Cahier de doléances du clergé du bailliage d'Orléans
31 mars 1789
Religion
Que Sa Majesté, à l'exemple de ses prédécesseurs, accorde toute protection et faveur à la religion, qui est le plus ferme appui du trône, la base la plus solide de la fidélité des sujets, et la sauvegarde la plus assurée de la stabilité des empires ; qu'elle emploie tout son zèle pour la faire refleurir dans ses Etats, et son autorité pour la défendre des attaques multipliées de l'impiété et de la philosophie moderne ; qu'elle réprime par des lois sévères la licence effrénée de la presse, qui inonde la capitale et les provinces d'écrits scandaleux de toute espèce ; que les auteurs qui les composent, les imprimeurs qui les publient, les libraires qui les débitent, les colporteurs qui les distribuent soient poursuivis selon la rigueur des ordonnances.
Unité de foi et de culte
Que la foi catholique, apostolique et romaine, qui depuis Clovis a toujours été la foi du royaume très chrétien, y soit la seule permise et autorisée, sans mélange d'aucun autre culte public ; qu'il soit pris des précautions contre l'abus que les protestants commencent à faire de l'édit qui leur rend l'état civil ; qu'il soit enjoint aux magistrats de veiller à ce qu'au mépris des ordonnances ils ne tiennent pas des assemblées illicites, et ne troublent pas le service divin par des attroupements tumultueux ; que, conformément à ce qui se pratiquait avant même la révocation de l'édit de Nantes, ils soient tenus de faire porter leurs enfants à l'Eglise pour y être baptisés ; enfin que, selon le voeu du Clergé de France consigné dans ses remontrances sur l'édit de 1787, il soit rendu une déclaration interprétative de cet édit, dont les dispositions préviennent le danger des défections et en arrêtent le cours.
Sanctification des dimanches et fêtes
Que les lois de police pour la sanctification des dimanches et des fêtes soient renouvelées et exactement observées.
Rétablissement des bonnes moeurs
Que dans les plans qui seront formés pour rendre au royaume son éclat et son lustre, on fasse entrer avant tout la régénération des moeurs publiques, dont le maintien ou la décadence ont une influence si marquée sur le sort des empires. Que la licence avec laquelle on vend et l'on expose publiquement aux regards les tableaux et les gravures les plus indécentes soit réprimée et punie ; qu'on prescrive, comme des sources empestées de corruption, cette multitude innombrable de spectacles de tout genre et de toute forme qui, de la capitale où il s'en reproduit chaque jour de nouveaux, se répandent dans les provinces ; que tout spectacle soit spécialement interdit pendant la quinzaine de Pâques et aux fêtes principales de l'année, sans pouvoir être sous aucun prétexte autorisé ou toléré ; qu'il soit porté des défenses contre les acteurs qui, dans le temps où les spectacles sont fermés dans la capitale, se distribuent dans les petites villes et jusque dans les bourgades, où par des représentations profanes, ils détournent les fidèles des actes de religion qu'ils devraient pratiquer.
Discipline ecclésiastique
Qu'on s'occupe efficacement du soin de rétablir la discipline ecclésiastique ; en conséquence, qu'il soit tenu la main à ce que, conformément à l'article 5 de l'ordonnance d'Orléans et à l'article 14 de celle de Blois, "les archevêques et évêques résident dans leurs diocèses et ne puissent s'en absenter sans des causes justes et légitimes, approuvées par le droit et certifiées telles par le métropolitain et le plus ancien évêque de la province ; qu'ils soient spécialement tenus de se trouver à leurs églises en Avent, en Carême et aux principales fêtes de l'année…
Collèges
Qu'il soit mûrement délibéré sur les moyens de pourvoir partout les collèges de maîtres instruits et religieux, également capables de former leurs élèves à la piété, aux bonnes moeurs et aux sciences profanes...
Temporel du clergé. Dotation des curés et vicaires
Que l'on prenne en une particulière considération l'amélioration du sort des curés et des vicaires tant des villes que des campagnes ; qu'il y soit promptement et efficacement pourvu, par l'augmentation de la portion congrue, qui, quoique portée à 700 livres, est encore fort insuffisante pour l'honnête subsistance d'un prêtre, d'un prêtre surtout chargé de ses propres besoins et de ceux de ses pauvres. Il sera demandé que la fixation, dont le taux est laissé à la libre détermination du Roi, en soit faite, non en argent, comme par le passé, mais en grains, soit en nature, soit appréciable chaque année, selon des mercuriales déterminées...
Retraite des curés et vicaires
Qu'il soit proposé des moyens de retraite aux curés et vicaires que leur âge ou leurs infirmités mettent hors d'état de continuer les fonctions du ministère, soit par des pensions assignées sur un fonds destiné uniquement à cet objet, soit par des canonicats affectés à eux seuls, en une quantité déterminée, dans les divers chapitres des diocèses...
Dîmes, possession
Que les ecclésiastiques soient maintenus dans la jouissance de toutes les dîmes dont ils sont en possession, de quelque nature qu'elles puissent être, sans que les sièges royaux puissent, en aucun cas, prononcer contre cette possession, ni refuser d'en admettre la preuve ; mais qu'ils soient tenus de se conformer à ce qui leur est prescrit à cet égard par les ordonnances de Blois et de Melun et par l'édit de 1695...
Registre de baptêmes, mariages et sépultures
Qu'il soit prescrit aux curés et aux vicaires, et généralement à tous ceux qui tiennent les registres de baptêmes, mariages et sépultures, de dresser leurs actes dans une forme moins abrégée, et d'y rappeler, selon le modèle qui leur en sera envoyé, le nom, la paroisse et le diocèse des père et mère de ceux qui font l'objet direct de l'acte. Faute de ces énonciations, on perd souvent la trace des descendances, et des successions restent vacantes ou sont envahies par des parents moins proches, par l'impuissance où se trouve le légitime héritier de constater, par des actes antérieurs à celui de sa naissance, l'ordre des générations qui établiraient son droit...
Administration
- Que, dans les assemblées municipales, les curés tiennent toujours la première place après le seigneur, et [qu'elles] ne puissent être présidées que par lui seul, et non par les syndics de paroisses
- Qu'il soit donné à la Nation un nouveau code civil et criminel que la procédure soit simplifiée et les frais de justice diminués
- Que les campagnes soient pourvues, par chaque arrondissement, de chirurgiens et de sages-femmes, obligés de donner aux pauvres des soins gratuits, sur un certificat de pauvreté délivré par le curé ; mais que nul ne puisse être admis à y exercer ces professions qu'après des épreuves rigoureuses, par lesquelles on se sera préalablement assuré de sa capacité...
- Qu'il soit tenu sévèrement la main à l'exécution des lois qui règlent le légitime usage du droit de chasse ; qu'on en arrête les fréquents abus en ouvrant aux habitants des campagnes des moyens libres et sûrs de recours contre ceux qui s'en rendent coupables, et leur faisant exactement justice des dommages qu'ils prouveront avoir soufferts par l'excessive multiplication du gibier sur les terres des seigneurs...
- Que la liberté personnelle des citoyens soit mise à l'abri des atteintes auxquelles elle est exposée par l'usage arbitraire des lettres de cachet...
- Que toutes les douanes établies dans l'intérieur du royaume soient abolies et reculées aux extrêmes frontières...
- Que le retour des Etats généraux soit rendu périodique, l'intervalle de leurs assemblées successives fixé, et l'époque de la tenue qui devra suivre prochainement les Etats de 1789 arrêtée...
- Les députés porteront à l'Assemblée générale des Etats les voeux du Clergé de ce bailliage :
. pour l'extinction de la vénalité des charges de judicature, lorsque l'état des finances du Roi la rendra possible ;
. pour la réduction des différents poids et mesures à une seule mesure et un seul poids dans toute l'étendue du royaume ;
. pour l'inviolabilité absolue du sceau des lettres confiées aux bureaux des postes sous la sauvegarde sacrée de la foi publique ;
. pour l'allégement des tailles et des corvées...
- Pourront lesdits députés consentir qu'à l'avenir tout impôt distinctif entre les Ordres soit aboli ; que tout subside, contribution et charges publiques soient également répartis entre les diverses classes de citoyens, en raison de leurs propriétés ; qu'il n'y ait plus d'exceptions, de privilèges, ni d'exemptions pécuniaires dans l'Etat.
- Mais ils déclareront en même temps qu'en donnant à la Nation cette preuve de son zèle patriotique, le Clergé attend à son tour de la justice de la Nation que les dettes qu'il a formées, n'ayant été par lui contractées qu'à la demande, sous l'autorisation et pour le service du gouvernement, deviendront la dette commune de l'Etat, et qu'il ne pourra rester seul chargé de les acquitter.
- Seront en outre chargés lesdits députés de demander qu'après qu'il aura été procédé à l'évaluation des sommes que le Clergé devra fournir, la levée et la répartition lui en soient confiées, pour être par lui faites selon ses formes graduelles et usitées, formes dont le Roi a lui-même reconnu authentiquement l'équité et la sagesse, et dont en diverses circonstances, et notamment en sa réponse du 20 juin 1788 et arrêt de son Conseil du 5 juillet, il a solennellement promis au Clergé la conservation, et que le Clergé ne pourrait abandonner sans sacrifier les intérêts de la portion de ses membres la plus utile et la moins aisée...
Arrêté en l'assemblée de l'ordre du Clergé de ce bailliage,
Orléans, ce 31 mars 1789.