DOSSIER : LA DESOBEISSANCE CIVILE1
C'est le titre d'un petit ouvrage de Henry David Thoreau, paru pour la première fois en 1849, aux Etats-Unis. Dans ce texte, Thoreau pose le problème de l'obéissance et en tout premier lieu de celle de l'individu à l'État. Il remet en cause le fait d'agir en désaccord avec sa conscience.
A cette époque, il a déjà refusé les conformismes sociaux et ne rencontre d'obstacle à sa liberté que l'Etat et la passivité de ses concitoyens. Si pour lui "le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins" (devise favorite de Jefferson), paradoxalement il pense aussi "que le gouvernement le meilleur est celui qui ne gouverne pas du tout". Personnellement, il est opposé au paiement de l'impôt et il est engagé dans la lutte pour l'abolition de l'esclavage.
Ses écrits (Le sauvage, Walden ou la vie dans les bois, etc.) seront beaucoup lus et traduits. La désobéissance civile inspirera notamment les pratiques des personnes regroupées autour de Gandhi et de Martin Luther King.
Bien évidemment Thoreau n'est pas le premier à s'interroger sur l'obéissance. Etienne de La Boétie, par exemple, dans son "Discours de la servitude volontaire" (première publication en 1554), analyse cette attitude et montre en quoi elle est la pierre d'angle sur laquelle repose l'exercice du pouvoir: "Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres".
Si, sur le fond, rien n'a changé entre l'époque où vivait La Boétie et celle où vivait Thoreau, sur la forme, les hommes, de sujets de monarchies de droit divin, sont devenus citoyens d'Etats-Nations.
D'hommes taillables et corvéables, ils sont devenus des individus auxquels sont conférés des droits en échange de devoirs.
Bien que cette base du système n'ait quasiment jamais été remise en cause, si ce n'est par les anarchistes, il est arrivé plus fréquemment que la volonté d'individus se heurte à ces foutus devoirs, rançon de nos foutus droits. Ils se sont pliés, ils ont passé à travers les mailles du filet, ils ont résisté, ils ont attaqué.
En ces temps d'irradiation triomphante, de culte morbide du "progrès" ou de fatalisme mais aussi de désaffection pour toute forme d'organisation, il nous semblait important de parler de l'arme que peut être la désobéissance civile.
Bien entendu, ce n'est qu'un moyen et comme tel il n'a pas servi uniquement la cause de la liberté (et avant tout la suppression de tout gouvernement), de la solidarité (et l'abolition de l'argent) et de la vie en beau (la poésie vivante). Cependant, nous l'illustrerons dans ce dossier par des exemples qui rejoignent un tant soit peu nos conceptions, qu'ils soient locaux et vécus ou d'ailleurs et recueillis.
Droits? Devoirs? La frontière n'est pas toujours claire. Heureusement, il n'est encore pas évident pour tout le monde d'aller voter, de payer des impôts, d'être recensé, de travailler, d'aller au service militaire, d'inscrire son enfant au registre d'état-civil, de le faire vacciner, de l'envoyer à l'école. Et c'est des gens pour lesquels ça ne l'est pas et de leurs pratiques que nous allons vous parler.
An Cassani
CONTRE LA SÉGRÉGATION RACIALE: L'ACTION DIRECTE
En juin 1952, le Congrès national africain (ANC) lance en Afrique du Sud sa première "campagne de défi": "Notre intention était de désobéir [aux] lois, de supporter arrestations, voies de fait et sanctions pénales s'il le fallait, sans recourir à la violence. La méthode adoptée consistait à se répandre par groupes de volontaires, soigneusement entraînés à désobéir publiquement".
"EUROPÉENS SEULEMENT. Gares, salles d'attente, bureaux de poste, bancs publics, trains omnibus, tous portent cette inscription. Nos volontaires devaient cesser de faire usage des installations "distinctes mais injustes" qui nous étaient réservées pour jouir, par manière de défi, des privilèges destinés aux Blancs. Notre détermination fut encore accrue par cette dérision représentée par les règlements de couvre-feu et des laissez-passer". (Albert Lutuli)
Le premier décembre 1955 à Montgomery, Alabama (Etats-Unis), Mme Rosa Park s'assied dans la section noire de l'autobus. Tous les sièges réservés aux Blancs étant occupés, le chauffeur lui demande de céder sa place à un Blanc; elle refuse, on l'arrête.
Le boycott des autobus est décidé à partir du lundi suivant pour appuyer une demande de plus de correction. Le pasteur Martin Luther King accepte d'en être l'organisateur.
En 1956, dans les principales villes d'Afrique du Sud, des milliers de femmes protestent contre l'obligation de détenir un laissez-passer; des milliers de ces laissez-passer sont brûlés devant les bâtiments officiels, des pétitions amenées en masse: "Nous sommes au regret pour le gouvernement. Nous ne pensons pas que ces papiers soient nécessaires. Nous vous rappelons que nous voulons la liberté, pas l'esclavage".
En 1960, dans un collège technique de Caroline du Nord, aux Etats-Unis, quatre étudiants noirs s'installent dans la partie réservée aux Blancs d'un restaurant; comme à Montgomery, c'est une révolte contre la ségrégation qui suit leur arrestation.
Le mouvement s'étend à tous les Etats du sud; environ 70 000 Noirs y participent, 4000 sont arrêtés au cours de quelque 800 sit-ins. Dans huit villes au moins, la déségrégation des restaurants sera acquise.
Cette même année, I'ANC est mise hors la loi et l'état d'urgence déclaré en Afrique du Sud. Des militants forment en 1961 une organisation clandestine de sabotage, Umkonto we Sizwe (Fer de lance de la nation).
"Le sabotage n'implique pas de pertes de vie et il permet les meilleurs espoirs pour l'avenir des relations entre les races. Nous avons toujours cherché à nous libérer sans bain de sang ni affrontement civil.
(…)
Le plan initial fut basé sur une analyse de la situation politique et économique du pays. L'Afrique du Sud dépend largement du capital et du commerce étrangers. Nous pensions qu'une destruction organisée d'usines énergétiques et l'interruption de lignes ferroviaires et téléphoniques tendraient à écarter tout capital du pays, à rendre plus difficile le transport des marchandises des régions industrielles aux ports dans les temps voulus, et constitueraient à long terme un fardeau pour l'économie du pays, obligeant ainsi les électeurs à reconsidérer leur position.
Les attaques contre les points vitaux de l'économie du pays devaient être liées à des sabotages de bâtiments officiels et d'autres symboles de l'apartheid. Elles seraient une source d'inspiration pour notre peuple et l'encourageraient à participer à des actions de masse sans violence, grèves et protestations.
Si une campagne massive était organisée avec succès et suivie de représailles massives, nous pensions que la sympathie pour notre cause se développerait dans d'autres pays et qu'une pression plus grande serait exercée sur le gouvernement sud-africain". (Nelson Mandela)
Hormis la solidarité internationale, la campagne de l'Umkonto n'obtient guère de résultats positifs; l'organisation est défaillante, la violence et la militarisation tentent nombre de ses membres, l'influence communiste est néfaste. La répression est dure et le nationalisme blanc se renforce.
Il faudra de longues années de patiente organisation dans les entreprises, les cités noires, les écoles pour que le mouvement des Noirs prenne la force qu'il a aujourd'hui. Pas une ville qui ne connaisse de résistance, pas un secteur qui ne soit touché par les grèves, pas un école qui ne soit boycottée ou traversée par les manifestations. Des millions de gens suivent les consignes de stay-aways, grèves générales lors des jours clefs ou arrêt de toutes les activités en cas de deuil.
Alice
INSOUMIS ET RÉFRACTAIRES
Sur un chantier de service civil en France, en 1960. Les flics viennent chercher un objecteur de conscience qui leur a donné cette adresse.
-Lequel de vous est Pierre Boisgontier ?
Tous les présents s'appellent Pierre Boisgontier, aucun n'a de papiers d'identité à montrer.
Avant l'obtention d'un statut pour les objecteurs, fin 1963, cette tactique a souvent été utilisée. Hommes et femmes, jeunes et vieux se présentent tous comme le "coupable", jusqu'à s'enchaîner les uns aux autres.
Mais le statut ne règle rien. Il faudra des grèves, des insoumissions au service civil pour obtenir que les objecteurs ne soient plus jugés par un tribunal militaire. Il faudra en 1971 l'envoi de 112 lettres identiques pour démontrer l'arbitraire dans l'octroi du statut. Il faudra surtout le refus des structures para-militaires imposées pour mener à l'organisation des insoumis et à leur défense collective.
Des réfractaires plus radicaux encore veulent montrer leur volonté de lutte globale en se déclarant en insoumission totale: "Dans la série Marche droit, ferme ta gueule et sois content, le service militaire est un film qui ne fait plus tellement rire... Il n'est, en fait, rien d'autre qu'un grotesque facteur d'intégration à cette société pourrie (transformant) l'individu en citoyen-pantin docile qui, tout sa vie, se laissera larvairement dévaliser, châtrer et vider de ce qu'il y a de meilleur en lui: sa libre créativité, son besoin d'amour fou, son désir d'employer son temps et son énergie de la plus passionnante manière. Nous préférons colorer nous-mêmes notre personnalité (et) demandons la liberté, donnée à tous ceux qui le désirent, de ne pas faire le service militaire". (Lyon, 1972, Groupe Insoumission totale).
C'est en 1978 que des rescapés du groupe font paraître "Avis de Recherche", quinzomadaire insoumis et souvent en cavale lorsqu'on lui fracture sa boîte aux lettres, qu'on dépose des plaintes contre lui, qu'on le saisit. Trois ans plus tard, sous le gouvernement socialiste, il sort de l'ombre et continue depuis lors de publier des dossiers, à soutenir les camarades insoumis, à narguer le pouvoir.
Ceux qui ne sont pas en âge ou en sexe de refuser le service actif trouvent d'autres manières de manifester leur refus de l'armée, de la guerre et des armements: détournement vers de meilleures causes des 20% d'impôts allant à la défense nationale, renvoi de livrets militaires, incendie de ces livrets, en envoyant chaque fois à la presse de clairs exposés des motifs.
En Suisse aussi, plusieurs refus collectifs se sont produits: lettres collectives d'objecteurs, refus de 32 prêtres et pasteurs de collaborer en quoi que ce soit avec la défense nationale, refus de l'impôt de défense nationale ou de la taxe militaire, objection à la protection civile. Pendant une période, les objecteurs ne se présentaient plus à leur procès, le considérant comme joué d'avance.
Mais les objecteurs ont toujours vingt ans, et c'est une lutte toujours renouvelée.
POUR UNE POLITIQUE DE PAIX ACTIVE
Il y a quelques années, des milieux pacifistes, et notamment le Centre Martin Luther King de Lausanne, ont lancé une campagne de refus de la taxe militaire et de l'impôt pour la Défense nationale (d'ailleurs rebaptisé impôt fédéral direct afin de gommer sa connotation militaire).
Si le non-paiement de la taxe militaire concernait les objecteurs et les exemptés du service militaire l'auto-réduction de vingt pour cent de l'impôt fédéral direct (part approximative du budget militaire de la Confédération) s'adressait à tous les citoyens, y compris les femmes.
Le mot d'ordre de la campagne était en gros: "de l'argent pour la paix plutôt que pour la guerre". Les promoteurs proposaient que les sommes non versées à ces impôts leur soient adressées de manière à financer la création d'un Centre de recherche sur la paix. A noter que finalement ces impôts devaient être réglés, ne fût-ce que par saisie d'huissier, et que le non-paiement de la taxe militaire entraînait une peine de un à dix jours d'arrêts répressifs.
Cette campagne a été abandonnée, du moins dans sa forme collective, faute d'avoir atteint le nombre de 200 refuseurs que les promoteurs s'étaient fixés pour la Suisse romande. Cela signifie que bien peu d'objecteurs ont prolongé leur refus du service militaire. Constat d'échec donc.
Je ne sais plus quelles conclusions en ont tirées les promoteurs, mais je suggère trois hypothèses, parmi d'autres.
D'ABORD
L'ailleurs est la référence guerrière de la Suisse. Ailleurs dans le temps: il est dit que l'armée a barré la route à Hitler, mais il y a bientôt cinquante ans, et même s'il s'agit d'un acte de foi plutôt que d'une réalité, l'importance mythique de l'armée protectrice du pays est bien reconnue. Le dernier conflit armé avec l'étranger qu'ait connu la Suisse remonte à presque deux siècles.
Ailleurs dans l'espace également: hors l'apocalypse d'une guerre nucléaire totale, possible certes mais qui dépasse l'entendement, une grande majorité de la population suisse semble croire qu'une guerre conventionnelle ou nucléaire limitée ne peut concerner que les autres pays, comme si une espèce d'immunité nous était conférée par notre neutralité armée et notre protection civile, comme si la Suisse, havre de paix, parenthèse dans les turbulences du monde, était protégée des Dieux (voir à ce propos Mythes et identité de la Suisse, par André Reszler, éditions Georg, Genève, 1986).
La mémoire collective ne sait pas grand-chose de la guerre chez nous, et ainsi le pacifisme ne nous concerne pas vraiment. Une affaire d'Allemands en quelque sorte.
ENSUITE
La congénitale ambiguïté du pacifisme. La guerre n'est pas un passe-temps de militaires, elle est une des conséquences possible de l'exploitation et de la domination des Etats, fussent-ils catalogués démocratiques. Vouloir la paix est vain s'il ne s'agit pas d'abord de vouloir supprimer l'armée et l'État. Or pacifisme n'est pas synonyme d'antimilitarisme et d'anti-étatisme. De même objecter, pour des raisons éthiques ou de conscience, ne remet pas en cause l'armée en tant qu'instrument privilégié de la domination étatique: tel qui refusé de faire son service militaire n'est pas forcément contre l'armée, il peut être contre "lui à l'armée" et, une fois libéré de ses obligations militaires, il peut très bien considérer que son objectif est atteint.
La proposition d'affecter les sommes récupérées à la création d'un Centre de recherche sur la paix est ambiguë dans la mesure où un tel centre ne peut que s'adresser prioritairement aux politiciens et à l'État, dont le discours officiel, largement intégré par la population, présente justement l'armée suisse comme essentiellement dissuasive et défensive quasiment seule garante sérieuse de la paix. De plus, placer systématiquement l'armée au centre du débat <<guerre et paix>> occulte l'autre objectif de l'armée, qui d'après moi est le principal, son rôle éducatif: éducation à la soumission, valorisation de la force et de la virilité, développement du sentiment d'appartenance à une communauté, à une nation, reconnaissance implicite que l'homme est un loup pour l'homme, que des relations entre personnes libres et égales, basées sur le respect et la solidarité, ne peuvent être que marginales et accidentelles, en un mot contre nature...
L'armée n'est pas seulement la guerre ou la protection contre la guerre, pas plus que la société civile, est la paix. Nous ne vivons pas dans une société binaire, avec d'un côté le civil et de l'autre côté le militaire, avec la paix ici et la guerre là. Si c'était le cas, tout le monde serait d'accord pour supprimer l'armée - à part quelques Rambos peut-être.
Cette campagne pour une paix active me fait un peu penser à l'initiative populaire Pour une Suisse sans armée (bien que j'aie participé à l'une et à l'autre, mais sans passion prosélyte). Promouvoir la paix, ou supprimer l'armée, sans supprimer la domination politique, économique, sociale et culturelle sans abolir l'État, me paraît bel et bien. Sauf qu'à viser la périphérie, on a toutes les chances de manquer le centre de la cible.
Grande différence toutefois: le refus de payer les impôts militaires est un acte de désobéissance civile tandis que l'initiative populaire prend les chemins tracés par l'État. Deux pelés trois tondus d'un côté, plus de cent mille citoyens de l'autre...
Bien entendu, je ne me plains pas de l'absence de guerres en Suisse. Je n'affirme pas non plus qu'une démarche vraiment antimilitariste et anti-étatique aurait fait un tabac; tout au plus le débat aurait été clarifié.
LA TRAGÉDIE HUMAINE
Pourquoi la désobéissance civile, bien limitée pourtant, a échoué ? En fait, il y manquait un ingrédient nécessaire, le drame personnel, comme c'est actuellement le cas pour la défense des demandeurs d'asile. Bien des Suisses pratiquent ou sont prêts à pratiquer la désobéissance civile, pour des raisons plus humanitaires que politiques, afin d'empêcher l'expulsion de réfugiés qu'ils côtoient régulièrement. Et même si un véritable mouvement de masse ne peut être envisagé pour le moment, il ne s'agit pas pour autant d'actions complètement marginales. Il n'est pas impossible non plus que les conflits d'intérêts - intérêts vitaux contre intérêts économiques - liés au nucléaire provoquent des campagnes de désobéissance civile. Mais le pacifisme n'est pas actuellement jugé comme dramatiquement nécessaire.
Individuelle ou collective; motivée par la peur, la rage, la volonté révolutionnaire ou la conscience humanitaire, la désobéissance civile, par l'engagement personnel qu'elle requiert, se situe dans la contrée outre les lois, les normes, les habitudes. Par définition. Elle est au-delà du jeu dont les règles sont fixées par l'État. Elle est le signe que le citoyen soumis n'a pas encore eu raison de l'individu rebelle.
Philippe Tonnelier
AUTO-RÉDUCTIONS
L'Italie des années septante fut le théâtre de nombreuses actions de désobéissance civile. Les grandes entreprises et les banlieues rouges, "univers concentrationnaire du prolétariat", ont permis que ces luttes deviennent bien souvent des mouvements de masse, et cela malgré l'encadrement musclé du Parti communiste italien et des syndicats.
Les auto-réductions ont été la forme privilégiée, mais non unique, des luttes organisées par les comités autonomes d'entreprises ou de quartiers: réductions ou non-paiement des loyers pour obtenir des conditions satisfaisantes de logement et d'urbanisme (routes, écoles, égouts, etc.) ; occupations de milliers de logements vides; réductions du prix des transports publics pour s'opposer aux augmentations de tarifs (mais des actions visant à la gratuité des transports ont échoué); réductions des factures d'électricité et des notes de téléphone, également pour s'opposer à des augmentations; appropriations collectives de produits de base dans des magasins; et tutti quanti.
De nombreux succès ont été remportés grâce à la pression que ces luttes exerçaient sur des secteurs particuliers. Cependant, elles n'ont jamais pu s'étendre à l'ensemble de la vie quotidienne pour aboutir à l'autogestion, ni même à l'établissement d'un pouvoir prolétarien sur la société.
Ces luttes ont décliné à la fin des années septante, non pas en raison de la disparition de l'exploitation, mais plutôt à cause de la reprise en main de la classe ouvrière par le Parti communiste et les syndicats, et du perfectionnement de l'appareil répressif de l'État. Le tout au nom de la lutte contre le terrorisme des Brigades rouges.
BOYCOTT DU RECENSEMENT EN ALLEMAGNE FÉDÉRALE
Un recensement total de la population a lieu cette année en RFA et c'est, semble-t-il, le dernier. Malgré l'importance des sommes engagées par le gouvernement, notamment dans la publicité, ce sera probablement un échec (cf. Der Spiegel No 21, 18 mai 1987).
Une bonne partie de la population allemande y est opposée, notamment dans les grandes villes. Les Verts ont édité un autocollant disant qu'"il n'y a que les moutons pour se laisser compter".
Ce recensement s'appuie sur un questionnaire très détaillé (33 questions) portant aussi bien sur la vie professionnelle que privée des citoyens et il est déjà possible de penser que le gouvernement ne pourra pas en tirer grand-chose de significatif au niveau statistique.
En effet, des questionnaires ont été détruits, brûlés sur la place publique, judicieusement découpés afin que les réponses soient décalées d'une ligne quand elles passent dans l'ordinateur... et j'en passe. Sans compter que beaucoup de réponses seront fausses ou incomplètes.
L'Etat a beaucoup de mal à trouver des recenseurs volontaires. Dans certaines villes, des enseignants ont été <<réquisitionnés>> mais beaucoup refusent d'effectuer cette besogne. Des recenseurs ont reçu des lettres de menace, d'autres ont été battus; depuis ils sont protégés par la police, au besoin. Des boycotteurs se font recenseurs pour aller discuter avec la population.
Des consignes circulent afin de freiner le recensement en attendant que le boycott s'amplifie. Il est conseillé de ne pas donner son nom au recenseur, de ne pas le laisser entrer chez soi, de dire qu'on a renvoyé le questionnaire par la poste et que ce n'est pas de votre faute s'il s'est perdu, de se procurer de nouvelles feuilles parce qu'on a renversé du café sur les anciennes ou que le petit a gribouillé dessus, d'effacer les numéros de code et les noms qui figurent en tête, mais aussi d'en discuter avec ses voisins et de se regrouper pour se défendre en temps voulu.
Car les boycotteurs risquent des amendes salées et l'incitation au boycott est passible d'amende et d'emprisonnement. D'ores et déjà la police a effectué des perquisitions chez des gens et l'armée est venue à son secours lors d'émeutes dans le quartier de Kreuzberg à Berlin, émeutes ayant pour origine... le recensement.
MASOCHISME (ou l'obéissance cilice)
Le non-paiement ou l'auto-réduction d'impôt font partie de l'arsenal de la désobéissance civile. Mais n'oublions pas la démarche originale des Femmes pour la paix: auto-augmenter l'impôt fédéral direct pour inciter la Confédération à développer les recherches sur la paix et la résolution des conflits.
Un nouveau civisme pour un nouvel âge... d'or de l'Etat ?
T'AS PAS UNE RONDELLE ?
Narcisse Praz a combattu les parcomètres, "symboles de mainmise de l'État (...) sur l'espace vital, propriété inaliénable de la communauté humaine; symboles de l'aliénation de l'individu, obligé de mesurer non seulement l'espace qui lui est compté, mais le temps pour lequel il lui est compté", notamment en utilisant des rondelles capables de remplacer les pièces de cinquante centimes.
De telles rondelles se trouvaient en vente jusqu'à il y a trois ou quatre ans dans toutes les bonnes quincailleries, pour environ deux francs les cent pièces. Très utiles donc pour les parcomètres, mais aussi pour les téléphones publics. Malheureusement, ces rondelles ont disparu de l'étalage; et n'utilisez surtout vraiment pas les pièces d'un franc étranger, qui ne valent rien, mais qui pourraient hélas remplacer nos vingt centimes.
La croisade contre le symbole de la mainmise de l'Etat a vite glissé à l'économie individuelle. Et pour l'Etat, les six ou huit dizaines de milliers de francs de manque à gagner sont préférables à un refus affirmé des parcomètres, tel que le préconisait Narcisse Praz. Il n'y a qu'un petit pas de la désobéissance civile à la démerde individuelle, et un grand pas de démerde à la désobéissance.
CONTRE-CONCEPTION
La libération sexuelle, particulièrement le droit à la contraception, féminine et masculine, et à l'avortement, a souvent emprunté le chemin de la désobéissance civile. Il n'y a pas si longtemps, des femmes partaient de France, par cars entiers, avec pancartes et conférences de presse, pour aller avorter aux Pays-Bas.
Un des actes de désobéissance civile le plus remarquable en ce domaine est l'affaire des stérilisés de Bordeaux. En 1936, une quinzaine d'anarchistes, dont Aristide Lapeyre, se sont fait vasectomiser et, revendiquant leur stérilisation haut et fort, ont été condamnés à plusieurs années de prison ferme. Aujourd'hui encore la vasectomie est considérée en France comme une "mutilation volontaire" et interdite, sauf conditions très particulières. En Suisse, il n'est pas facile non plus de se faire vasectomiser. (Voir le dossier Contraception masculine, dans MA! no2.)
En Belgique, où le vote est obligatoire, on peut voir les jours d'élections, par bon temps, les bulletins des réfractaires s'élever dans le ciel, emportés par des ballons.
En Suède, une femme et un homme refusent d'inscrire leur enfant à l'état-civil, ils se foutent des allocations familiales mais pensent au jour où il voudra voyager (cf. April, 1987).
En 1978, à Genève, afin de lutter contre le nucléaire et plus particulièrement contre les investissements de l'État dans cette forme d'énergie, l'association Légitime défense lance une campagne de perturbation des factures d'électricité. Le principe en est le suivant: il suffit, pour les payer, de ne pas utiliser les bulletins fournis par les services industriels mais les traditionnels bulletins verts. De plus, il est conseillé d'utiliser le plus grand nombre possible de bulletins afin de compliquer le travail des dealers d'énergie. Et pour cela on ne peut être poursuivi. Une bonne idée pour 1987, non?
LE POIDS DES NOMS
Signer une pétition n'exige pas un grand courage, sauf dans certains cas.
En 1960, l'opposition à la guerre d'Algérie en France ne rassemble que de maigres manifestations, et les insoumis et déserteurs se comptent à peine par dizaines. Pourtant ils s'expriment haut et clair et encouragent d'autres à suivre leur exemple, malgré la forte répression encourue.
Le 5 septembre, 121 intellectuels connus publient un manifeste dans lequel ils déclarent soutenir le droit à l'insoumission: "Qu'est-ce que le civisme lorsque, dans certaines circonstances, il devient soumission honteuse ? n'y a-t-il pas des cas où le refus est devoir sacré, où la "trahison" signifie le respect courageux du vrai ?".
Comédiens et artistes seront interdits d'antenne, des professeurs seront privés de leur place d'enseignants, le nom même des écrivains signataires ne peut plus être cité à la radio... Plusieurs d'entre eux seront inculpés, mais le gouvernement finit par abandonner les poursuites.
Dix ans plus tard, la lutte pour la décriminalisation de l'avortement bat son plein; celles qui se font avorter, ceux et celles qui pratiquent des interventions encourent de lourdes peines. Le 5 avril 1971, <<343 salopes>> signent à leur tour un manifeste: J'ai avorté et je défends le droit à l'avortements. Elles seront rejointes par de nombreuses autres femmes qui ajoutent leur nom à cette liste. Sans qu'il y ait de poursuite: il y aurait prescription, selon les juges gênés.
Source : MA! (ex-revue anarchiste suisse), no 12, juin 1987.
1 Source : http://membres.lycos.fr/zebwis/home.htm