TAYLORISME, D.P.O.
Le capitalisme change de masque, l'exploitation demeure !
Groupe Emma Goldman (F.A.)
Juillet 1978
(Extrait de "revue anarchiste", n° 4)
Le texte qui suit fait partie de l'étude globale sur les conditions de travail, étude que nous avions entrepris dans le No 1 de REVUE ANARCHISTE (1). Le travail à la chaîne dans une usine était notre premier thème d'analyse. Nous voulons maintenant traiter des nouvelles formes d'organisation du travail, appliqués aujourd'hui et plus particulièrement dans le secteur tertiaire.
Nous tenons toutefois à prévenir le lecteur que ces nouvelles formes d'organisation du travail sont inégalement appliquées suivant les branches professionnelles (par ex. leur application semble se généraliser plus dans le secteur des assurances que dans celui des banques). Néanmoins, le but actuel du capitalisme est bien d'instaurer partout ce nouveau système d'exploitation (D.P.O.). S'il y arrive moins facilement dans les banques c'est parce que dès le début le syndicat pour le moment majoritaire nationalement (C.F.D.T.) s'y est opposé et cela sans ambiguïté possible, à l'inverse du même syndicat dans les assurances.
L'HOMME AU SERVICE DE LA MACHINE
Le capitalisme après des débuts"désordonnés" et dans le souci d'accroître son développement a été amené à rechercher de quelle façon il pourrait augmenter ses profits. La "solution" devait être donnée par un certain F.W. Taylor, américain de nationalité, ingénieur-conseil de son état, qui publia au début du siècle (1911) un ouvrage intitulé : "La Direction Scientifique des Entreprises". L'organisation scientifique du travail (O.S.T.) était née. Le "Taylorisme" allait déferler sur les U.S.A. pour gagner l'Europe.
Comme son nom l'indique, l'O.S.T. consiste à étudier scientifiquement le processus de production des travailleurs et, à partir de là, à organiser l'entreprise de la manière la plus rationnelle et la plus rentable (pour les patrons bien entendu !). Schématiquement, le taylorisme s'appuie sur deux principes de base :
• Étude et chronométrage des gestes nécessaires pour exécuter une tâche
• Mise en application par des travailleurs "scientifiquement" entraînés à effectuer les mêmes opérations.
La meilleure illustration de cette forme d'organisation, vous la trouverez dans le film de Chaplin : "Les Temps Modernes".
Par ailleurs chacun connaît plus ou moins le principe du travail à la chaîne, qui est la concrétisation des élucubrations du sieur Taylor déjà cité. Cette méthode appliquée concrètement dans les entreprises eut des résultats foudroyants dépassant les espoirs les plus optimistes des capitalistes. A tel point que Taylor se trouva certains admirateurs Pour le moins inattendus (2). Seulement voilà, l'OST pour s'épanouir devait se développer dans des conditions bien spéciales, à savoir : dans la paix sociale. C'est à dire que les travailleurs devaient en comprendre les bienfaits et taire toute revendication risquant de compromettre cette belle mécanique. L'O.S.T. avait besoin de la collaboration de classe. Comme chacun le sait l'O.S.T. n'a pas amené la fin des revendications ni des grèves, ce qui fait que les bénéfices réalisés par les capitalistes grâce à cette forme d'organisation étaient engloutis dans les conflits sociaux.
Un autre élément devait remettre en cause l'O.S.T. ; on peut assister, notamment dans la 2e moitié de ce siècle, au développement phénoménal du secteur tertiaire dans les sociétés industrialisées. Secteur où l'O.S.T. est plus difficilement applicable, ce qui a naturellement conduit les capitalistes à imaginer une nouvelle forme d'organisation du travail qui tienne compte des rapports sociaux (totalement ignorés par l'O.S.T.).
C'est pourquoi, vers 1960, de nouvelles expériences sont tentées dans les entreprises aux U.S.A., puis plus tard en Europe où le mouvement de contestation des années 67-68 pose au capitalisme le problème de sa restructuration et ce de façon urgente et impérative. Cette nouvelle trouvaille à laquelle nous sommes de plus en plus fréquemment confrontés porte un nom : il s'agit de la D.P.O. (Direction Par Objectifs) ou encore D.P.P.O. (Direction Participative Par Objectifs).
QU'EST-CE QUE LA D.P.O. ?
La D.P.O. est une méthode moderne de gestion des grandes entreprises. Elle a d'abord été appliquée aux cadres puis aux ouvriers et employés. Elle se développe plus particulièrement dans le secteur tertiaire, car ce secteur a énormément évolué en 68-69 en France (Banques - Assurances par ex.) et qu'il était impératif pour les patrons d'abandonner le schéma poussiéreux d'exploitation des "cols blancs" qui n'avait guère changé depuis la f in de la seconde guerre mondiale.
La D.P.O. est basée sur deux principes :
1. Division de l'entreprise en centres de gestion semi-autonomes (divisions, départements, services, bureaux, groupes)
2. Détermination des objectifs à atteindre.
C'est à dire qu'on ne raisonne plus en terme de fonctions à remplir ou de tâches à exécuter mais en terme de résultats à atteindre. Les objectifs de l'entreprise sont de deux sortes :
1. Les objectifs principaux fixés par la direction patronale et donc imposés à l'ensemble de l'entreprise.
2. Les objectifs secondaires déterminés par la direction et les principaux responsables de services, des derniers étant libres quant au choix des moyens devant permettre d'atteindre ces objectifs.
CONSÉQUENCES DE LA D.P.O.
En premier lieu on constate une plus forte intégration des cadres de l'entreprise. Fini le cadre/ garde-chiourme. Désormais le cadre n'est plus un flic mais un pur technicien. En second lieu on assiste à l'intégration du personnel non-cadre, car si le cadre participe à la détermination des objectifs avec la direction, dans un second temps il réunit les employés de son service pour fixer schématiquement les moyens devant permettre d'atteindre les objectifs. Là interviennent les nouvelles structures : les bureaux sont sous-divisés en groupes de cinq à six personnes chapeautées par un chef de groupe. Tout ceci implique naturellement que la direction de l'entreprise sache de façon précise ce qu'elle veut dans un avenir assez proche, car nous voyons là une structure rappelant les fameux plans prévisionnels des entreprises dans les pays de l'Est. Dans les entreprises françaises, les objectifs sont fixés pour les six ou douze mois à venir (plutôt six mois). Cela implique également que les résultats soient contrôlables de façon précise afin de rectifier le tir le cas échéant.
QUELQUES DÉFINITIONS
Il est bon de se familiariser avec le jargon employé par le patronat qui présente cette nouvelle forme d'exploitation. En effet, dans les notes plus ou moins confidentielles qui circulent dans les entreprises "D.P. Oisables" certains termes reviennent constamment, en particulier : objectif, centre de profits, etc. de quoi s'agit-il ?
1) Objectif : l'objectif (peut-être pas le seul mais le primordial), c'est de rentabiliser le capital investi puis de développer le profit. En France, la plupart des entreprises se fixent des objectifs à court terme (Six mois ou un an). Les grandes entreprises (grands monopoles plus précisément) se fixent des objectifs à plus long terme (deux ou trois ans), mais il n'est pas d'usage (encore) de se fixer comme dans les pays de l'Est des plans quinquennaux qui impliquent la nationalisation des entreprises c'est à dire l'étatisation du capital.
Une fois ces objectifs fixés (mensuels, annuels ou d'échéance plus lointaine) chaque rouage de l'entreprise (service, bureau, groupe) élabore les moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir.
2) Les Centres de Profits : Dans une entreprise traditionnelle à de très rares exceptions, le budget devant assurer la bonne marche des différentes structures n'est pas fixé par ces structures elles-mêmes, mais par la direction de l'entreprise qui répartit le budget par structure. Celles-ci en fonction du budget qui leur est alloué, déterminent les tâches à exécuter leur permettant de faire réaliser un profit à l'entreprise (ex. : le budget prévu leur donne la possibilité de fabriquer X produits donc de vendre X produits ; aux structures de faire en sorte que la vente de X produits rapporte plus que n'en a coûté leur fabrication).
Avec l'instauration de la D.P.O., chaque structure fixe elle-même son propre budget. On voit donc que là, les structures ne raisonnent plus en termes de tâches à exécuter, mais en termes de profits. C'est pourquoi dans la D.P.O. on nomme ces structures (services, bureaux groupes, etc.) : centres de profits.
Maintenant que nous avons vu ce qu'était un objectif d'une part, et ce qu'était un centre de profits d'autre part, voyons quels sont les objectifs d'un centre de profits. Schématiquement ils sont de trois sortes :
a) Objectif d'activité
b) Objectif de coûts
c) objectif d'efficacité.
a) Il s'agit principalement de la quantité d'objets fabriqués (dans les ateliers d'une usine) ou de dossiers traités (dans les bureaux d'une Cie d'assurances).
b) Il s'agit des frais que nécessite la marche du service, ou occasionnés par telle ou telle initiative en rapport avec l'objectif d'activité (publicité, etc.)
c) La D.P.O. met particulièrement l'accent sur cet objectif. Il s'agit non seulement de produire beaucoup mais aussi de produire, mieux. Ce problème est très aigu notamment dans les sociétés d'assurance par exemple, réputées pour leur lourdeur administrative et le nombre de dossiers en suspens, donc en retard. L'objectif d'efficacité sera donc dans le cas d'une société d'assurances de réduire le pourcentage de dossiers incomplets, en suspens ou en retard par rapport au nombre total de dossiers traités par un service, un groupe ou un individu.
Ce dernier objectif est certainement le plus important car il signifie une accentuation du contrôle de chaque travailleur de l'entreprise.
CONTROLE, AUTO-CONTROLE ET AUTO-EXPLOITATION
Mais cette accentuation du contrôle n'est pas le plus grave, car on constate autre chose, c'est que les travailleurs participant à ce que l'on nomme la "négociation des objectifs" s'intègrent à l'entreprise capitaliste, puisque de fait ils participent à la négociation des profits que leur groupe fera réaliser à l'entreprise. Et là on s'aperçoit qu'il n'y a plus besoin de chef/gardes-chiourme, car celui-ci est remplacé par la compétition intergroupes. En effet, à la fin de la période fixée pour la réalisation des objectifs, les groupes sont jugés sur les résultats obtenus, dont découlent l'obtention des primes, la promotion ou la mutation voire le licenciement. Donc individuellement le travailleur a intérêt à ce que son groupe obtienne de meilleurs résultats que les autres. Et donc à l'intérieur même d'un groupe ceux ou celles qui freinent le rendement sont évidemment mal vus par les autres membres qui les considèrent comme des parasites. Et on arrive très vite au rôle traditionnel du flic, tenu par certains employés qui n'ont qu'un seul but: que leur groupe soit le meilleur du service, qu'il obtienne donc un maximum de "récompenses" qui seront partagées entre les différents membres de cette équipe.
Avec ce système qui voit naître une nouvelle race de flics, mieux vaut ne pas être plus lent que ses petits camarades de groupe, ou malade, ou "pas en forme", ou en retard. Inutile de dire que l'absentéisme est en régression (nous reviendrons plus loin sur ce phénomène).
Dans certaines grandes entreprises on a même pu voir des sanctions et pénalités prises à l'encontre d'un individu non pas par l'employeur, mais à la demande des autres membres du même groupe qui jugeaient leur rendement ralenti par la faute de cet individu.
Le patronat peut être content, la carotte/ promotion lui suffit désormais, le bâton étant auto-administré par les travailleurs eux-mêmes.
QU'EN PENSENT LES CENTRALES SYNDICALES ?
Dans un premier temps certaines (en particulier la C.F.D.T.) ont vu dans la D.P.O. un recul du patronat, recul amorcé à partir de mai 68. La C.G.T. elle, était plus réticente mais s'est contenté de simples mises en garde, laissant à ses sections le soin de choisir si oui ou non la D.P.O. était profitable aux salariés. F.O. restait dans le flou, mais il est vrai qu'à F.O., mis à part la politique contractuelle ...
La position de la C.G.T. pouvait être valable dans la mesure où il s'agissait d'un premier pas, qui serait suivi de propositions concrètes pour saboter la D.P.O. ; ça n'a pas été le cas. La position de la C.F.D.T. nous semble erronée. Parce qu'elle a connu un développement numérique à partir de 68, elle a un peu trop tendance à "mythifier" cette période. En fait, comme nous le disions au début de cette étude, la D.P.O. était déjà appliquée à la fin des années 50. Il est vrai que sa mise en place s'est accentuée surtout à partir de 68 mais les fameux "événements" n'y sont pour rien. La raison est ailleurs. La raison est que le capitalisme, et notamment le capitalisme français, avait ressenti de façon impérative la nécessité de se restructurer, de tourner le dos définitivement à la petite entreprise familiale, pour entrer de plain pied dans l'ère des grands monopoles. Il s'est trouvé que la réalisation de cet objectif du capitalisme français s'est produite dans les années 67-68 et 69. Par exemple dans les assurances où on a assisté à la mort des compagnies telles qu'elles existaient depuis le 19è siècle, et à la naissance des groupes (U.A.P., G.A.N., A.G.F., etc.) qui sont le résultat de la fusion d'anciennes petites compagnies, plus ou moins absorbées par une plus importante dont on a gardé le sigle à quelque chose près (par ex. les A.G.F. sont la fusion des Assurances Générales, compagnie la plus forte du groupe, du Phénix, de la Métropole, etc..). Évidemment, une telle concentration de sociétés d'assurances ne pouvait pas s'effectuer en conservant les anciennes structures, alors que les bureaux, les services entiers étaient trimballés d'un immeuble à un autre, que les travailleurs de ces services étaient rassemblés avec les travailleurs des services correspondants des autres compagnies. Ces perpétuels déménagements ont duré deux ans. Puis il a fallu considérer les problèmes des salaires, des grades des employés, qui faisaient le même travail dans un même local, mais qui pourtant ne gagnaient pas le même salaire, car venant de compagnies différentes, et donc soumis à des réglementations et des statuts différents.
Il était évident que le patronat des assurances devait revoir les fondements mêmes de l'organisation du travail dans ce secteur. C'est pourquoi affirmer qu'une telle démarche est un recul du patronat n'est qu'une sinistre plaisanterie. Les fusions qui ont eu lieu dans les assurances en 68-69, n'ont pas été élaborées et décidées ces années là mais bien avant.
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Au contraire, c'est un recul des travailleurs que nous constatons (du moins dans un premier temps), car nous avons tout d'abord les cadres qui se trouvent pleinement intégrés à la politique patronale de l'entreprise, puis les employés (agents d'exécution) qui deviennent, selon les termes mêmes des patrons, des "collaborateurs". De plus comme nous l'avons souligné plus haut, avec la mise en place de primes de rendement de groupe, et l'avancement, la promotion etc.. qui découlent directement de la productivité du groupe, de très fortes tensions internes se font jour à l'intérieur de chacun de ces groupes, et l'on voit les non-productifs, ou plutôt ceux qui produisent moins être mis en quarantaine par leurs propres camarades de travail. Inutile de dire que le principe du "mouchardage" au chef est dans ce cas largement dépassé, puisqu'on a vu des travailleurs se transformer allègrement en flics, allant jusqu'à prononcer la mise à pied d'un collègue jugé trop peu actif dans la réalisation de l'objectif déterminé par le groupe. Le nom de centre de profits donné au groupe prend là toute sa signification.
De plus les travailleurs, qu'il s'agisse d'employés ou de cadres ne contrôlent pas la politique économique de l'entreprise à long terme. Prenons un exemple : celui d'une société de vente d'eau minérale. Pour vendre cette eau minérale il faut la conditionner. Avant, le conditionnement se faisait en bouteilles de verre. Depuis plusieurs années ce conditionnement a été remplacé par celui (plus avantageux pour l'entreprise) des bouteilles en plastique. Toujours dans un souci de rentabilité, la direction de l'entreprise décide de fabriquer elle-même ces bouteilles de plastique, et pour cela va racheter une usine de fabrication de matière plastique. Nous aurons donc une usine de matières plastiques (M.P.) qui au départ, dans l'esprit de la direction, n'a qu'une fonction complémentaire à celle de la vente d'eau minérale. Le budget alloué à l'objectif de l'usine de M.P. sera donc moindre (par ex. 20 % du budget global des deux entreprises). Là dessus la direction et les responsables des différentes structures se réunissent pour établir les objectifs des deux ans à venir, et décident que l'exécution de ces objectifs doit leur permettre d'augmenter leur profit de 35 % par rapport au chiffre d'affaires actuel. L'étude du problème va les conduire à conclure qu'il leur faut absolument développer le secteur M.P. aux dépens du secteur eaux minérales. Pour ce faire l'usine de M.P. fabriquera évidemment d'autres objets que des bouteilles. Ce qui signifie qu'il y aura un changement profond des structures existantes dans les deux entreprises. Ce qui sous-entend mutations et licenciements dans l'entreprise d'eau minérale. Si deux ans après les objectifs fixés n'ont pas été atteints, les nouveaux objectifs prévoiront un changement de politique. On prévoira par exemple de réduire l'activité des M.P., voire la suppression de cette activité, ou sa conversion, ce qui voudra dire pour les travailleurs à nouveau : mutations et/ou licenciements.
On voit donc que finalement, avec la D.P.O., les travailleurs qu'ils soient cadres ou agents d'exécution, ne font que gérer leur propre exploitation, pour le plus grand profit du patron, et cela même s'ils ont l'impression d'avoir plus d'initiative qu'auparavant.
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Nous avons donc vu qu'une des principales subtilités de la D.P.O. consiste à instaurer de fait une concurrence accentuée entre les divers groupes de travail. Revenons plus à fond sur le problème de l'absentéisme. La concurrence inter-groupes entraîne un phénomène très important : la diminution de l'absentéisme, pour des raisons (précisées plus haut) qui font que celui ou celle qui par son absence entrave la production du groupe se trouve rejeté voire sanctionné par ses propres camarades de travail. Un autre élément très important contribue à la baisse de l'absentéisme, c'est l'application des Horaires Mobiles (H.M.) (3), qui tend également à se généraliser dans les entreprises parallèlement à là D.P.O.. Ce n'est pas un moindre but pour le patron qui en arrive maintenant à redouter le taux d'absentéisme bien plus que les grèves. A titre d'exemple, signalons qu'à Turin, l'usine FIAT a perdu en 1969 20 millions d'heures de travail à cause des grèves et 20 millions à cause de l'absentéisme ; l'année suivante 5 millions (seulement !) à cause des grèves et 30 millions (!) à cause de l'absentéisme. Inutile de dire que l'absentéisme prend des allures de fléau social pour le patronat.
Avec la D.P.O. (et les H.M.), la solution individuelle qui consistait à "tomber malade" particulièrement le lundi et le vendredi, n'est pratiquement plus possible. Il est fort probable que les effets s'en feront ressentir à la longue et que les travailleurs à défaut de combine individuelle se rabattront sur des solutions plus collectives, et qu'on assistera parallèlement (et suivant le principe des vases communicants) à une baisse de l'absentéisme et une augmentation du nombre de grèves.
Mais pour le moment il est un fait que ces horaires mobiles ont un effet psychologique non négligeable sur les travailleurs. En effet ceux-ci sont sensibles à certains avantages (réels) instaurés par l'application des horaires mobiles ; en premier lieu la fin de l'obsession du "retard", et l'aménagement des heures d'arrivée et de départ, en fonction des problèmes de transport (encore qu'il y aurait beaucoup à dire là-dessus).
QUELLE RIPOSTE?
Il est évident Pour nous que toute réforme de i entreprise proposée par le patron ne va pas changer les fondements de notre société, ni abolir l'exploitation ; ces "réformes" n'ont qu'un but, un seul : la rentabilité. Déjà obligés de travailler pour survivre, ils nous faut être rentables et produire plus, toujours plus, voila ce qu'on nous propose en fait. Mais les intérêts du patronat ne sont pas les nôtres, nous refusons donc d'être "rentables". Pour cela nous devons nous organiser, car si un élément jugé peu rentable peut être licencié, on ne peut licencier tout un secteur d'activité qui refuse d'être rentable et encore plus rentable.
Il faut donc, partout où il est question d'implanter un tel système de production, expliquer le mécanisme de ce système, montrer pourquoi le patronat a eu cette idée, et souligner qu'il ne s'agit pour lui que de faire augmenter ses bénéfices. Toutefois il est bien évident et l'expérience le prouve, que très souvent la majorité des travailleurs d'une entreprise est attirée par cette nouvelle forme d'organisation du travail, estimant qu'elle supprimera la monotonie des tâches exécutées quotidiennement.
Donc il s'agit de lutter également contre ce système une fois qu'il est entré en application. Cette lutte n'est pas aussi difficile qu'elle pourrait paraître, car on constate à chaque fois (qu'il s'agisse du taylorisme de la D.P.O. ou d'une autre organisation du travail), que les points forts de n'importe quel système de production, deviennent des points faibles dans la mesure où les contradictions de ce système sont exacerbées et exploitées par les travailleurs.
Et là encore l'expérience le prouve, il arrive que la concurrence sciemment entretenue entre divers groupes de production, devienne si âpre, si aiguë, qu'elle aboutit à un écoeurement général des travailleurs. Écoeurement non seulement contre la D.P.O., mais contre tout système d'exploitation. Et paradoxalement, la D.P.O. peut aboutir à l'inverse du but recherché par les patrons : la révolte contre l'exploitation au lieu de l'intégration et la collaboration sociale.
Il s'agit donc bien, pour nous, non seulement de dénoncer ces manoeuvres patronales, mais encore de se servir des contradictions existantes pour abattre la D.P.O. et consorts. Il est clair que le patronat, pour faire accepter la D.P.O., est plus ou moins tenu d'agir en douceur, car cette forme d'organisation, ne doit pas apparaître comme quelque chose de rigide et d'imposé, puisqu aux dires mêmes des dirigeants capitalistes, il s'agit d'un nouvel avantage accordé aux travailleurs.
Mais la pièce maîtresse du patronat pour instituer la généralisation de la D.P.O., c'est le syndicat. Comme nous l'avons déjà dit plus haut, les centrales syndicales françaises n'ont pas jusqu'ici condamné formellement la D.P.O.. Le patronat a très bien su exploiter le fait que jusqu'à présent les syndicats, à quelques exceptions près, n'ont pas pris une attitude claire par rapport à la D.P.O., et l'on peut même voir dans certaines entreprises des projets d'application de D.P.O. et d'H.M. soutenus voire proposés par des sections syndicales. Encore une fois la lutte contre le patronat se trouve liée à la lutte contre le syndicalisme, élément d'intégration au système capitaliste.
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FICHE
LÉNINE, TAYLOR ET Cie ou:
Comment le travail rend libre !
"Comparé aux nations avancées, le russe travaille mal. Et il ne pouvait en être autrement sous le régime tsariste où les vestiges du servage étaient si vivaces. APPRENDRE A TRAVAILLER, voilà la tâche que le pouvoir des Soviets doit poser au peuple dans toute son ampleur. Le dernier mot du capitalisme sous ce rapport, LE SYSTÈME TAYLOR, allie de même que tous les progrès du capitalisme, la cruauté raffinée de l'exploitation bourgeoise aux conquêtes scientifiques les plus précieuses concernant l'analyse des mouvements mécaniques dans le travail, la suppression des mouvements superflus et malhabiles, l'élaboration des méthodes de travail les plus rationnelles, l'introduction des meilleurs systèmes de RECENSEMENT ET DE CONTRÔLE, etc.. La République des Soviets doit faire sienne coûte que coûte les conquêtes les plus précieuses de la science et de la technique dans ce domaine. Nous pourrons réaliser le socialisme justement dans la mesure où nous aurons réussi à combiner le pouvoir des Soviets et le système soviétique de gestion avec les plus récents progrès du capitalisme. IL FAUT ORGANISER EN RUSSIE L'ÊTUDE ET L'ENSEIGNEMENT DU SYSTÈME TAYLOR, SON EXPÉRIMENTATION ET SON ADAPTATION SYSTÉMATIQUES. Il faut aussi, en visant à AUGMENTER LA PRODUCTIVITÉ DU TRAVAIL, tenir compte des particularités de la période de transition du capitalisme au socialisme qui exigent, d'une part que soient jetées les bases de l'organisation socialiste de l'émulation et d'autre part, que l'on use des MOYENS DE CONTRAINTE, de façon que le mot d'ordre de la dictature du prolétariat ne soit pas discrédité par l'état de déliquescence du pouvoir prolétarien dans la vie pratique."
LÉNINE - Oeuvres Complètes
Tome XXVII, page 268
Éditions Sociales - Éditions de Moscou
NOTES :
1) "Pour une analyse des conditions de travail" (Revue Anarchiste No 1 -Mars 1977)
2) Voir la fiche.
3) Si l'application des Horaires Mobiles se trouve très souvent liée à celle de la D.P.O., on voit également de nombreuses entreprises commencer par instaurer uniquement les H.M. Cette forme d'exploitation "à la carte" nous semble mériter à elle seule une étude particulière, que nous nous proposons de réaliser dans un prochain numéro de Revue Anarchiste.
BIBLIOGRAPHIE :
1) C.F.D.T. Aujourd'hui No 2
2) Tracts divers (syndicaux ou anti-syndicaux) ainsi que notes confidentielles patronales.