Sémantique politique de l’informatique libre
Par Frederic Couchet
La révolution du libre est en marche depuis près d’une quinzaine d’années, et rien ne semble l’arrêter pour le moment. En partie grâce à Linux, le libre suscite l’intérêt des médias et des décideurs. Cet engouement n’est pas sans une tendance à dénaturer la philosophie du Libre Logiciel. C’est ce qu’amplifie, par exemple, l’utilisation abusive par la presse nationale du terme « logiciel Open Source » en lieu et place de « logiciel libre » (« Free Software »).
On peut comprendre que des anglophones utilisent le terme, pour lever l’ambiguïté de l’anglais sur le mot « free » qui veut d’abord dire libre, mais peut être interprété comme voulant dire gratuit, selon son usage vulgaire et commercial. Il n’y a pas de telle ambiguïté en français, et l’utilisation abusive d’un terme anglais non justifié ne fait que révéler une incompréhension du phénomène dont il est question, de sa philosophie, de sa culture, de ses enjeux. Ainsi, Richard M. Stallman est à l’origine du mouvement du logiciel libre et non pas de l’initiative Open Source (TM). Querelle de clocher ? Non, importance de la sémantique du logiciel libre. Le mouvement du Free Software a été fondé en 1984. Le projet GNU fait partie de ce mouvement ainsi que le système d’exploitation GNU/Linux, souvent appelé « Linux », qui est en grande partie (mais pas totalement) issu du mouvement du Free Software. Ce mouvement véhicule des idées de liberté, de communauté et une certaine vision de société, à travers le logiciel libre. L’initiative Open Source, fondée en 1998, a pour objet, en partie, de favoriser l’accession des non-informaticiens au monde du logiciel libre, en mettant en avant les aspects utilitaires de ces logiciels, mais sans aborder l’esprit philosophique de cette communauté.
On ne doit pas attribuer au mouvement Open Source ce qui ne lui est pas dû. Les concepts Free Software et Open Source Software sont très proches, car ils décrivent techniquement les mêmes logiciels, mais diffèrent dans leurs buts et cette différence est essentielle. L’importance du mouvement du Free Software est capitale et irremplaçable, et le succès de GNU/Linux est avant tout le sien.
A présent, l’existence du logiciel est reconnue internationalement et il est temps de revenir au fondement de ce mouvement : la liberté.
En effet, ne vanter que les mérites techniques des logiciels libres en négligeant leur philosophie conduit à une impasse. L’enjeu réel du logiciel libre est avant tout social et politique. Si les logiciels libres suscitent aujourd’hui un intérêt technique à court terme, leur avantage technique n’est que la retombée, après quinze ans de combat, d’un modèle qui vaut surtout par ses effets à long terme. Ne voir que le court terme, c’est s’exposer continuellement à retomber dans les pièges du logiciel propriétaire, c’est ne pas apprendre. Le vrai moteur du Libre Logiciel est bien la Liberté, terme devant être pris dans le sens civique, politique, du terme : liberté d’expression, liberté d’association, liberté d’entreprise, liberté d’user à sa guise de l’information disponible et de la partager, au bénéfice de chacun, donc de tous.
De plus en plus de personnes peuvent utiliser les logiciels libres pour leur côté pratique, mais cela n’accroit pas pour autant la communauté du logiciel libre, et ne la pérennise pas. Nous ne bradons pas notre liberté pour de simples questions de commodité. Nous devons soutenir le logiciel libre pour ce qu’il est, même si le logiciel propriétaire devait s’avérer plus puissant ou plus efficace. Les questions de liberté et d’intérêt social sont au centre des préoccupations du monde du libre.
Le mouvement du logiciel libre, se référant à l’utilité sociale, s’oppose à l’appropriation individuelle de la production intellectuelle dans le logiciel.
Profitant actuellement du succès des nouvelles technologies de l’information et de la communication, des groupes d’intérêt se mobilisent pour renforcer les droits de la propriété intellectuelle, au détriment de l’intérêt général qui veut que les connaissances soient un bien public universel, et également au détriment des droits fondamentaux que sont la liberté d’accès à l’information et la liberté d’expression. C’est oublier un peu vite que la motivation originelle et officielle de la propriété intellectuelle était et est toujours de préserver l’intérêt de l’humanité en reversant dans le domaine public une oeuvre qui survit ainsi à son créateur.
Finalement, le mouvement du logiciel libre prend racine dans un idéal qui postule la liberté absolue et le caractère universel du savoir et de l’information.