INTERVIEW DE RENÉ RIESEL
lundi 2 février 2004
Interview de René Riesel, jugé avec d’autres militants-activistes pour une affaire de destruction de plants transgéniques, et qui est entré en prison de Mende (48, Lozère) le 1erdécembre 2003.
Question : René Riesel, jugé avec d’autres militants-activistes dans une affaire de destruction de plants OGM. Parmi ces autres personnes se trouvait également le mondialement connu José Bové, dont on connaît les péripéties carcélaires de cet été2003... mais .quelle est votre situation concrète à vous ?
Réponse : On avait pris la même peine, quatorze mois de prison ferme... Bové a clamé toute sorte de fanfaronnades comme quoi si on venait l’arrêter les forces de l’ordre seraient attendues par des militants en armes ; quasi ; qui s’opposeraient de façon non-violente ; évidemment ; qu il ne se rendrait pas à la convocation du juge d’application des peines, etc... ça a dû un petit peu énerver ces messieurs de la justice et le Ministre de l’Intèrieur. Alors du coup, ils se sont payés pour pas cher une petite opération spectaculaire : héliporter José Bové en prison début juillet, en suite de quoi l’intraitable syndicaliste a fait comme d’habitude le contraire de ce qu’il avait annoncé ; c’est-à-dire quatre semaines de prison après, il a demandé à rencontrer le juge d’application des peines et il a été mis en liberté. Ce qui a été fait sous condition qu’il soit embauché par une des nombreuses associations de ce milieu, laquelle l’a embauché pour organiser « Larzac 2003 ». Donc Bové a été sorti de prison pour organiser « Larzac 2003 » et la vente de merguez. Cela a été une opération apparemment très profitable pour le mouvement altermondialiste.
Quand à moi qui avais dit que j’accepterais de rencontrer le juge d’application des peines et que l’ayant rencontré j’accepterais ce qui me paraîtrait acceptable ; j’ai été convoqué par ledit juge de mon département le 9 août, donc en plein tam-tam larzacien, et j’ai décliné toutes les propositions d’aménagement de peine, j’ai seulement demandé la date d’incarcération ; donc je rentre en prison le 1erdécembre pour exécuter la peine qui me reste. C’est-à-dire six mois, dans la mesure où je n’ étais pas incarcéré au moment de la remise de peine automatique du 14juillet ; précisons que ce n’est pas la grâce présidentielle que Bové avait demandée. J’ai eu deux mois de réduction forfaitaire pour chacune de mes deux peines (10 mois moins 4, donc il m’en reste 6 à faire). Vraisemblablement, je demanderai comme n’importe quel prisonnier de droit commun, qu’on me donne .la liberté conditionnelle à mi-peine. Donc ; rentrant en décembre je devrais sortir logiquement début mars.
Q : Le bruit qui courrait donc sur le fait que vous portiez un bracelet électronique était faux... ?
R : C’est une pure calomnie qui a été lancée immédiatement à Paris par les maoïstes et les citoyens, j’imagine que ces gens-là ayant beaucoup d’esprit, comme je les avais sommés de cesser de me calomnier en disant que je demandais la grâce présidentielle comme leur leader ; ce qui dans leur esprit ne devait pas être une calomnie ; ils ont choisi ensuite de me calomnier pour de bon.
Q : La fin du moratoire sur les OGM était sans doute prévisible. Mais dans les faits, le commerce de produits transgéniques est maintenant avalisé par l’Europe. Cela fait-il varier la lutte contre les OGM ; et si oui, en quoi ?
R : De mon point de vue, ce qu’il y avait d’essentiel dans la lutte contre les OGM a été loupé dès le départ. Par manque de sens stratégique et de compréhension de l’enjeu de la plupart des prétendus opposants. De sorte que ce qu’il aurait fallu admettre depuis déjà maintenant trois ans pratiquement, c’est que le moratoire sauterait.
Je parle toujours de deux campagnes anti-OGM. La première s’est terminée avec le sabotage du CIRAD, et une deuxième campagne totalement passée sous silence par les média ; parce qu’elle ne convenait pas ; et qui a été menée par des groupes anti-progressistes ou anti-industriels, qui a consisté en des sabotages assez nombreux. Ceux-ci ont eu pour principal effet ; qui n’est pas du tout négligeable et qui les inscrit effectivement dans la tradition du sabotage ouvrier du temps où il y avait un mouvement révolutionnaire dans la classe ouvrière ; et qu’il y avait une classe ouvrière ; de produire un véritable préjudice économique, pour les firmes et pour les Etats, et de commencer à s’en prendre effectivement à la recherche dite publique. De ce fait, ce qui a été gagné là ne pouvait continuer à être considéré comme une victoire et à être fructueux qu’à condition d’aller toujours plus loin, non pas dans la répétition de sabotages identiques à eux-mêmes, mais en leur donnant chaque fois davantage de sens, comme cela avait été le cas entre le premier sabotage effectif à Nérac en 1998, puis le CIRAD en 1999, jusqu’au premier sabotage de plantes thérapeutiques avec, en 2001 il me semble ; mais je n’en suis pas sûr, l’attaque de maïs à des fins thérapeutiques. A l’époque, celle-ci avait fait pousser des cris d’horreur à tous les chiens de garde du scientisme, à tout un patagas de ministres, de philosophes et de pense-petit. Un autre sabotage dans la même lignée s’est produit récemment, et on a eu droit à un bis. L’amnésie du monde contemporain est telle, qu’apparemment tout le monde a voulu considérer que c’était la première fois que l’on s’en prenait à des plantes thérapeutiques, ce qui est faux.
Par contre, maintenant, la récréation est vraiment terminée, et des réunions interministérielles vont voir comment mettre un terme aux agissements des terroristes. Dans ce contexte, il faut voir que la prochaine abolition du moratoire qui se joue sur fond de l’adoption par le parlement européen d’une réglementation traçabiliste établissant des quantifications, des dosages, des seuils d’acceptabilité est passée comme une lettre à la poste. Il faut voir aussi que ce beau texte a été élaboré par le Groupe Vert du Parlement Européen, notamment par le cabinet de Paul Lanois, un parlementaire européen belge qui se donne pour un des parents grands de la lutte anti-OGM, donc on voit bien ce qu’il en est de ces gens-là, de l’écologisme en général, de leurs alliés citoyennistes au sens le plus large ; c’est-à-dire que leur seul objet continue d’être d’aménager la catastrophe, et de glaner quelques réglementations, quelques étalonnages de l’horreur dans l’acceptation. Il était évident que le moratoire serait aboli. Je trouve encore plus drôle aujourd’hui quelques semaines après l’abolition du moratoire par l’Union Européenne de voir le parangon de toutes les vertus citoyennes, le modèle exotique absolu, le camarade Lula Da Silva, son Parti des Travailleurs, son Brésil altermondialiste et son Porto Alegre autoriser les cultures transgéniques au Brésil, brisant en plus, c’est un effet colatéral assez amusant, les quelques efforts qui avaient été tentés par quelques agrobiologistes de créer une filière non-OGM relevant du commerce dit « équitable ».
Voilà, donc tout cela fait patatrac, dans une certaine mesure on peut constater qu’ils ne tiennent pas leurs troupes en ce moment puisque je pense que la vingtaine de sabotages clandestins qui ont eu lieu cet été ne sont pas seulement imputables à des anti-progressistes ou à des anti-industriels. Je pense même qu’il doit y avoir là dedans quelques citoyennistes un peu énervés, voire même agacés par les dernières aventures de leur idole. Pour parler franc, je considérais pour ma part que la lutte sur ce terrain précis était en échec depuis près de deux ans. A partir du moment où elle a cessé de produire du sens. Y compris ; et là-dessus certains de mes amis, me trouvent un peu dur ; y compris lorsque les sabotages clandestins ont commencé à devenir répétitifs et à ne plus avoir d’intérêt que comme sabotage, ce qui est une logiquedans laquelle on risque de s’en fermer rapidement alors que l’enjeu est de produire du sens. Au risque évidemment, de se faire repérer encore plus vite. Donc pour l’instant. je crois qu’il serait prudent de mettre la pédale douce, les uns et les autres, on nous attend sur ce terrain là. Mieux vaut surgir où on nous attend moins.
Q : Peut-on penser, comme en son temps le débat sur la fécondation in-vitro, que celui sur les OGM n’est finalement que la pointe de 1’iceberg ? Que dans les faits, les scientifiques s’attachent à des recherches bien plus dangereuses ; même si les deux le sont ; comme par exemple la nanotechnologie, la nanobiotechnologie, toute sorte de recherches qui tendent à la disparition de la vie naturelle sur la face de la Terre ?
R : Je répondrai sur deux points. D’une part, en ce qui concerne l’iceberg, c’est tout à fait vrai, mais pas seulement du point de vue des chercheurs, ou de la recherche en général. C’est aussi vrai du citoyennisme, puisque cela a été le banc d’essai d’une fausse opposition de plus, où naturellement on ne s’est attaché qu’à la critique économiciste de l’apparition des applications végétales de la biologie moléculaire. Donc l’écrasement, le dévoiement, la dénaturation des premières tentatives de dévoilement de ce qu’étaient les OGM a fait le lit du citoyennisme avec l’attravestissement en mal-bouffe, en altermondialisme, bref tous les slogans creux qui sont agités par ces gens-là depuis quatre ans maintenant. Pour le reste, pour ce qui est du sens vrai de votre question, j’ai envie de dire que c’est vrai et faux à la fois. S’il y avait une chance que les fantasmes de domination de la nature, humaine aussi, par la biologie moléculaire et par l’hyperfantasme que sont les nanotechnologies avaient une chance de se réaliser tous, il y aurait vraiment lieu d’être inquiet.
Or, de mon point de vue ; et je ne l’émets pas de façon isolée, un certain nombre de chercheurs, d’épistémologues, d’historiens des sciences, voire de biologistes moléculaires commencent à dire de façon assez ouverte ; qu’on est en plein bluff, que cette pseudo-science n’est vraiment même pas une vraie science ; science qu’on peut avoir toute sorte de bonnes raisons de critiquer par ailleurs, mais on est très, très loin de la science expérimentale, etc...
C’est une activité, c’est un bricolage technologique sans théorie, sans vue d’ensemble, dont les conceptions qui le justifient se sont ajustées à mesure que les technologies évoluaient et qui est en échec pratiquement sur tout ce qu’il commet, exception faite des manipulations les plus simples. Ça marche assez mal sur les applications végétales, sauf quand il s’agit d’introduire du BT, etc, ensuite on verra les aspects annexes. Je veux dire que techniquement l’élaboration même des chimères transgéniques fonctionne mal. En matière de thérapie génique, le seul succès qui ait jamais été annoncé dans ce domaine, au milieu de tous les bluffs du théléthon, des escroqueries en tout genre sur la mucovicidose et le reste, le seul résultat a été de sortir trois ou quatre enfants-bulles sur sept qui étaient en traitement par une équipe de l’Hôpital Necker, et ce triomphe a été annoncé à grands tam-tam médiatiques,. et malheureusement pour les pauvres gosses, un an et demi après on s’est aperçu qu’en balançant le transgène, fait nécessairement de façon approximative, il s’était logé à un endroit où il ne fallait pas... résultat des courses les mômes sont leucémiques, et désormais traités pour cela. J’imagine ce qu’on a dû en plus, leur mettre dans leur bulle, quoi... Là-dessus, ça part de partout.
Quant au fantasme des nanotechnologies, à mon avis c’est d’ordre strictement fantasmatique pour l’instant, y compris les horreurs que cela promet, mais je veux dire : on n’est pas obligé de rester dans le domaine du strictement petit, ou du vivant ; en ce qui concerne la revanche de la physique qui était passée un peu au second plan, depuis l’expansion du bluff biologique ; on voit bien ce qu’il en est’ du programme de fusion ITER qui est un programme international absolument monstrueux, donc un programme extrêmement lourd, qu’aucun pays au monde n’est capable d’exécuter seul ; et donc la remise sur rail du programme aujourd’hui réunit l’Union Européenne, Les Etats-Unis, la Chine, la Russie, etc... dans la poursuite du Graal de l’énergie propre à l’hydrogène pour un capitalisme durable...donc on est en plein là-dedans, on est dans ces fantasmes-là. Ce qui me paraît moi en fait, la principale leçon à tirer des campagnes anti-OGM , c’est deux versants de la même chose. D’une part de voir ce que cela a pu révéler, en termes de résignation puisque ces campagnes ont été menées à tout casser par 300 ou 400 personnes sur tout le territoire français, pendant que 76 % de la population ; officiellement si l’on en croit les sondages ; était opposée aux OGM. Mais ces 76% sont toujours restés des spectateurs complètement passifs, comme ils sont passifs dans toutes les circonstances de leur vie, et même quand ils cessent d’être passifs, c’est seulement pour demander un peu plus de sécurité, et un peu plus de contrôle..
Et du reste, qu’est-ce qui est mis en place et qui est applaudi par les Verts qui ont produit le texte, par la grande presse, et instantanément de ce fait par le citoyen lambda ; pas les citoyennistes ; c’est le fait que la commercialisation et la généralisation des OGM agricoles, jusqu’à ce qu’il y ait un incident un petit peu gênant qui amènera à revenir là-dessus, est entourée d’un luxe de précautions, donc d’un luxe de contrôle, d’expertises, donc le serpent se mord la queue, l’expertise. se nourrit elle-même, les scientifiques font leur boulot, les chercheurs d’Etat expertisent les produits des chercheurs privés, que les chercheurs privés ont élaboré en partenariat avec les chercheurs d’Etat, tout ça passe au dessus de la tête, on va généraliser les conférences de consensus, donc on va vivement et à vive allure vers la démocratie participative dont rêvent les citoyennistes, tout va bien... Ce sur quoi il faudrait peut-être un petit peu attirer l’attention des gens c’est que pendant que l’on fait du tam-tam sur le maïs BT, ce qui se développe c’est la recherche sur les plantes phytoremédiantes, parfaitement magiques et merveilleuses, puisque ces plantes permettront de dépolluer. On va utiliser des graminées pour nettoyer les sols des métaux lourds, on a trouvé des bactéries qui permettent d’accumuler les radioactivités, donc on va nettoyer les sols, dont Tchernobyl, on peut l’imaginer...
Tout ça c’est vachement bien puisque ; c’est écologique, c’est durable ; puisque dans le cas des plantes on pourra les brûler après usage, récupérer les métaux lourds et les recycler dans l’industrie, qui sera elle-même durable, évidemment ; pour peu que tout ça soit protégé de la rapacité des mn1tinationales par une garantie de non-brevetabilité, on pourra être même sûr que les pauvres y auront accès, donc tout va bien, on est vraiment en route pour le meilleur des mondes... et en fait ce qui me paraît le plus significatif dans cette histoire des OGM, c’est qu’elle amène à ce genre de choses et de voir que la soi disant réaction, la soi disant opposition citoyenne aux plantes transgéniques a permis au moins de révéler cela. Bon, on me dira que je dis ça tout seul ; ce n’est pas tout à fait exact ; et puis de toute façon, le principal élément de la catastrophe, ce ne sont pas les OGM. C’est leur acceptation. C’est pas le système industriel, mais son acceptation, donc le développement de l’aliénation contemporaine, tel qu’elle se produit aujourd’hui, et tous les éléments qui font qu’on se dresse nous-mêmes à marcher au milieu des ordures et à vivre dans les ordures. Ordures matérielles, ordures concrètes et ordures de pensée. Et du côté du citoyennisme, la poubelle déborde vraiment.
Q : Tandis que différents individus, groupes, et mouvements anti-système luttent contre ses piliers tels l’énergie, ou les communications (construction de TGV, autoroutes, internet ...) un autre pilier, celui de la manipulation génétique et la transgénèse se trouve à peine au sein de ces luttes. Ne croyez-vous pas que l’on est à un moment crucial propice à agir face à des technologies qui n’ont pas encore d’emprise sur le mode de vie quotidien des gens, qu’ils ne considèrent pas encore indispensables ?
R : Je serais tenté de dire que c’est malheureusement un point de vue optimiste. Parce que si les gens ne renonçaient à s’opposer qu’aux phénomènes dont ils s’estiment totalement liés et dépendants, on pourrait dire effectivement qu’il y a une marge de liberté, de manoeuvre pour lutter contre divers néo-totalitarismes. Or on est bien obligés de constater que les populations ont plutôt tendance ces temps-ci à se vautrer dans la servitude et à réclamer de l’asservissement. Le crétinisme qui présente par exemple l’internet comme un espace libertaire, alors qu’il est par définition l’espace du sur-travail, l’espace de la colonisation de ce qui reste de vie privée, le non-lieu même, étendu à l’univers de la dé-réalisation intégrale, de la part de tout sens du réel, le lieu où les rumeurs les plus folles, les plus mensongères, les plus invérifiables circulent, je veux dire, ça c’est une revendication même des libertaires radicaux et pas seulement aux USA. On a vu apparaître ça il y a cinq - six ans en Europe, et cela part comme une traînée de poudre. Les gens sont dans une telle fantasmagorie, qu’ils finissent par croire parce qu’ils l’ont vu sur l’internet qu’ils sont un mouvement. Ce qui est assez intéressant c’est de voir qu’ensuite les média, qui ne sont pas coupables de tous les maux dont on les accuse ; c’est-à-dire qu’ils ne manipulent pas l’opinion, ils en sont juste le reflet. Donc quand ils ont vu sur l’internet, c’est vrai aussi, quoi. Et quand on leur dit qu’il y a un mouvement altermondialiste, ils le croient, ils croient que c’est un mouvement d’opposition, et ils le disent, et les gens le croient en retour.. .et tout le monde est bien content, donc... ça n’incite certainement pas à l’optimisme, mais en tout cas certainement pas à jouer dans cette cour-là. C’est ailleurs et autrement qu’il faut construire les réappropriations, et bêtement, d’abord en commençant par soi, à mes yeux. En essayant de continuer à dire ; plutôt que d’élaborer des programmes ; à continuer à dire la vérité immédiate des leurres et des fantasmes qu’on nous déroule, qu’ils soient ceux de la domination ouverte ; s’il y en a encore une ; ou qu’ils soient ceux des dominés volontaires qui sont les plus nombreux.
Q : « Réappropriation ? » Peut-on approfondir sur ce sujet, et plus concrètement par rapport à la lutte contre les OGM ?
R : Le problème de la réappropriation qui n’est pas, contrairement à ce que certains pensent une nouveauté : il fait partie du vieux programme ouvrier où il s’agissait justement de se réapproprier le monde, on pensait alors à l’époque et certains malheureusement paraissent encore le penser, qu’il suffisait d’exproprier les expropriateurs, donc de virer les patrons et les capitalistes pour être dans un monde enfin émancipé et s’affranchir du travail grâce à l’automation et aux machines. On voit assez largement ce qu’il en est, de cet affranchissement, de cet auto-esclavage généralisé par le biais des machines. Et donc la question c’est de savoir ce qu’il reste à s’approprier dans le monde matériel tel qu’il est, et c’est plutôt la voie vers la réappropriation qu’il faut se réapproprier aujourd’hui, donc réinventer, plutôt que d’imaginer remettre le monde sur ses pieds en virant les maîtres du Monde, comme rêvent les altermondialistes, ou en signant quelque organisme de contrôle citoyen. Donc, le citoyen est l’esclave moderne, mais à la différence de l’esclave antique c’est que c’est un esclave volontaire. Tant qu’on ne sortira pas de cet enfermement mental, tant qu’on ne sortira pas ; les uns et les autres ; de la soumission volontaire au monde industriel, tant qu’on ne cessera pas de prétendre qu’on va aménager la catastrophe ou qu’il suffirait de s’élever avec indignation et moralisme contre certaines conséquences, tant qu’on continuera de protester contre la pollution en roulant en bagnole, ou en voulant un ordinateur à la maison, je crois qu’on est très, très mal barrés. Alors de tout ça évidemment, les gens se rendent compte à plus ou moins grande échelle. Dans le milieu altermondialiste, voire chez les antidéveloppementistes, les post-développementistes, les décroisseurs à la touche... en en a plein la bouche du risque qu’il y aurait si un milliard de Chinois se mettent à rouler en bagnole. Mais, eux-mêmes ? Leur décroissance, apparemment s’avère assez lente, leur goût pour l’Etat de toute façon dit bien que non seulement ils sont un parti du passé, et qu’ils sont défaits avant même d’avoir existé comme soi disant force, par contre comme poids-lourd, comme poids mort, comme immobilité soumise qui nous est promise pour quelques dizaines d’années, ce courant là, ce que j’appelle le citoyennisme, génétiquement modifié ou pas, il faut vraiment essayer de comprendre comment ça fonctionne parce que ça va vraiment nous peser, sur les épaules pendant longtemps, et c’est aujourd’hui l’ennemi principal à mes yeux.
Q : Et pour finir, autre chose que vous voudriez rajouter ?
R : Non, que chacun essaie de se prendre en main et que chacun essaie de se remettre à penser.