L'anarchie : entre bouddhisme politique et sectarisme activiste
Spartakus FreeMann
Anarchie, anarchiste, anarchisme, que de mots chargés de craintes et de fantasmes mais aussi d'espoir, d'humanisme et de liberté ! Faire un sondage sur le sens commun donné à ces termes serait assez révélateur. L'homo politicus moyen y voit une utopie dangereuse pour le libéralisme triomphant, ou pour l'avènement du prolétariat dictatorial ou, pire encore, comme une atteinte à la toute puissance de l'Etat-national ! L'homme et la femme de la rue ont, quant à eux, une conception tronquée de la signification politique et sociale véritable de l'anarchie, et l'activisme du début du XXe siècle n'a pas aidé à améliorer les choses. L'anarchie est alors ressentie comme une forme de satanisme politique, de recherche de la destruction pour la destruction et par la destruction, l'établissement du chaos comme loi universelle, un grand soir apocalyptique terrifiant et sanguinolent.
Ces conceptions "usuelles" proviennent de la mauvaise presse qui est faite aux anarchistes et à leurs revendications sociales et politiques ainsi que d'un enracinement au plus profond de la psyché collective du risque que peut représenter l'anarchie si elle était appliquée. La liberté semble, en effet, effrayer l'homme qui préfère se rattacher à l'Etat comme un enfant apeuré par la nuit. Il suffit de regarder l'histoire pour s'en convaincre, dès qu'un tyran est renversé, un autre est élu, désigné ou imposé pour prendre sa place. Et même la fameuse révolution française de 1789 nous prouve cet atavisme politique. Sitôt le roi décapité voilà qu'un Robespierre monte sur le trône républicain !
Qu'y faire me direz-vous ? Comment donner une vision juste du mouvement anarcho-libertaire ? Et bien voilà bien le genre de questions qui semble devoir rester sans réponse car si l'on fait un sondage parmi la population d'"homo anarchicus" (désolé pour ce barbarisme), on se rend compte que la coloration de l'anarchie vire du noir au rose fluo, et ce dans un flou doctrinal étonnant - désolé pour nos pères fondateurs. Je ne juge pas, je ne critique pas et, même approuve cette diversité enrichissante, mais, en tant qu'individu, je me dois de me poser quelques questions - qui semblent stupides et dont les réponses semblent évidentes à certains - et surtout celle-ci : où classer l'anarchie dans un système de pensée cohérent ?
Pour y répondre, j'ai pondu ce morceau de caca plumitif. Je ne demande aucune pitié face à son vide "doctrinal" ou littéraire, et je ne vise qu'à inciter les nanars que nous sommes à opérer par introspection pour découvrir qui nous sommes vraiment. Je ne cherche pas à donner une couleur politique personnelle à l'anarchie, mais plutôt à dégager une impression philosophique de ce vitaliseur politique qu'est le mouvement anarchiste.
Cela fait maintenant quelques années que je me balade dans les méandres du mouvement anarchiste et les différents contacts que j'y ai eu, ainsi que les conflits idéologiques qui ont parfois été déclenchés à mon encontre m'ont permis de comprendre que la vision anarchiste était loin d'être uniforme - heureusement - et parfois contradictoire par rapport à elle-même.
Certains se jettent, comme moi, dans l'anarchie comme d'autres entrent en religion : par désespoir face à la situation mondiale et surtout à la disparition de la liberté comme droit humain fondamental. La vision des guerres, famines, scandales politico-financiers, crasses pédo-criminelles & cie devient vite insoutenable voire intolérable. Que faire se demande alors l'homme-femme conscient ? Comment agir ? Et bien, puisque rien ne marche, essayons seul, trouvons un nouveau système qui donnera la liberté aux humains comme à l'ensemble de la pseudo-création... Doucement, on arrive à un état d'éveil politique qui mène à la prise de conscience que rien ne bougera si l'on n'agit pas ! Truisme qu'il faut sans cesse rappeler à ceux que le silence des pantoufles a endormi ! On aboutit alors au mouvement anarchiste... Et si on analyse bien la situation, on devine alors autre chose derrière les visées politiques et sociales de l'anarchie : l'éveil. Et si on est un peu lecteur de littérature religieuse et philosophique, on se rend compte alors que cet éveil anarchiste est proche de l'état d'éveil prôné par Bouddha ! Je m'explique. Ne vise-t-on pas à s'ouvrir les yeux et à ouvrir ceux de nos frères humains ? Ne vise-t-on pas à la disparition de la souffrance humaine ? Ne vise-t-on pas à un état de bien-être corporel et intellectuel ? Ne cherche-t-on pas à éliminer la peur du lendemain ? L'anarchiste n'est-il pas tout à la fois dans le monde par ses actions et hors du monde par ses conceptions. L'anarchisme n'est-ce pas la fraternité mondiale sans distinction de couleur ou de sexe ? L'anarchisme, n'est-ce pas de la politique sans politicien donc un mouvement d'idées sans pontes, frères supérieurs & cie ? Le triomphe de l'anarchie ne serait ce pas un peu la recherche d'une ascèse consumériste, un état de consommation en suffisance sans excès et dans le respect des autres et de son environnement ? L'anarchiste n'essaye-t-il pas de se battre pour les autres même contre leur propres tendances à la destruction ? L'anarchiste ne se veut-il pas un être en pleine possession de ses moyens pour arriver au détachement des choses futiles (argent, travail, ...) afin d'atteindre à la plénitude sociale ? Si, et en ce sens, l'anarchiste est un bouddhiste politique, un éveillé - sans connotations de pouvoir - qui cherche à éveiller les autres par compassion fraternelle.
On arrive alors aux moyens mis en oeuvre pour répandre la "bonne parole" et on se rend compte que certains se rapprochent plus d'un activisme sectaire que d'un remuement d'idées et à une conscientisation des autres êtres de cette petite planète. Le dialogue devient alors impossible voire improbable car le martèlement idéologique - le mot est lâché comme un pet au repas de Noël - devient assourdissant et le bruit dégagé empêche les deux interlocuteurs de se comprendre et de s'enrichir. Il ne s'agit plus dès lors de communiquer une vision du monde, utopique mais réalisable, mais de mitraillage publicitaire. Il ne s'agit plus de donner conscience mais de modeler la conscience. Et, on arrive ainsi à voir des anarchistes libre-politiqueurs qui donnent l'impression d'être plus des messagers jéhovistes voire des activistes scientologues en recherche de vérités absolues que des êtres politiquement conscients. Cet état d'esprit devient un frein à l'expansion des idéaux libertaires, et nous voyons alors des réactions de répulsions face à nos tentatives pour conscientiser nos frères humains. Certains parmi nous se découragerons, d'autres passerons à l'ennemi et enfin un petit nombre sombrera encore plus profondément dans la rigidité doctrinale pour aboutir à un activisme négatif, relent de l'action directe sanglante. A quoi arrivons-nous alors ? A ce que nous détestons le plus : la mort et la misère.
Et c'est là que surgit alors le sentiment que l'anarchisme est un peu une boîte de Pandore qui peut laisser échapper le meilleurs comme le pire.
Je sais que certains vont hurler à la mort à la lecture de ce papier : comment, nous anarchistes réduit à de simples adeptes d'une philosophie anti-prolétarienne ? Et pourtant si, c'est un peu le cas, et si le terme de bouddhiste doit choquer, on peut lui préférer celui de libre-politiqueur... Mais est-ce mieux ?
Enfin, et pour conclure, posons-nous cette question : sommes-nous des éveillés politiques ou de simples marchands de rêves ? La réponse à cette dernière question doit alors nous donner une idée du mode de combat à appliquer pour propager la pensée anarchiste et faire triompher nos idéaux de liberté et d'humanité.