Sébastien Faure
Fondateur du Libertaire avec Louise Michel en 1895
Cet homme, pilier du mouvement anarchiste, avait bien mal débuté.
Il naquit le 6 janvier 1858, à Saint-Etienne, dans une famille traditionaliste et conservatrice.
Son père, Auguste Faure, négociant en soieries, bourgeois nanti, catholique pratiquant, partisan de l'Empire, décoré de la Légion d'honneur, le destinait à la Compagnie de Jésus (1).
Il devient effectivement séminariste, puis jette aux orties une soutane qu'il n'avait jamais porté. Sensible aux idées socialistes, il avait adhéré au Parti ouvrier français et se présenta aux élections de 1885.
Voici comment Aristide Lapeyre (2) racontait la "conversion" de Sébastien Faure aux idées anarchistes :
" Lors d'une réunion électorale à Bordeaux, un contradicteur -anarchiste- posa à Sébastien Faure des questions embarrassantes sur la délégation de pouvoir, la démocratie directe, les voies vers le socialisme. Pris de court, Sébastien Faure, dont l'honnêteté intellectuelle était une des qualités principales et reconnues de tous, lui répondit qu'il était incapable, sur l'instant de lui donner des réponses satisfaisantes, mais qu'il le ferait une semaine plus tard, lors d'une prochaine réunion électorale, à tel endroit.
Huit jours après, ainsi qu'il l'avait promis, Sébastien Faure déclara à son contradicteur, présent dans la salle : " J'ai examiné les questions que vous m'avez posées. Les réponses de mon propre parti m'ont paru insuffisantes, et de toute façon bien inférieures à celles du mouvement anarchiste. J'ai donc, par cohérence avec moi-même, décidé de quitter le Parti ouvrier français et d'adhérer au mouvement anarchiste ! "
Orateur et propagandiste de très grand talent, Sébastien Faure se dépensant sans compter, devint un des militants les plus actifs du mouvement libertaire. Aussi, c'est tout "naturellement" qu'il se retrouve en 1895, avec Louise Michel, à la fondation du Libertaire.
Cette année 1895 fut une année forte pour le mouvement libertaire. Profitant de l'émotion causée par les attentats de Emile Henry, Vaillant et Caserio, les pouvoirs publics "organisèrent" un procès monstre, passé dans l'Histoire sous le nom de "procès des Trente". Tout le "gratin" du mouvement libertaire de l'époque se retrouva sur les bancs du Palais de Justice… ou en cavale à Bruxelles. Le temps fort de ce procès fut la plaidoirie de Sébastien Faure. Résultat : 27 acquittements et 3 condamnations, pour des délits proches du délit commun.
En 1898, l'affaire Dreyfus atteignit son point culminant.
Après avoir hésité, Sébastien Faure se rangea dans le camp des dreyfusards, entraînant avec eux la majorité du mouvement. On peut remarquer que dans les affrontements dans la rue avec les antidreyfusards (entre autres dans le 10e arrondissement de Paris), seuls les militants libertaires s'affrontèrent avec les "patriotes". Ce dynamisme, cet engagement médusèrent un homme comme Ludovic Trarieux. Ce dernier, grand bourgeois bordelais, premier président de la toute neuve Ligue des Droits de l'Homme, avait voté les "lois scélérates" sur les menées anarchistes en 1894.
Il déclara : Je ne connaissais pas ces gens-là, au moment du vote. manifestement, je consacrerai tous mes efforts pour faire abolir ces lois .
Sa disparition prématurée ne lui permit pas de tenir cette promesse. Les lois ne seront abolies qu'en… 1992 !
La deuxième grande œuvre de Sébastien Faure fut bien sûr la création de "La Ruche" à Rambouillet. En principe, tous les lecteurs du Monde libertaire connaissent par cœur cette expérience. Pour ceux qui ne la connaîtraient pas, il faut lire, toute affaire cessante : Les écrits pédagogiques de Sébastien Faure ou Sébastien Faure et la Ruche, de Roland Lewin. Je n'insisterai donc pas sur ce sujet. La guerre de 1914-1918 fut fatale à cette expérience, qui dut s'arrêter en 1917.
Depuis, un an, depuis avril 1916, Sébastien Faure publiait un journal contestataire et antimilitariste : Ce qu'il faut dire (CQFD), diffusé dans l'armée française et même sur les bâtiments de la marine de guerre.
Un jour, Malvy, le ministre de l'Intérieur, convoqua Sébastien Faure et lui mit un marché en main :
"Ou vous arrêtez la publication de votre journal, ou je mets en taule les destinataires dont nous avons les noms ! " Que voulez-vous qu'il fit ? En 1918, Sébastien Faure avait 60 ans et une vie déjà bien remplie.
Il ne se sentait pas le courage de relancer " La Ruche ".
Entre les deux guerres mondiales, sa troisième grande œuvre fut la publication de l'Encyclopédie anarchiste : cinq volumes, 2 893 pages. C'est une réalisation gigantesque. Des milliers d'articles, des centaines de collaborateurs, c'est encore aujourd'hui une mine historique et idéologique.
La première édition de 1934 (réalisée grâce aux efforts des trois mousquetaires : Durutti, Ascaso et Jover) étant épuisée, une seconde édition eut lieu à Caracas en 1974, sous l'égide du groupe Sébastien Faure de Bordeaux.
Qui entreprendra une troisième édition, bien nécessaire ?
Parallèlement, Sébastien Faure poursuivait son activité éditoriale, soit comme animateur de l'imprimerie "La Laborieuse", soit par la parution d'ouvrages : Propos subversifs, Mon opinion sur Dieu, Mon Communisme… Rappelons également qu'il s'implique dans la fameuse polémique " Plate-forme - Synthèse ", dont les échos sont parvenus jusqu'à nous ; la Fédération anarchiste de 1995 s'inspirant, pour son fonctionnement, de la synthèse parisienne.
Il eut le plaisir de voir vivre en Espagne une expérience dont bien des aspects avaient été prévus dans son activité théorique. Jusqu'à la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, il continua à parcourir les départements pour y donner des conférences, dont le public était toujours très fourni.
Ses qualités d'orateur étaient célèbres. Les quelques enregistrements sur disques qui nous restent de lui en donnent malheureusement une pauvre idée. De ses lointaines études en classe de réthorique, il conservait le goût pour le balancement du rythme ternaire, qui devait ravir les assistants.
Essayez de lire un texte de Sébastien Faure, en le disant à haute voix.
Vous verrez que ces textes sont plus faits pour être dits que pour être lus. Un exemple ?
Un extrait de la brochure de présentation de " La Ruche " (rédigée en 1914) :
" L'école chrétienne, c'est l'école du passé, organisée par l'Eglise et pour elle ; l'école laïque, c'est l'école du présent, organisée par l'Etat, et pour lui ; la Ruche, c'est l'école de l'avenir, l'école tout court, organisée pour l'enfant afin que, cessant d'être le bien, la chose, la propriété de la religion ou de l'Etat, il s'appartienne à lui-même et trouve à l'école le pain, le savoir et la tendresse dont ont besoin son corps, son cerveau et son cœur. "
En 1942, à Royan, Sébastien Faure nous quittait.
Le 14 juillet, comme Léo Ferré.
Yves Peyraut - le Monde libertaire hors série du centenaire 1995
N.B. : à l'occasion du centenaire de notre journal, à partir de souvenirs épars, j'ai jeté sur le papier ces quelques lignes pour dire d'une certaine façon " merci " à ce grand bonhomme que fut Sébastien Faure. Mais j'éprouve un grand regret, ou plutôt un grand manque, après l'avoir fait.
Car il n'y a pas, à ma connaissance, une biographie complète, détaillée de Sébastien Faure.
Pourtant, les sources abondent.
Et à travers la biographie de Sébast', ce serait l'occasion de tracer un panorama complet du mouvement anarchiste de la chute de la Commune au début de la Seconde Guerre mondiale.
De quoi intéresser de jeunes historiens. Notre mouvement n'en manque pas…
Yves Peyraut
les cartes postales de la Ruche