L’amour (électronique) a un prix
PAR Roberto Di Cosmo
Dans le ciel gris de notre monde qui glisse chaque jour vers un matérialisme impersonnel, des dizaines de milliers de personnes ont cru percevoir la semaine dernière un rayon de soleil, sous forme d’un message électronique qui disait contenir une déclaration d’amour provenant de personnes de leur entourage. Heureux, gênés, intrigués, ou tout simplement curieux, selon les cas, la plupart n’ont pas hésité à cliquer sur la « pièce jointe » (un document transmis à l’aide du courrier électronique).
Mais cette fois, l’amour a fait des ravages : en pensant « ouvrir » une lettre d’amour, ils ont en réalité déclenché, à leur insu, un programme qui a modifié le système, caché des documents, volé des mots de passe et, preuve que l’amour peut être contagieux, envoyé une copie de la lettre à toutes les personnes apparaissant dans leur carnet d’adresses [1].
On parle aujourd’hui de pertes astronomiques, on cherche les « responsables » à travers la planète (aux Philippines, en Australie, etc.), on nous explique que c’était un virus, mieux, un « virus de type ver » (en effet, comme avec toute catastrophe, le fait de lui trouver un nom précis semble aider à exorciser le mal).
Mais comme autrefois pour Mélissa et ses variantes [2], on oublie l’essentiel : les responsables, les vrais, n’habitent pas aux Philippines, et ne sont pas des virus informatiques.
Le vrai coupable est ce Virus Mental qui attaque le système nerveux des utilisateurs d’ordinateurs, les culpabilise, les empêche d’identifier les vrais responsables des défauts du logiciel, et les transforme en « TechnoCrétins », ces sujets fort malléables qui acceptent comme fatalités inéluctables, voir comme preuve de leur « ignorance » les conséquences néfastes de logiciels conçus par des entreprises multimilliardaires avec le plus grand mépris pour la sécurité des utilisateurs.
Est-il normal que d’un simple clic de souris, on puisse exécuter un programme contenu dans un message électronique, là où la plupart des utilisateurs s’attendent à trouver un document ? Est-il normal que ce programme, dont on ne sait rien, ait le droit, sur un simple clic, de ravager l’ordinateur de l’utilisateur dans ses moindres recoins ?
Est-il normal que l’on passe son temps à développer des « antivirus » pour réparer les dégâts, plutôt qu’à déployer des techniques de prévention simples mais efficaces ?
Est-il normal qu’on « oublie » de mentionner que le prix de cet amour dévastateur est aujourd’hui payé exclusivement par les utilisateurs de logiciels Microsoft, alors que les adeptes de systèmes alternatifs comme Linux, FreeBSD, Solaris, Mac OS X, BeOs etc. en sont, en bonne partie, protégés ? Est-il normal que des responsables informatiques continuent d’acheter les yeux fermés, et d’imposer aux utilisateurs, des logiciels monopolistes avec des tels défauts de sécurité, en ignorant les alternatives aujourd’hui disponibles ?
Voilà quelques questions de simple bon sens auxquelles la réponse est facile à trouver. Et pourtant, le jour où toute personne commencera à se les poser en attendant que le technicien passe réparer son ordinateur ravagé, on aura franchi un pas important en direction d’une informatique responsable et moderne.
PS :
Copyright © Octobre 2000 Roberto Di Cosmo. Ce texte à circulé sur de nombreuse mailing lists, avant d’être repris par la presse francophone. Roberto Di Cosmo : dicosmo@dmi.ens.fr
[1] Allusion à « I Love You », virus informatique qui fit de nombreux ravages à l’automne 2000. Note de samizdat.net
[2] Autre virus amateur de diffusion par « pièce jointe » dans les e-mails. Note de samizdat.