le Déaut avait alors réuni un panel de citoyens, baptisés, non sans humour " candides ", dans une annexe de l'Assemblée nationale. Le but de tout cela est de convaincre le péquin moyen qu'il est un citoyen bien de son temps et lui donner l'illusion de participer à des décisions qu'il n'a pas prises.
Plus personne, semble-t-il, ne se pose la question de savoir à quoi tout cela sert. Quant à nous, nous ne resterons pas les yeux fermés devant l'étendue du désastre.
Paris, le 24 novembre 1998,
Quelques ennemis du meilleur des mondes transgéniques
c/o ACNM, BP 178 75967 Paris Cedex 20