Instruction sur la manière de gouverner les Insensés,
Et de travailler à leur guérison
dans les Asyles qui leur sont destinés1
Jean Colombier et François Doublet
(1785)
INTRODUCTION
C’est aux Êtres les plus faibles et les plus malheureux que la Société doit la protection la plus marquée et le plus de soins ; aussi les Enfants et les Insensés ont-ils toujours été l’objet de la sollicitude publique : les premiers, par l’intérêt naturel qu’on leur porte et par l’espoir qu’ils nous inspirent, excitent cette pitié douce et en même temps active qui n’a besoin que d’être éclairée, pour vivifier d’une manière utile cette source féconde de la prospérité d’un État ; si l’on n’est pas encore parvenu à connaître ou à pratiquer tous les moyens qui peuvent conserver le plus grand nombre d’enfants, et les rendre sains et robustes, on est du moins assuré de trouver toujours parmi les hommes une grande disposition à saisir et employer tout ce qui leur sera présenté pour le succès de l’éducation physique.
Le sentiment dont on est pénétré pour les Insensés est d’un genre différent ; s’ils excitent une pitié plus profonde par l’image de la misère affreuse dont ils sont accablés, et par l’idée du sort qui leur est préparé, on est, pour ainsi dire, porté à les fuir pour éviter le spectacle déchirant des marques hideuses qu’ils portent sur leur figure et sur leur corps, de l’oubli de leur raison ; et d’ailleurs, la crainte de leurs violences éloigne d’eux tous ceux qui ne sont pas obligés de les contenir.
Ainsi cette classe de malheureux, quoiqu’on la plaigne et qu’on ait un désir bien vif de lui tendre une main secourable, est néanmoins soignée avec beaucoup moins de zèle que l’autre, et c’est pour cette raison qu’elle exige spécialement l’attention et la surveillance du Gouvernement.
Il paraît que les anciens législateurs avaient reconnu cette nécessité en établissant une sorte de Culte religieux en faveur des Insensés, pour lesquels les Peuples avaient un grand respect et toutes sortes d’égards ; soit pitié, soit superstition, on les regardait comme des êtres favorisés du Ciel, qu’on s’empressait d’attirer chez soi et de bien traiter : cette coutume pleine d’humanité règne encore dans tout l’Orient ; nous la voyons suivie chez les Suisses du Valais, qui traitent avec la plus grande distinction et regardent, pour ainsi dire, comme des Saints, les Crétins, sortes d’Êtres disgraciés au physique et au moral : mais ce qui doit surtout nous frapper, c’est qu’on l’a retrouvée chez les Peuples sauvages de l’Amérique.
Si cette faveur, qui est à peine concevable, à raison de la fureur d’un grand nombre d’Insensés, avait eu pour objet d’en diminuer la quantité ou de modérer la violence de leur mal, ces Peuples auraient mieux jugé que les Modernes, qui, en réunissant et confondant toutes les espèces de Fous dans un même lieu, semblent plutôt s’en débarrasser et s’en garantir que chercher à les soulager et à les guérir : vérité dure, mais nécessaire dans un moment où l’on fait des efforts pour remplir les vues de bienfaisance, qui animent le Prince que nous avons le bonheur d’avoir pour Maître.
Les lois romaines avaient pourvu à la conservation et à la subsistance des Insensés, sans perdre de vue les moyens d’empêcher qu’ils ne troublassent la Société : c’est aussi ce qui a été pratiqué depuis dans les pays policés de l’Europe, et surtout en France où l’on a multiplié les asiles pour ces malheureux, soit par des fondations particulières, soit aux frais du Gouvernement.
Mais quelqu’avantageux que paraissent ces établissements, ils ne soulagent que la crainte publique et ils ne peuvent satisfaire la pitié qui réclame non seulement la sûreté, mais encore des soins et des traitements qui sont généralement négligés, et au défaut desquels la démence des uns est perpétuée, tandis qu’on pourrait la guérir ; et celle des autres augmentée, tandis qu’on pourrait la diminuer.
Pour juger sainement cet objet, il suffira d’examiner les Asiles destinés soit au traitement des Insensés, soit à les renfermer.
On verra d’abord qu’il existe à peine dans le Royaume quatre à cinq lieux destinés et préparés pour traiter les Insensés ; et si l’on y fait attention, on trouvera que ces Asiles, à l’exception peut-être d’un seul, manquent des choses les plus nécessaires au traitement ou sont très mal disposés pour le rendre utile : on verra qu’on y suit une méthode routinière et presque unique, dont le succès est souvent nul, à raison des variétés de genres et d’espèces de folie ; enfin on n’en trouvera qu’un seul où, malgré plusieurs défauts essentiels, les cures sont un peu soutenues : mais quels sont les Fous qu’on traite dans ces Maisons ? ils sont en très petit nombre, et chez la plupart la maladie commence ; à l’égard des autres, nulle ressource quelconque.
Des milliers d’Insensés sont renfermés dans des Maisons de force, sans qu’on songe seulement à leur administrer le moindre remède : le demi-Insensé est confondu avec celui qui l’est tout à fait ; le Furibond avec le Fou tranquille : les uns sont enchaînés, les autres libres dans leur prison, enfin à moins que la Nature vienne à leur secours en les guérissant, le terme de leurs maux est celui de leurs jours, et malheureusement jusque là, la maladie ne fait que s’accroître, au lieu de diminuer.
Tel est l’état au vrai des ressources, jusqu’à ce moment, contre le fâcheux état des pauvres Insensés : le cri de l’humanité s’est fait entendre en leur faveur, et déjà un grand nombre d’Asiles se prépare pour leur soulagement, par l’établissement d’un département uniquement destiné pour eux dans chaque Dépôt de mendicité ; et l’on se propose d’y traiter indistinctement tous les genres de folie.
Pour obtenir des succès suivis, il faut non seulement profiter des lumières acquises, mais encore se prémunir contre les abus et les préjugés actuels, disposer les lieux nouveaux en conséquence de ce projet ; et surtout donner aux anciens établissements un exemple dont ils puissent profiter, et des éclaircissements qui les mettent dans le cas de se corriger et de se perfectionner.
C’est dans cette intention que le Gouvernement a ordonné la publicité de cette Instruction, qui est divisée en deux parties : l’une a pour objet la nécessité de suivre, à l’égard des soins et du placement des Insensés, un plan différent de celui qui est adopté ; et l’autre, qui trace la marche générale du traitement qu’il faut administrer dans les différentes espèces de folie.
Première partie
Qui concerne la manière de placer, garder et diriger les Insensés.
Les Gens riches et aisés se font une loi de faire traiter avec soin, dans leur domicile, leurs parents attaqués de la folie, avant de prendre le parti de les faire renfermer : cette conduite nous retrace ce que les pauvres exigent de la pitié publique ; il faut d’abord qu’un pauvre Insensé soit placé dans un lieu où il subisse un traitement, et ce n’est qu’après l’avoir suivi infructueusement que le malade doit être déposé dans une Maison de force.
Après un traitement inutile, une famille honnête, soit en gardant l’Insensé dans son sein, soit en le plaçant dans un lieu de sûreté, donne tous ses soins pour que ce malheureux jouisse des aisances nécessaires, soit du côté du régime, soit dans son vestiaire et son coucher ; elle ne souffre pas qu’on le maltraite, ni en propos, ni d’aucune autre manière ; elle lui donne des surveillants, sur la fidélité, l’intelligence et la probité desquels elle peut se reposer ; et si le lieu où elle le place est à l’abri des tentatives qu’il pourrait faire pour s’évader, il est du moins salubre et il n’inspire pas d’horreur.
Pour éviter que la folie n’augmente et ne devienne incurable, cette règle est la seule qu’on puisse suivre en faveur des pauvres Insensés, et l’humanité ne permet pas même qu’on s’en écarte dans aucune Maison de force.
Lorsque la démence n’est qu’intermittente ou qu’elle est douce, cette famille n’abandonne pas le malade ; elle s’occupe de nouveaux moyens de traitement, elle les fait en un mot répéter et, par cette persévérance, elle obtient quelquefois une parfaite guérison, ou du moins une grande diminution dans les accidents : si ce malade a des accès cruels et d’une grande violence, elle cherche à les modérer, en procurant des secours convenables de la part des gens de l’Art mais elle a en même temps grand soin qu’il ne soit pas logé avec un autre Insensé, surtout s’il y a du danger, et elle tâche de lui faire oublier son malheur, si par hasard il lui revient une lueur de raison.
C’est ainsi que le riche peut guérir, ou du moins traîner une vie moins misérable, lorsqu’il a le malheur d’être attaqué de la folie : au moins on n’a pas à craindre qu’elle n’augmente par la manière dont on le dirige, ou par une funeste communication ; et les devoirs de la Nature et de la Société sont également remplis, en mettant en usage tous les moyens qui peuvent détruire et diminuer la maladie, ou rendre le sort de l’Insensé moins déplorable.
Pourquoi donc n’en userait-on pas de même à l’égard des pauvres ? Serait-ce par l’impossibilité du succès, ou par les frais immenses qu’on serait obligé de faire pour remplir cet objet ? On prouvera aisément que ces obstacles n’existent pas réellement, et il suffira de lire ce qui suit pour se convaincre de cette vérité.
Les lois qui ordonnent de s’assurer de la personne d’un Insensé qui trouble la Société ont ce double avantage qu’elles préviennent le crime d’une main innocente, et doivent procurer en même temps le moyen de secourir un malheureux dont l’état peut changer, en le plaçant dans un lieu convenable et en lui administrant les secours nécessaires.
Ce sont les pauvres surtout, qui exigent l’exécution ponctuelle de ces lois, parce que le Peuple n’a ni les ressources nécessaires pour contenir les Insensés, ni la faculté de soigner et de faire traiter ces malades ; on doit ajouter même qu’il serait trop souvent dangereux de les laisser entre ses mains : mille exemples ont prouvé ce danger, et les papiers publics nous l’ont démontré il y a peu de temps, en nous faisant l’histoire d’un Maniaque qui, après avoir égorgé sa femme et ses enfants, s’est endormi avec tranquillité sur les victimes sanglantes de sa frénésie.
Mais on ne peut dissimuler ici qu’on néglige cette précaution et que les Insensés errants ne sont pas même toujours arrêtés, parce qu’on manque de lieux pour les placer, ou parce que les Communautés chargées de payer les frais de capture et ceux de la pension du Fou, ne se pressent pas d’avertir la Partie publique, ou même éludent de le faire.
On pourra éviter ces deux inconvénients, en désignant les Dépôts et quelques Hôpitaux dans chaque Généralité pour recevoir les Insensés et en prenant des mesures pour que les Communautés ou autres personnes chargées de déclarer l’existence d’un Insensé, le fassent incessamment.
A l’égard de la manière dont on doit s’assurer de ces malheureux, elle paraît exiger une attention particulière ; car les surprises effrayantes et les menaces leur sont souvent pernicieuses et aggravent singulièrement leur état, surtout lorsqu’on les arrête dans des intervalles lucides. Si les liens sont quelquefois nécessaires, il faudrait du moins leur ôter ce qu’ils ont de cruel et d’humiliant ; mais les mauvais traitements, et principalement les coups, doivent être regardés comme des attentats dignes d’une punition exemplaire.
Il est sans doute bien difficile d’éviter tous les abus de ce genre ; mais il paraît du moins que le plus grand nombre serait prévenu par des ordres et de la surveillance, de la part des Officiers qui commandent ceux qui sont chargés d’arrêter les Insensés.
Il n’est pas moins essentiel de disposer convenablement les lieux destinés à recevoir ces malheureux ; ces lieux sont de deux sortes : les uns sont destinés au traitement et les autres à contenir ceux qui n’y sont pas soumis.
A l’égard des premiers, on ne peut se dispenser d’avoir des salles pour les diverses espèces de Fous ; savoir les Furibonds, les Insensés tranquilles et ceux qui sont en convalescence.
Il faut encore que ces salles soient très aérées et éloignées du feu, que chaque malade couche seul et qu’il y ait dans le voisinage un lieu destiné aux bains.
Les personnes chargées du soin de ces malades doivent être singulièrement choisies, puisque leurs fonctions exigent en même temps une grande force de corps, de l’humanité, de la présence d’esprit et de l’adresse ; qualités difficiles à réunir, et encore plus à conserver longtemps dans un emploi aussi essentiel.
On gagnerait sans doute beaucoup du côté des soins et de la vigilance si l’on pouvait établir des lits mécaniques qui pussent contenir les malades sans les gêner, dans une ou plusieurs attitudes, et qui les empêchassent de faire des mouvements violents ; mais cette ressource, quoique possible, n’est pas la première à mettre en usage dans un moment où l’on cherche à rectifier le service dans les points les plus essentiels.
On verra dans la seconde partie de cette Instruction tout ce qui doit être ajouté aux précautions ci-dessus, relativement au local destiné au traitement ; ce qu’on va dire maintenant regarde les lieux où l’on place les Insensés de toute espèce, réunis dans les Maisons de force.
On a déjà observé plus haut qu’en séquestrant seulement de la Société les malheureux dont l’esprit est aliéné, on ne remplissait pas entièrement les vues qu’on doit se proposer et l’on a prouvé que, dans tous les cas, il était essentiel de traiter d’abord les malades, surtout lorsque la folie est commençante ; mais quand on a employé inutilement toutes les ressources nécessaires pour la guérison, ou lorsque la démence est ancienne, on ne doit pas croire que les malades ne guériront point, puisque l’expérience démontre qu’il arrive souvent des révolutions heureuses dans ces individus, qui reviennent entièrement à la raison au moment où on s’y attend le moins.
Qu’on juge d’après cela combien il est important de ne mettre aucun obstacle à ces guérisons naturelles, et combien on a à se reprocher toutes les manœuvres qui, au lieu de tendre à ce but, ne font que plonger davantage ces malheureux dans une aliénation d’esprit plus considérable que celle qu’ils ont apportée dans les Maisons de force.
Il est donc nécessaire que les lieux où ils sont placés et les soins qu’on prend d’eux concourent ensemble au soulagement, à la guérison et à l’amélioration de l’état des malades :
1° Il faut qu’il règne dans ces lieux un air pur et que l’eau y soit salubre. Ces précautions sont d’autant plus essentielles que la plupart des Insensés prennent fort peu d’aliments solides, et ne se nourrissent, pour ainsi dire, que d’air et d’eau.
2° Il faut y pratiquer des promenades qui leur procurent la douceur et la liberté de respirer un air libre ; car quelqu’Insensés qu’ils soient, la plupart de ces infortunés ont l’intelligence de leur captivité et le sentiment des douceurs qu’on leur procure : ces promenades doivent être ombragées, pour éviter qu’ils ne s’exposent au soleil ; car l’insolation prolongée cause à tout le monde des vertiges et a produit plus d’une fois la folie : telle a été celle qui frappa les habitants d’Abdère, pour avoir assisté pendant l’ardeur du soleil à la représentation de l’Andromède d’Euripide ; telle fut, suivant quelques Historiens, l’origine de la maladie de Charles VI Roi de France.
3° Le département sera divisé en plusieurs corps de logis, ayant chacun leur cour.
Chaque corps de logis formera un carré dont le centre sera la cour et les quatre côtés seront les bâtiments élevés en un seul étage.
Il régnera une galerie couverte le long des quatre faces du bâtiment intérieurement et cette galerie, ainsi que les logements, seront de plain-pied, mais élevés de trois pieds au-dessus de la cour.
On placera aux quatre angles du carré des chambres ou dortoirs pour rassembler les Insensés pendant le jour ; et le reste des bâtiments sera divisé en loges de huit pieds carrés, qui seront éclairées par une lanterne grillée, placée dans la voûte.
Chaque loge aura son lit composé d’une couchette solide, scellée dans le mur ; d’une paillasse remplie de paille d’avoine ; d’un traversin de même qualité et d’une couverture ; et on attachera au lit quelques anneaux de fer, en cas de besoin.
Près de la porte, il y aura un banc de pierre scellé, et un autre plus petit dans la loge même.
Au centre de la cour, il y aura un bâtiment dans lequel seront placées plusieurs baignoires de pierre, où l’eau arrivera froide et chaude, au moyen des pompes qui la puiseront dans les réservoirs voisins.
A l’égard des latrines, outre celles qu’il faut placer dans chaque cellule, il y en aura dans le milieu de chaque face du carré, qui seront disposées de manière que les Insensés ne puissent pas s’y jeter ni s’y blesser. Une pompe voisine servira à les laver autant de fois que cela sera nécessaire ; et l’on fera régner, sous celles des loges ou cellules, un conduit qui, au moyen de l’eau qu’on y fera couler, entraînera toujours les immondices.
Ce genre de construction, aussi salubre qu’on peut le désirer, isole chaque Insensé et procure en même temps le moyen d’entretenir la plus grande propreté et de baigner ceux auxquels ce genre de remède est prescrit.
Il y aura un département, ou corps de logis, pour les Imbéciles, un second pour les Fous violents, un troisième pour les Fous tranquilles et un quatrième pour ceux qui auront des intervalles lucides d’une certaine durée et qui paraissent dans le chemin de la guérison.
Par ces divisions multipliées, on réunira les Insensés dont l’affection sera analogue et on séparera ceux dont les accidents seront opposés ; en même temps on éloignera des uns et des autres ceux qui seront dans le cas de sentir la douceur de la Société et on évitera par ce moyen les suites funestes de la contagion nerveuse qui se propage par l’imitation.
Cette dernière précaution paraît d’autant plus nécessaire qu’on ne peut se dissimuler que des cerveaux à moitié tournés et des convalescents douteux ne soient infiniment susceptibles des impressions de manie, dont ils ont les exemples perpétuels sous les yeux.
Et quand on considère que cette contagion gagne même les têtes les plus saines ; que la plupart des gens qui gardent les Fous ont, au bout d’un certain temps, la physionomie fort dérangée ; que plusieurs d’entre eux deviennent Imbéciles et quelques-uns même Maniaques, ainsi qu’on peut s’en assurer à Bicêtre et à la Salpêtrière, on jugera combien cette séparation est importante.
Mais enfin, quand le pouvoir de l’imitation en ce genre ne serait ni aussi grand, ni aussi sûr qu’on vient de le prouver, la nécessité de caser et séparer les différents genres de folie n’en serait pas moins démontrée aux yeux de l’humanité, puisque cette séparation épargnerait au moins à ceux qui ont des intervalles lucides, le coup d’œil désespérant de leur misère.
4° Le régime des Insensés a été jusqu’à présent absolument négligé, quoiqu’on connaisse depuis longtemps combien la nourriture influe sur le moral : le Bracmane qui ne vit que de lait et de végétaux a horreur du sang et ses mœurs sont très douces ; le Sauvage chasseur et anthropophage aime le carnage et toutes ses actions sont barbares. Certaines plantes rendent frénétiques, d’autres plongent dans l’imbécillité : les Orientaux, avec l’opium et d’autres drogues dont parle Kœmpfer, se procurent à volonté des délires furieux ou des extases délicieuses ; enfin les ivrognes et les crapuleux tombent souvent dans des manies épileptiques : n’en doit-on pas conclure qu’un régime délayant, tempérant et fondant, produira un effet contraire à celui des substances âcres, stimulantes, chaudes et vireuses, et qu’en conséquence il faut les interdire aux Insensés ?
Ainsi il faut régler leur régime d’après ces vues.
La boisson habituelle sera une décoction d’orge édulcorée avec la réglisse et acidulée avec la crème de tartre : si l’on permet quelquefois le vin, ce ne peut être que par exception ; mais l’eau-de-vie étant infiniment pernicieuse, on n’en souffrira jamais dans les départements.
On ne donnera de la viande que deux fois par semaine ; dans tous les autres temps la nourriture sera composée de légumes cuits à l’eau et au beurre, tels que les carottes, les concombres, l’oseille, la chicorée, les fèves et les lentilles, en observant cependant de ne pas donner deux fois par jour des légumes farineux.
La quantité de pain sera d’une livre et demie par jour et ceux qui refuseront des aliments solides auront une pinte de lait : du reste, comme il est nécessaire que chaque Insensé suive le régime qui lui convient le mieux, le Médecin ou le Chirurgien fixera chaque jour les doses et les qualités des aliments ci-dessus.
5° Le vêtement des Insensés est sans doute plus difficile à régler que leur nourriture parce que ces malheureux les déchirent et que, d’un autre côté, la plupart ne veulent pas les garder sur eux ; c’est probablement pour cette raison qu’on a négligé cette partie essentielle du régime dans les Maisons de force, où l’on observe que les uns sont presque nus, et les autres couverts seulement de quelques haillons.
Il paraît néanmoins que pour entretenir la santé, et même la rétablir, il est nécessaire de tenir ces malheureux suffisamment et proprement vêtus.
On leur donnera une chemise blanche tous les huit jours ; les hommes et les femmes auront une robe longue, fermée par le bas ; et les uns et les autres une camisole nouée par derrière avec des rubans de fil, un pantalon large, dans le genre de celui des Matelots, et un bonnet d’homme.
Ces vêtements seront de toile de treillis, doublée en hiver et non doublée en été ; leurs bas seront de fil d’étoupes, et leur chaussure, des sandales.
Les Insensés retenus dans leurs cases auront, au lieu de pantalon, une demi-jupe de toile, comme celle des Brasseurs et des Boulangers.
Ce genre d’habillement, infiniment plus difficile à ôter que les autres, peut convenir à tous les Insensés et, avec une surveillance suffisante, on ne craindra pas qu’ils ne l’ôtent mal à propos, ni qu’ils le déchirent.
On doit observer ici qu’il est essentiel à tous égards que la tête des Insensés soit rasée, puisque sans cette précaution la vermine les gagne et qu’outre cela, les lotions de tête, si nécessaires dans la plupart des démences, sont beaucoup plus efficaces lorsqu’il n’y a point de cheveux.
6° Les soins qu’on doit prendre des Fous qui ne sont pas soumis expressément au traitement, doivent néanmoins s’y rapporter puisque les uns peuvent guérir avec le temps par le seul régime, que plusieurs autres exigent des soins particuliers relatifs à leur situation présente et qu’enfin il y en a beaucoup qu’on doit soumettre de nouveau au traitement, et qui guérissent au second ou au troisième.
Il ne suffit donc pas de traiter d’une manière générale tous les Insensés renfermés dans les Maisons de force, il faut aussi qu’ils soient classés suivant leur état de santé et suivant les vues qu’on a sur leur traitement présent, prochain ou éloigné.
D’abord la classe des Imbéciles ne donnant aucun espoir de guérison, et reléguée dans un département particulier, n’admet que les soins généraux que l’humanité prescrit et dont on a parlé ci-dessus.
À l’égard des autres, on les prépare au traitement par divers moyens, mais principalement par des bains plus ou moins répétés qui sont prescrits par le Médecin ou le Chirurgien, ainsi que quelques remèdes qui souvent conduisent à la guérison, sans en venir aux moyens héroïques, comme on le verra dans la seconde Partie.
Les Officiers de santé feront donc une visite, chaque jour, pour prescrire à chacun ce qui lui convient en régime et en médicaments, et pour faire le triage de ceux qu’ils jugeront en état de passer dans le grand traitement.
S’il est nécessaire que les Surveillants et les Serviteurs destinés aux salles de malades actuellement traités soient vigilants, sages, doux et fermes, ces qualités ne sont pas moins essentielles dans ceux qui gardent et soignent les Insensés dans les Maisons de force. Les liens qu’on est obligé de mettre en usage exigent autant d’adresse que de prudence. Les coups doivent être proscrits et punis sévèrement.
Ces Gardiens doivent rendre compte aux Officiers de santé des progrès en bien ou en mal qu’ils observent dans les Insensés ; entretenir la plus grande propreté dans les dortoirs, les cours, les loges, les latrines et les vêtements.
Il doit y avoir une règle qui fixe les heures des bains, des distributions d’aliments et de médicaments, l’ouverture et la fermeture des loges, les rechanges de vêtements et de linges : l’hiver, les dortoirs où se rassemblent les Insensés, seront échauffés pour le temps qu’ils y resteront et dans tous les temps il faut qu’ils soient suffisamment surveillés.
Tel est le plan qu’il faut suivre pour ramener un grand nombre d’Insensés à la raison et remplir en même temps les vues d’humanité qu’on doit exercer envers ces malheureux. On va maintenant s’occuper du traitement particulier des Malades, en entrant dans tous les détails qui ont des rapports essentiels avec celui qu’exigent habituellement ceux dont on a parlé jusqu’ici.
Seconde partie
Traitement.
Division des maladies qui affectent l’esprit. En quatre classes.
Les maladies qui peuvent attaquer les facultés intellectuelles de l’homme sont très multipliées : les unes pervertissent le sentiment, les autres bouleversent l’imagination ou flétrissent la mémoire ; enfin les plus fréquentes et les plus dangereuses sont celles qui détruisent le jugement.
Il n’est point question ici de décrire toutes ces différentes maladies, mais on présentera le tableau des symptômes et du traitement de celles qui sont les plus remarquables, soit parce que les autres peuvent s’y rapporter, soit parce que ce sont les seules auxquelles le Gouvernement accorde des secours.
Tous les différents degrés d’aliénation d’esprit peuvent se rapporter à quatre genres de maladie ; la Frénésie, la Manie, la Mélancolie et l’Imbécillité.
1ère Classe. La Frénésie.
La frénésie est un délire furieux et continu, accompagné de fièvre : tantôt elle est un symptôme alarmant qui se développe dans les maladies aiguës, tantôt elle est produite par une affection primitive du cerveau et forme par elle-même une maladie essentielle. Mais de quelque espèce qu’elle soit, elle est souvent la source d’où découlent toutes les autres maladies qui affectent la tête, telles que la manie et l’imbécillité, qui en sont les suites fréquentes.
Division de la frénésie. Frénésie symptomatique ou fausse.
La frénésie qui dépend d’une autre maladie s’appelle symptomatique ; elle a lieu dans les fièvres malignes, quand il se fait un transport de la matière morbifique au cerveau ; elle se déclare dans les pleurésies où le diaphragme est affecté, comme l’ont prouvé plusieurs célèbres Observateurs et entre autres Boërhaave et M. Boucher : elle est commune dans la fièvre milliaire et dans la petite vérole : les grandes douleurs, telles que celles de l’oreille, suscitent la frénésie, et cette observation est d’Hippocrate. Enfin, Sydenham a fait voir que des causes opposées pouvaient produire le même effet, en démontrant que la faiblesse produit quelquefois des aliénations d’esprit, accompagnées de fureur ; mais l’observation de ce célèbre Auteur a plus de rapport à la manie qu’à la frénésie, comme on le verra par la suite.
On ne doit s’arrêter ici à cette espèce de frénésie, fausse ou symptomatique, que pour conclure trois choses ; la première, qu’on la reconnaît aux signes d’une autre maladie et en ce qu’elle ne se développe pas dès le commencement ; la seconde, que tout son traitement consiste à bien connaître les maladies dont elle est la suite ; la troisième, que la fausse frénésie mal gouvernée, ou se terminant mal, a les mêmes effets que la frénésie vraie.
La frénésie fausse a les mêmes effets que la vraie sur l’entendement humain.
Frénésie vraie, ses signes, son caractère et ses effets.
Celle-ci se reconnaît aux signes suivants : elle est subite et violente ; la douleur de tête est considérable et inflammatoire ; l’habitude du corps le plus souvent pléthorique ; les yeux et la face sont rouges ; il y a des songes effrayants ou de l’insomnie et la démence est sensible dès les premiers instants. Les jeunes gens, principalement ceux qui sont d’un tempérament bilieux-sanguin, ou adonnés aux boissons spiritueuses, y sont sujets : elle est fréquente dans les pays chauds, où elle est connu sous le nom de calentura : bientôt le pouls devient très dur et très fréquent, les idées sont tout à fait dépravées, les désirs et les actions du malade n’ont aucun but raisonnable, sa voix est changée, ses paroles sont brusques et téméraires, son regard est féroce ; quelquefois il vient du sang par les narines. Quand la maladie ne peut point être arrêtée, il s’établit un vomissement érugineux, les yeux deviennent secs ; les malades crachent fréquemment et avec indécence ; enfin les évacuations se suppriment, ils tombent dans l’assoupissement ou dans les convulsions, ce qui termine leur vie, du quatrième au septième jour. À l’ouverture du cadavre, on trouve les méninges enflammées, des abcès gangréneux au cerveau, ou une humeur ichoreuse qui a rongé sa substance.
Traitement de la frénésie vraie.
Cette terrible maladie est la moins difficile à guérir de toutes les affections du cerveau ; mais il faut y apporter du remède avec la plus grande célérité ; car le siège du mal étant dans un viscère aussi délicat et aussi important que le cerveau, il n’y a qu’une seule voie de guérison, la résolution.
Pour l’obtenir, il faut débuter par de grandes saignées et commencer par celle du pied, qu’on répètera deux ou trois fois ; ensuite on passera à celle de l’artère temporale et à celle de la jugulaire, en les faisant toujours grandes et copieuses. La Nature a démontré la nécessité des saignées fortes dans ces occasions, en guérissant les Frénétiques par des hémorragies abondantes.
Si le malade est sujet aux hémorroïdes, la saignée se fera par l’application des sangsues à l’anus : on doit, dans tous les cas, observer cette partie car les hémorroïdes sont quelquefois critiques dans cette maladie et cette crise a besoin d’être favorisée.
Les boissons seront abondantes, froides, délayantes et anti-phlogistiques. Dans l’intervalle de chaque saignée on donnera, s’il est possible, deux lavements, l’un purgatif et l’autre émollient.
Dès le moment de l’invasion de la maladie, on rasera la tête ou on coupera les cheveux ; on y appliquera ensuite le bandage, qu’on appelle bonnet d’Hippocrate, et on aura soin de le tenir toujours mouillé en l’humectant avec des éponges trempées dans un mélange d’eau et de vinaigre froid. Il est reconnu qu’il est très important de donner au ventre beaucoup de relâchement : au défaut d’une diarrhée naturelle, qui a été plusieurs fois salutaire, on en procurera une artificielle par le moyen d’un purgatif qu’on placera après le relâchement produit par les saignées. Ce purgatif sera un peu drastique mais on en corrigera l’effet par le moyen de la semence d’anis, ou de tel autre aromate, et par un calmant administré le même jour. Le lendemain du purgatif, on plongera le malade dans un bain tiède et on lui donnera la douche froide, plus ou moins longue suivant la force et le degré du mal. Enfin on appliquera de bonne heure de très larges vésicatoires aux jambes ; parce qu’on a éprouvé que les douleurs de jambes étaient favorables à cette maladie.
Bon traitement de la frénésie à l’Hôtel-Dieu de Paris : il peut encore être perfectionné.
C’est à cette méthode, ou à des moyens semblables, que certains Hôpitaux doivent leur réputation pour le traitement des Fous : celle de l’Hôtel-Dieu de Paris est la mieux méritée mais il y manque encore des choses essentielles ; un emplacement plus vaste pour séparer les malades, que la confusion doit empêcher quelquefois de bien suivre ; un local plus aéré, si nécessaire à des malheureux dont la tête est bouillante ; des baignoires plus multipliées et placées dans un lieu qui ne soit pas si près des malades et dans lequel l’air ne soit pas stagnant ou étouffé.
Au bout de sept ou huit jours dans la frénésie vraie, et beaucoup plus tard dans la frénésie fausse, la fièvre disparaît ; et si la résolution n’a pas eu lieu, ou qu’elle ne soit pas complète, le délire furieux persiste toujours avec plus ou moins d’énergie. Quelquefois, mais rarement, l’engorgement qui reste n’est pas considérable et la Nature suffit pour le guérir, comme on voit se dissiper par degrés l’imbécillité qui succède aux fièvres malignes exquises. Le plus souvent, quand la résolution n’est point opérée d’une manière convenable, il reste une manie plus ou moins féroce, ou bien une imbécillité. C’est ainsi que Van-Swieten l’a vue arriver, non seulement après des frénésies vraies, mais encore après des fausses. Parmi celles-ci, une des plus communes, suivant cet excellent Observateur, est celle qui est produite par la suppression des lochies dans les nouvelles accouchées.
Quand la frénésie ne se termine pas par résolution, elle se change en manie.
Deuxième classe. La Manie : caractère, symptômes et différences de la Manie.
La Manie est un délire constant, sans fièvre ; car s’il survient quelque fièvre aux Maniaques, elle ne dépend pas de l’affection du cerveau mais de toute autre circonstance que le hasard fait naître. Les Maniaques ont pour symptômes une force de corps surprenante, la possibilité de supporter la faim, la veille et le froid beaucoup plus longtemps que les autres hommes sains ou malades ; leur regard est menaçant, leur figure sombre, desséchée et famélique : les ulcères aux jambes leur sont familiers, leurs excrétions sont très souvent supprimées ; ils ont le sommeil rare, mais profond ; leur veille est agitée, turbulente, pleine de visions, d’actions déréglées et souvent très dangereuses pour ceux qui les environnent. Quelques-uns ont des intervalles assez tranquilles ; d’autres ont des accès continus ou très fréquemment redoublés.
On trouve le cerveau des Maniaques sec, dur et friable ; quelquefois la partie corticale est jaune ; d’autres fois on y observe des abcès ; enfin, les vaisseaux sanguins sont gonflés d’un sang noir, variqueux, tenace dans certains endroits et dissous dans d’autres.
Causes diverses de la Manie.
Ces différents désordres dans l’organe du cerveau ont plusieurs causes : tantôt c’est un noyau inflammatoire qui n’a pu se résoudre, comme lorsque la manie succède à la frénésie vraie ; tantôt c’est la métastase d’une humeur morbifique quelconque, comme dans la fausse frénésie ; la chaleur, l’inanition, les poisons, les passions, les chutes produisent directement la manie ; et d’après ces causes multipliées, on ne doit point être étonné que ce genre de folie soit si commun.
Traitement général de la Manie.
La manie qui succède à la frénésie, celle qui est produite par une métastase sanguine, ou même par une métastase humorale, chez les gens robustes ; celle qui est causée par la chaleur ou qui doit son origine à une passion violente ou à une chute, doivent d’abord être traitées comme la frénésie vraie : des saignées répétées, des purgatifs, des bains tièdes, des douches froides, des cautères, des sétons ou des ulcères artificiels, voilà la marche générale ; mais il y a cependant une grande différence dans la manière d’appliquer ces divers remèdes dans la frénésie ou la manie.
Remarques sur la saignée.
1° Quoique les saignées doivent être faites avec hardiesse dans la manie, il faut pourtant y mettre plus de restriction que dans la frénésie qui est une maladie très aiguë et commençante ; cette restriction sera d’autant plus nécessaire que la maladie sera ancienne. Quand on saigne outre mesure dans la manie, on voit, à la vérité, la fureur se dissiper mais cette amélioration apparente est un soulagement perfide ; ce mieux n’est dû qu’à l’affaiblissement du sujet, et il tombe souvent dans une imbécillité incurable : néanmoins la saignée doit être regardée comme un excellent remède dans la manie quand on n’exténue pas le malade et qu’on tire du sang des lieux convenables.
Comme il est plutôt question de dégorger le cerveau que de diminuer la masse des liqueurs, on préférera de tirer du sang de la tête, soit en ouvrant la temporale ou la jugulaire, soit en appliquant des sangsues ou des ventouses.
Hildan rapporte plusieurs cas de guérisons subites par l’ouverture de l’artère temporale, ou l’application des sangsues à la même partie ; mais ceux dans lesquels la saignée paraît le plus constamment triomphante, sont ceux dont la manie est due à la suppression d’un flux sanguin.
Sur les purgatifs.
2° L’administration des purgatifs est encore bien plus essentielle que la saignée ; car il est bien des manies qui peuvent se guérir sans tirer du sang, tandis qu’il en est fort peu qui n’aient besoin de purgations même répétées, pour abattre la raréfaction du sang, atténuer et expulser les humeurs poisseuses et épaissies. Mais pour que les purgatifs puissent produire l’effet qu’on en attend, il faut qu’ils soient précédés de boissons tempérantes et fondantes, d’un régime humectant et des bains tièdes, qui rentrent dans la même indication : on administrera ensuite les purgatifs graduellement, en commençant par les plus doux, qui sont des cathartiques ; viendront ensuite les plus forts, dont on augmentera la dose, pour aller jusqu’aux drastiques ; en observant toutefois de corriger la secousse produite par ces remèdes actifs, en donnant le jour même un ou deux grains d’opium.
Les Médecins de tous les âges se sont réunis pour applaudir à cette conduite : les Anciens commençaient par prescrire l’épithyme, l’agaric et quelques autres remèdes semblables : mais ces purgatifs n’étaient, pour ainsi dire, que préparatoires et ils faisaient consister le point essentiel de la cure dans l’usage de l’ellébore, comme tout le monde le fait. Ils préparaient à Antycire, île de l’Archipel, l’ellébore noir et blanc de manière à corriger leur qualité trop mordante : ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils guérissaient beaucoup plus de Maniaques que nous ; et c’est vraisemblablement pour ce sujet, dit Lorry, qu’ils n’étaient pas obligés d’enfermer ces malheureux comme nous le faisons. Quelques exemples heureux de l’application de ce remède, dans des cas désespérés, observés par ce savant Médecin ; plusieurs autres tentatives également favorables dans la main des Charlatans, par le moyen de ce même médicament, sont des faits authentiques et puissants qui doivent nous engager à recourir aux préparations d’ellébore, quand les malades auront été bien préparés et que les premiers purgatifs auront échoué.
Sydenham a obtenu de grands succès dans la cure de ces maladies, en faisant un fréquent usage de la racine de bryone, dont les propriétés sont très analogues avec celles de l’ellébore. Ce célèbre Médecin donnait un gros de racine de bryone dans du lait, ou une demi-once infusée dans du vin. Un Chirurgien de Paris, qui s’annonça il y a quelques années pour guérir les Fous, traita à Bicêtre plusieurs Maniaques, dont quelques-uns reçurent un soulagement très notable, quoique peu durable ; le remède qu’il administrait était un fort purgatif et il aurait peut-être eu plus de succès s’il eût persévéré dans cette administration.
Les bornes de cette instruction ne permettent pas d’exposer les moyens sur lesquels on pourrait s’appuyer pour démontrer la nécessité de revenir à l’ellébore : on les trouvera dans plusieurs Auteurs, entre autres dans le savant Traité de Lorry, de Melancholia, où il est prouvé que la manie a souvent son siège dans le ventre et dans la tête.
Il suffit de dire que l’ellébore noir peut être administré de plusieurs manières : d’abord on peut donner l’extrait de Rudius du Codex de Paris, à la dose de trente-six grains ou deux scrupules, dans une solution de manne ; ensuite on pourra prescrire l’infusion d’une once d’ellébore noir dans un verre de vin, à prendre en deux fois ; potion qu’on borne à demi-dose si l’effet est considérable : enfin la meilleure manière de donner l’ellébore est d’en prendre dix-huit grains ou un scrupule, de les triturer avec un morceau de sucre et un jaune d’œuf, et d’y verser cinq onces d’eau bouillante et une once d’huile d’anis. On ne conseille l’ellébore blanc que pour les malades qui seraient insensibles ou peu émus par l’ellébore noir ; on le donne à douze grains.
Sur les bains et les douches.
3° Les bains et les douches seront longtemps continués pour les Maniaques, et le moyen de les rendre efficaces est de les alterner avec les purgatifs, c’est-à-dire de purger un jour et de baigner l’autre.
On voit dans les Mémoires de l’Académie royale des Sciences, des exemples frappants de l’effet des applications froides sur la tête : un Auteur Anglais rapporte qu’un Maniaque fut guéri par l’application d’un bonnet rempli de neige. De tous les faits qu’on peut recueillir, il faut conclure que la meilleure méthode est de plonger le malade dans un bain modérément chaud, avec de la glace ou de la neige sur la tête, et de la tenir ainsi deux heures, au bout desquelles on la découvrira pour lui donner là douche à l’eau très froide.
Sur les cautères et les sétons.
4° Les cautères, les sétons, les ulcères artificiels seront utiles dans tous les cas, en suppléant aux évacuations qui se font difficilement ; mais ils seront très recommandables, surtout quand la manie aura été produite par la métastase d’une humeur virulente : on a tenté dans ce cas d’inoculer la gale, et cette vue n’est point à négliger.
Division des malades traités en trois classes.
Lorsque les différents Maniaques ci-dessus désignés auront été soumis au traitement que l’on vient de détailler, on observera l’effet que ce traitement aura produit sur eux, et d’après l’effet du traitement, on pourra les diviser en trois classes ; ceux dont les accidents seront dissipés, ceux qui n’auront éprouvé que du soulagement, enfin ceux chez lesquels le traitement n’aura pas opéré d’amélioration.
Les guéris, ce qu’il faut leur faire.
Les malades de la première classe, ou les convalescents, seront tout à fait séparés des Insensés : on leur donnera une sorte de liberté, ils seront mis à l’usage des bains froids ; on leur continuera les douches de temps en temps, en les éloignant toujours de plus en plus ; on les mettra à l’usage des sucs anti-scorbutiques, pour rafraîchir leur corps épuisé et desséché ; on leur prescrira de loin en loin des purgatifs moyens et on finira par les mettre à l’usage du lait.
Les soulagés, ce qu’il faut leur faire.
Ceux de la seconde classe, ou les soulagés, seront mis pendant quelque temps à l’usage des bouillons ou des apozèmes apéritifs, animés avec un sel neutre, tel celui de Glauber, ou bien on leur prescrira une eau minérale, qui remplira les mêmes indications : on continuera les bains tièdes fréquemment, on fera usage des bols savonneux pour concourir à procurer de la fluidité aux humeurs. Au bout d’un certain temps, si la saison est favorable, on recommencera le premier traitement : alors si les symptômes de pléthore et de sécheresse persistent, on insistera encore sur les saignées ; si la mélancolie ou la bile dépravée paraît dominer, et que le sujet ne soit pas vigoureux, on fera fort peu de saignées, ou même on n’en usera point du tout.
Les malades rebelles, ce qu’il faut leur faire.
On mettra dans la troisième classe ceux qui auront déjà été soumis plusieurs fois au traitement actif sans succès, et qui ne pourraient plus l’éprouver sans danger. La Médecine présente peu de véritables ressources pour ces malades : on a vanté beaucoup de médicaments comme très puissants dans ces sortes de cas, tels sont le cinabre, le mouron, l’aigremoine, la mélisse, le millepertuis : l’anarcade surtout a été préconisée comme étant douée de propriétés merveilleuses mais elle a fort peu de qualités actives ; et l’expérience d’ailleurs n’a pas décidé en sa faveur, on l’appelait autrefois l’antidote des Sages ; Hoffmann l’a nommée l’antidote des Fous.
L’expérience a été plus décisive en faveur de quelques autres remèdes, tels que le musc, le camphre et les narcotiques. Le musc donné à forte dose, c’est-à-dire jusqu’à un scrupule ; le camphre administré à demi-gros par jour, ont été employés avec efficacité par les Médecins Anglais et Allemands ; et l’efficacité de ces remèdes, dans toutes les autres maladies nerveuses, autorise encore la confiance qu’inspirent ces faits. Sydenham vantait les calmants unis aux cardiaques, mais seulement, pour être donnés après les purgatifs violents qu’il conseillait. Wepfer avait bien plus de confiance aux calmants ; car il donnait l’opium tous les jours aux Maniaques et, après l’avoir commencé à la dose de deux grains, il finissait par en donner quinze. Cet excellent Observateur assure avoir guéri plusieurs Maniaques par cette méthode, sans avoir été obligé de faire précéder les saignées.
Enfin, le hasard a servi à faire connaître les bons effets des narcotiques prescrits à forte dose. On lit dans les Actes des Érudits de Leipsick, le fait suivant : on avait donné à une fille maniaque une once d’onguent dans lequel il y avait un scrupule d’opium, pour qu’elle s’en frottât les tempes : l’Insensée avala cet onguent, et fut subitement guérie.
Les bains de mer ont été aussi célébrés, tant dans la manie que dans l’hydrophobie : ils ne produisent cependant autre chose qu’un effroi plus nuisible qu’utile. On pourrait conseiller les bains froids dans une autre indication, qui serait de susciter une fièvre artificielle, comme on a conseillé les bains de terre dans la phtisie : cette idée mériterait d’autant mieux d’être suivie qu’on a vu la manie guérie par la fièvre ou par une autre maladie ; et que lorsque les Maniaques sont attaqués de la maladie dont ils doivent mourir, la raison leur revient au moment où souvent les autres hommes la perdent dans les mêmes cas.
L’électricité a produit quelques variations sur les Maniaques, mais on ne peut encore citer de cures opérées par ce moyen.
Si le traitement que nous venons d’exposer convient, avec les exceptions qui y sont ajoutées, pour le plus grand nombre des Maniaques, il est quelques espèces de cette maladie pour lesquelles il serait très souvent nuisible.
Espèces de Manies qui exigent une modification particulière dans le traitement.
Ces espèces de manie qui exigent encore des modifications plus particulières dans le traitement peuvent se rapporter à trois : celle qui vient d’inanition, celle qui est produite par les passions de l’âme et celle qui est causée par les poisons.
Manie d’inanition.
Sydenham est le premier qui ait remarqué la manie produite par inanition ; elle succède à la fièvre quarte ou à la fièvre intermittente automnale, ou à telle autre maladie pour la cure de laquelle les saignées et les évacuations auront été trop fréquentes. Les malades portent sur leur figure tous les signes de l’épuisement ; mais on reconnaît principalement cette manie en ce que les plus légères évacuations l’augmentent et la renouvellent. Un simple lavement de lait, au jugement de Sydenham, peut guérir cette manie, en relâchant le ventre : il est donc évident qu’il faudra chercher les remèdes convenables à cette espèce de manie dans les analeptiques, tels que le riz, le gruau, les œufs frais ; les cordiaux, tels que le bon vin et les eaux distillées cordiales ; les toniques, comme le quinquina ; les fortifiants unis aux calmants, comme la thériaque. Sauvages rapporte qu’un Anatomiste de réputation, à Montpellier, âgé de soixante ans et tombé dans cette espèce de manie, ne fut guéri que par le diascordium et l’extrait de jusquiame.
Manie de passions.
Toutes les passions trop actives ou trop prolongées peuvent produire la manie ; mais il en est particulièrement qui ont ce triste pouvoir : l’étude continuelle mène à l’extase et de l’extase à la manie il n’y a qu’un pas.
Van-Swieten a observé que la colère ou le chagrin étaient fréquemment la cause de la manie qui naît dans les femmes en couche. Les Hôpitaux sont remplis d’infortunés à qui l’ambition ou des idées mystiques ont fait perdre la tête : la plupart de ces manies sont tristes et sombres ; il en est quelques autres de gaies. La manie que fait naître l’amour prend toutes sortes de caractères ; tantôt elle est vive et gaie, tantôt elle est sombre et mélancolique, quelquefois elle devient furieuse. Dans chacune de ces espèces, il faut appliquer les règles prescrites pour le traitement de la manie, avec les modifications suivantes pour chacune d’elles.
Dans les femmes attaquées de manie pendant les couches, lorsque la maladie n’est pas ancienne et qu’elles jouissent d’une certaine force, la saignée est nécessaire et doit même être répétée plusieurs fois si les lochies sont supprimées, la violence du mal exigeant alors de faire plus d’attention à l’effet qu’à la cause : dans celles dont la maladie est plus ancienne, ou qui sont moins pléthoriques, les purgatifs seront plus efficaces ; et au bout de fort peu de temps, si elles ne sont pas guéries, les unes et les autres rentreront dans la classe des Maniaques dont on a parlé ci-dessus.
L’érotomanie arrive presque toujours chez les jeunes gens, et la marche active y est nécessaire ; mais il vaut mieux multiplier les douches que de faire des saignées trop fréquentes et trop fortes. Il y a encore une autre précaution bien essentielle, c’est de veiller attentivement sur ces malades : la salacité, qui est un symptôme commun à tous les Maniaques, est portée à un point extrême dans ceux-ci et s’ils s’y abandonnent, ils tombent dans une faiblesse qui les rend incurables. Les remèdes qui abattent l’effervescence du sang et la fougue de l’imagination, les saignées, les bains, les douches, les boissons froides émulsionnées, seront les premiers employés ; ensuite on aura recours aux délayants, aux fondants apéritifs et aux purgatifs qui donnent de la fluidité aux humeurs. Souvent, dit Lorry, la gale, les dartres ou toute autre affection impétigineuse, ont guéri cette manie. On renouvelle facilement cette observation chez les femmes affectées de la fureur utérine ; car chez la plupart de ces infortunées, le mal a commencé par le dépôt d’une matière âcre et irritante sur les parties de la génération.
Nécessité plus urgente d’isoler ces malades.
C’est particulièrement les Maniaques qui ont perdu la raison par les passions, qu’il faut isoler et récréer autant qu’il sera possible ; car ils sont plus exposés que tous les autres à la contagion de l’imitation. Vanhelmont dit avoir appris de plusieurs Maniaques intermittents, que l’accès commençait par la contemplation d’une idée unique qui les poursuivait partout et qu’ils voyaient sans cesse malgré eux, comme si elle leur était présentée dans un miroir ; et il est tout naturel de croire que cette image unique et menaçante est plus forte encore chez ceux dont la manie a eu une source morale.
Manie des poisons.
Ce que les passions font germer dans nos veines, les plantes vénéneuses et les autres poisons peuvent le produire subitement ; le suc de stramonium et de jusquiame, les baies de solanum, le bois de couleuvre, produisent réellement un délire passager chez les gens les plus robustes, et une forte manie chez les gens délicats ; les personnes qui en ont pris une forte dose sont d’abord égarées et Maniaques, et tombent ensuite dans un assoupissement ou dans des convulsions mortelles : quand on a pris une dose moyenne, la manie est passagère, surtout si l’on y remédie promptement. Les symptômes de cette manie sont tour à tour effrayants et risibles, les malades enflammés par une imagination bizarre courent après des êtres chimériques ; quelquefois ils dansent, ils chantent et se déguisent d’une manière grotesque ; d’autres fois ils sont furieux, se font des blessures mortelles et ne ménagent pas davantage ceux qu’ils rencontrent. L’ivresse de notre pays indique fort bien le premier degré de cette manie, tandis que le dernier degré ne se voit guère qu’en Orient où des Musulmans fanatiques s’enivrent d’opium, au point qu’ils sortent comme des furieux, pour égorger tous ceux qui se trouvent sous leurs pas. Le traitement de cette sorte de manie dans les premiers instants consiste dans l’administration des vomitifs, et ensuite dans la boisson très abondante d’acides végétaux : si la maladie était portée à un degré fort grave, il faudrait la traiter comme une apoplexie, saigner une ou deux fois, insister sur les lavements purgatifs, donner une décoction de séné pour boisson et appliquer plusieurs vésicatoires.
On ne dit rien sur la manie produite par un défaut organique, ni sur celle causée par les vers dans le cerveau, parce que le diagnostic en est aussi difficile que la cure en est impossible. La manie héréditaire est dans le même genre, à moins qu’elle ne soit le produit de la faiblesse, ce qui la ferait rentrer dans le cas de la manie de faiblesse de Sydenham. On pourrait cependant ajouter dans cette hypothèse l’usage des eaux thermales sulfureuses, à l’intérieur et à l’extérieur.
La manie qui est à la suite d’un coup et d’une chute doit d’abord être traitée par la méthode générale ; et si l’on avait quelque signe de carie, ou quelque soupçon d’abcès, on pourrait tenter le trépan.
Troisième classe. Mélancolie.
La Mélancolie est un délire continuel qui diffère de la manie en deux choses ; la première, en ce que le délire mélancolique est borné à un seul objet qu’on appelle point mélancolique ; la seconde, en ce que ce délire est gai ou sérieux, mais toujours pacifique : ainsi la mélancolie ne diffère de la manie que du plus au moins, et cela est si vrai que plusieurs Mélancoliques deviennent Maniaques et que plusieurs Maniaques à demi guéris, ou dans l’intervalle de leur accès, sont Mélancoliques.
Caractère de la mélancolie.
La mélancolie tire son origine d’une trop grande ou d’une trop forte sensibilité morale, qui fait que l’on attache à un objet quelconque un prix trop grand ou une attention trop longtemps soutenue ; ce qui fait qu’on ne voit plus cet objet sous son véritable rapport. Une fibre grêle, des nerfs trop mobiles, l’oisiveté, une vie molle, des méditations métaphysiques, des chagrins profonds dévorés dans un long silence, voilà la cause de cette première impression de l’esprit, qui est la source de la mélancolie. On lui a donné peut-être assez faussement le nom de mélancolie nerveuse ; mais soit qu’on la considère comme une première maladie, ou seulement comme le concours des causes disposantes à la mélancolie, cela est indifférent, puisque la mélancolie nerveuse produit toujours dans les humeurs une dépravation humorale qui agit particulièrement sur la bile, et qui a eu de tous les temps la dénomination de mélancolie ; qu’elle consiste dans l’épaississement du sang imprégné d’une humeur étrangère, poisseuse et ærugineuse ; que l’effet de cette humeur hétérogène est d’engluer le ventre, en ralentissant les excrétions, et de dessécher le cerveau, soit en lui envoyant des vapeurs, soit en le privant de sa partie la plus fluide.
La mélancolie nerveuse n’est autre chose que le concours des causes morales qui produisent la mélancolie humorale.
Causes matérielles, ou nature de la mélancolie.
Symptômes de la mélancolie.
Les symptômes de la mélancolie sont la maigreur, un teint sombre, vert ou plombé, des taches brunes et quelquefois des excroissances adipeuses qui deviennent jaunâtres : l’élévation des hypocondres, des vents, des borborygmes, des anxiétés, la constipation, ou des déjections poisseuses, les urines d’un jaune-vert, des palpitations, un enchifrènement habituel, de la tristesse, de l’irascibilité, des bizarreries croissant sans cesse, enfin pour dernier degré, la préoccupation habituelle sur un objet, soit religieux, soit moral, soit de santé, soit physique, et les idées les plus fausses et les plus ridicules sur cet objet.
Traitement de la mélancolie.
C’est à la société de guérir les causes morales qui disposent à cette triste maladie, et c’est elle qui doit arracher ces herbes funestes lorsqu’elles sont tendres ; mais on ne peut considérer ici cette maladie qu’au moment où elle réclame les secours de la Médecine, c’est-à-dire quand elle est complète.
Lorsque les accès sont violents, que le sujet est pléthorique ou dans une circonstance qui peut faire craindre un reflux sanguin, comme dans l’âge critique des femmes, dans la suppression des règles, des lochies, ou dans tout autre cas semblable, il faut saigner hardiment. Lorry n’excepte pas même les personnes dont les nerfs sont mobiles et délicats. Sydenham, dit-il, saignait largement et avec succès dans l’affection hystérique et hypocondriaque : on peut encore ajouter que la maigreur ne doit pas faire illusion ; quoique maigres, ces malades sont très sanguins, leur pouls est dur et fort, et sans une ou deux saignées, les remèdes dont ils ont besoin seraient souvent infructueux.
Comment placer la saignée.
Les purgatifs doivent être tardifs, quelle est la manière d’y disposer.
Mais après la saignée il faut bien se garder, dans cette maladie, de passer subitement aux purgatifs, quels qu’ils puissent être. La cause matérielle de la maladie, contre laquelle tous les coups doivent être dirigés, est une humeur tenace, poisseuse, qui engorge les viscères et tapisse le canal intestinal ; mais en même temps la fibre est irritable, le genre nerveux très mobile : dans une pareille disposition, que produiraient les purgatifs ? Rien autre chose qu’une augmentation de mal : les parties les plus liquides seulement seraient expulsées ; le noyau deviendrait plus dur et la tension spasmodique plus forte. Ainsi, avant de purger, il faut délayer, détremper et commencer à mettre en fonte cette humeur visqueuse qui est le principe de la maladie ; dès lors la marche est connue. Des tisanes légèrement apéritives, le petit lait, quelques prises de crème de tartre, des bains tièdes, un régime humectant : on passera ensuite aux fondants plus actifs, comme aux sucs d’herbes, aux bols savonneux, aux pilules composées avec la gomme ammoniaque, la crème de tartre et le mercure doux ; enfin, quand l’humeur sera devenue mobile, ce qu’on apercevra, soit par la nature et l’abondance des excrétions, soit par la diminution des symptômes, on pourra purger et faire en sorte que les purgatifs se suivent rapidement. Les eaux minérales, apéritives et ferrugineuses sont très recommandées dans la convalescence de cette maladie. Si l’amélioration n’était pas fort sensible, ou qu’elle ne se soutînt pas, on saisirait un accès pour recommencer le traitement antiphlogistique ; on ferait succéder aux délayants, des purgatifs plus forts, dont on augmenterait par degrés l’efficacité, jusqu’à l’usage de l’ellébore, comme dans la Manie. La douche, le séton et les autres moyens ultérieurs cités dans l’article précédent, seraient tentés pour dernière ressource.
Quatrième classe. L’imbécillité. Caractère de l’imbécillité.
L’Imbécillité, qui est le degré le moins effrayant et le moins dangereux de la folie, en apparence, est cependant, à juger bien sainement, le plus fâcheux état de l’esprit puisqu’il est le plus difficile à guérir. Les Imbéciles ne sont ni agités, ni furieux ; rarement sombres, ils montrent un visage stupidement gai et sont à peu près les mêmes, soit qu’ils jouissent, soit qu’ils souffrent. L’imbécillité est la suite de la Frénésie, de la Manie, de la Mélancolie longtemps prolongée. La sécheresse du cerveau la produit dans les vieillards ; la mollesse ou l’infiltration de ce viscère la fait naître chez les enfants ; les coups, les chutes, l’abus des liqueurs spiritueuses, la masturbation, un virus répercuté, en sont les causes journalières et elle est une suite assez ordinaire de l’apoplexie.
Causes de l’imbécillité.
Imbécillité venue à la suite d’une maladie d’esprit.
Lorsque cet état est la suite ou le dernier période d’une autre maladie, il offre peu d’espérance. La fibre a perdu son ton, les nerfs sont sans énergie, le sang est à demi décomposé et les forces ont déjà été épuisées par les remèdes dont les malades ont fait usage. L’humanité exige cependant qu’on n’abandonne pas encore ces malheureux et cette attention est d’autant plus nécessaire qu’on en voit quelquefois guérir avec le temps par les seules forces de la Nature. La première chose à faire est de les restaurer par de bonnes nourritures ; ensuite on leur fera prendre des eaux thermales factices, on les purgera avec la racine de bryonne et le jalap infusés dans l’eau-de-vie, ce qu’on appelle l’eau-de-vie d’Allemagne, et on essaiera ce que peuvent faire les bains froids et les douches. Dans le cas où ces malades seraient épuisés par les remèdes antérieurs, ou d’une constitution trop faible, on les traiterait comme les Maniaques d’inanition, et on y ajouterait des commotions électriques dont l’utilité, dans ces cas de faiblesse et d’apathie, est démontrée sans qu’il y ait aucun risque à courir.
Imbécillité d’épuisement.
L’Imbécillité produite par la masturbation ne pourra être attaquée que par les analeptiques, les toniques, les eaux thermales, les frictions sèches, et il n’y a pas d’inconvénient à tenter l’électricité.
Imbécillité traumatique.
Les coups et les chutes ne produisent l’Imbécillité que par des abcès, des caries ou des épanchements séreux : si l’on n’ose pas tenter le trépan, on pourra du moins appliquer des cautères derrière les oreilles ; quelques Auteurs même ont proposé d’appliquer le moxa sur la tête. Les Anciens appliquaient le feu le long de l’épine du dos, avec une hardiesse dont l’idée nous fait frémir, mais aussi ils avaient plus de succès que nous dans les maladies que nous regardons comme incurables. Si les sujets sont robustes, les purgatifs ne sont point contre-indiqués et on les choisira dans les drastiques les plus forts.
Imbécillité par un virus répercuté.
Si l’on soupçonne qu’un virus répercuté est la cause de l’Imbécillité, il n’est rien de meilleur que d’inoculer la gale et ce moyen même pourrait être tenté sur tous les Imbéciles, quand on n’aurait tiré aucun profit de celui qu’on aurait cru d’abord le plus efficace. Non seulement il y a lieu de conjecturer que plusieurs de ces malades se trouveraient bien de la révolution opérée par la nouvelle maladie mais on pourrait espérer que les purgatifs, qu’on emploierait ensuite pour guérir la gale, seraient avantageux pour un certain nombre : si le virus répercuté était celui d’un ulcère, on emploierait les moyens propres à le renouveler.
Par les poisons.
L’ivresse et les poisons produisent une imbécillité passagère, qu’on traitera comme la Manie ; et si elle persévérait, elle exigerait les purgatifs et les fortifiants.
Par l’apoplexie.
Enfin, l’Imbécillité qui est la suite de l’apoplexie sera attaquée par les cautères, les eaux thermales, les purgatifs drastiques. La commotion électrique est d’autant plus recommandable en ce cas, que plusieurs membres sont ordinairement paralysés ; quelques observations modernes prouvent que la teinture de cantharides a eu de l’efficacité en pareille circonstance ; mais c’est un remède délicat, qui ne peut être administré que sous les yeux d’un Médecin sage et éclairé.
1 D’après l’édition originale de 1785, A Paris, De l’Imprimerie Royale.