JULES JOUY
ŒUVRES CHOISIES
Poèmes et chansons tirés de
"Chansons de bataille" , Marpon et Flammarion, 1889
"Chansons de l'année", Bourbier et Lamoureux, 1888
Sommaire
. Les Irresponsables
. les Responsables
. La Marseillaise des prostituées
. Le Gratte-cul
. Victime du travail
. L'Évangile du patron
. Ballade des vieux almanachs
. Tout à l'égout !
. Louise Michel
. La Carmagnole des corbeaux
. Haut-le-coeur
. Le charretier et le cheval
. Les fonctionnaires
. Les ouvriers de France
. La question des chiens
. La Bastille
. La Chanson de la grève
. Le chant de guerre des sergots
. Le coucher de soleil
. Monsieur Ferrouillat
. L'Abbé Roussel
. Les Accapareurs
. Les Accaparés
. Les Forains
. Le Temps des crises
. Les Opportunistes et les Intransigeants
. Le Réveillon des gueux
. La mélinite
. La Société Protectrice des Animaux
. Pour la Grève
. Poisson d'Avril
. Les Anti-propriétaires
. Le tombeau des fusillés
. La question de l'eau
. La Marseillaise de la jeunesse
. La «Veuve»
. V'la-z-un gendarme !
. La liberté du travail
. Les anarchistes de Chicago
. Le meilleur président
LES IRRESPONSABLES
A Léopold LACOUR,
Nombreux comme les grains des sables,
Le nom du maître sur la peau,
Regardez les irresponsables
Passer, là-bas, comme un troupeau.
Dans cette foule, pêle-mêle,
Le bœuf mugit pour son boucher,
Le mouton naïf saute et bêle
Pour le fer qui va l'écorcher.
Marche, bon troupeau, marche !
Au césarisme sers de marche.
Pauvres bestiaux, sans le savoir.
Allez, sans entendre et sans voir,
A l'abattoir! (Bis.)
Va, bœuf stupide, avance et beugle,
Sans voir l'arme dans le fourreau.
Va-t'en vers la mort, pauvre aveugle,
Conduit par le chien du bourreau.
Vieux laboureur de la prairie,
Ami paisible du semeur,
Là-bas, ce n'est pas l'écurie,
Mais le marteau de l'assommeur.
Marche, bon troupeau, marche !
Au césarisme sers de marche.
Pauvres bestiaux, sans le savoir.
Allez, sans entendre et sans voir,
A l'abattoir! (Bis.)
Marche, naïf mouton champêtre ;
Va donner ton sang au pressoir.
Les prés sanglants où tu vas paître,
C'est le pavé de l'échaudoir,
Saute et bêle, plein d'allégresse ;
Mais prends bien garde à ton berger ;
Car si ton maître te caresse,
C'est afin de mieux te manger.
Marche, bon troupeau, marche !
Au césarisme sers de marche.
Pauvres bestiaux, sans le savoir.
Allez, sans entendre et sans voir,
A l'abattoir! (Bis.)
Avancez tous, gogos stupides,
Bêtes en quête d'un licou.
Sous l'aiguillon, allez, rapides,
A l'égorgeur tendre le cou.
Mais ne te plains plus, quand tu bouges.
Peuple qui fais des dictateurs,
Si ton César a les mains rouges
Du sang de tous ses électeurs !
Marche, bon troupeau, marche !
Au césarisme sers de marche.
Pauvres bestiaux, sans le savoir.
Allez, sans entendre et sans voir,
A l'abattoir! (Bis.)
17 avril 1888.
LES RESPONSABLES
Les députés renégats,
Les vendus, ex-pamphlétaires,
Les morveux et les gagas,
Prenez garde aux prolétaires !
On les exécutera,
Messieurs les plébiscitaires ;
On les exécutera,
Quand la Rouge reviendra.
Courtisans des ouvriers,
Ralliés aux militaires,
Tous, sur le volet triés,
Vos corps fumeront nos terres.
On les exécutera,
Messieurs les plébiscitaires ;
On les exécutera,
Quand la Rouge reviendra.
Parjure prônant si fort
les soldats autoritaires,
Ton pantalon, Rochefort,
Verra de drôles d'affaires.
On les exécutera,
Messieurs les plébiscitaires ;
On les exécutera,
Quand la Rouge reviendra.
Piètre avocat fanfaron
Qui rêves d'un tas d' ministéres,
Laguerr', nos fusils t'feront
L'effet de plusieurs clystères.
On les exécutera,
Messieurs les plébiscitaires ;
On les exécutera,
Quand la Rouge reviendra.
Quand, à Vergoin sans cercueil,
Les herb's tiendront lieu de suaires,
Mademoisell' de Sombreuil
D'son sang pourra boir' deux verres.
On les exécutera,
Messieurs les plébiscitaires ;
On les exécutera,
Quand la Rouge reviendra.
Laur, Mich'lin, Le Hérissé,
Infidèles mandataires.
Auront le front hérissé,
Quand s'réveill'ront les colères,
On les exécutera,
Mcssicurs les plébiscitaires ;
On les exécutera,
Quand la Rouge reviendra.
Tas de bandits triomphants,
Profitez d'vos jours prospères ;
Car, tôt ou tard, les enfants
Feront ce qu'ont fait leurs pères.
On les exécutera
Messieurs les Plébiscitaires ;
On les exécutera,
Quand la Rouge reviendra.
18 avril 1888
LA MARSEILLAISE DES PROSTITUÉES
Pauvres filles dont les coeurs saignent
D'amour pour le nouveau César,
Que les circonstances contraignent
A fermer, quelques jours, bazar (bis)
Consacrons, humbles volontaires,
Au triomphe de Boulanger,
Le repos, helas ! passager,
Auquel nous forcent les affaires.
Aux armes ! les catins! Formez vos bataillons !
Marchons (bis) ! qu'un sang impur abreuve nos sillons
Dans les dangers et les bagarres,
Sans peur on nous verra courir.
Pour le Bonaparte des gares,
Nous saurons combattre et mourir (bis) !
Vergoin, protégeant nos derrières,
En voyant ce sang couler,
Sur la pince viendra gueuler :
«Horreur ! On égorge nos frères !
Aux armes ! lLes catins ! Formez vos bataillons !
Marchons (bis)! qu'un sang impur abreuve nos sillons !
Boulange, entrant dans la carrière,
Quand l'ennemi sera battu,
Retrouvera, dans la poussière.
les traces de notre vertu (bis) !
Trônant dans son apothéose,
Il ne pourra pas contester,
Que nous avons, sans hésiter,
Versé notrc sang pour la cause.
Aux armes ! les catins ! Formez vos bataillons !
Marchons (bis) ! qu'un sang impur abreuve nos sillons !
Tribuns, écrivains, bandagistes,
Sous notre toit hospitalier,
Que, désormais, les boulangistes
Entrent, sans bourse délier (bis) !
Mais, sous peine de forfaiture,
Égorgeons tous les scélérats
Qui viennent, jusque dans nos draps,
Crier: «A bas la dictature !»
Aux armes ! les catins! Formez vos bataillonsl
Marchons (bis) ! qu'un sang impur abreuve nos sillons !
21 avril 1888
LE GRATTE-CUL
La seule fleur qui vous convienne,
Ligeulards, qu'il vous en souvienne,
Ce n'est pas le sanglant oeillet,
Emblème des farouches meutes
Qu'on voit bondir les jours d'émeutes
Sous l'ardent soleil de juillet.
Ce qu'il vous faut, c'est la fleur bête
Des valets aimant la courbette
Et léchant le ... dos au patron;
La fleur des villes multitudes
Prêtes aux lâches servitudes,
Adoratrices d'un étron;
Croyez moi, bêtes moutonnières,
Enlevez, de vos boutonnières,
Où devrait briller un écu,
Cette couleur républicaine:
La seule fleur qui vous convienne,
Courtisans, c'est le gratte-cul!
29 novembre 1888
VICTIME DU TRAVAIL
A mon ami A. Oskolowicz
Sur un toit que le soleil brûle,
Des moineaux effrayant le vol,
Le couvreur, comme un somnambule,
Marche, à soixante pieds du sol.
Tout à coup son cerveau s'embrase;
Il chancelle, crève un vitrail;
En bas son pauvre corps s'écrase:
Victime du travail.
Sur la voie où vient le train-poste,
Un enfant marche; l'aiguilleur,
Sans hésiter, quittant son poste,
Le sauve et tombe au champ d'honneur.
La machine brûlant l'espace,
L'accroche et l'étend sur le rail...
Comme un tonnerre le train passe:
Victime du travail.
Esclave couché sous la terre,
Mort vivant creusant son tombeau,
Le mineur, héros solitaire,
Pioche, à son côté de son flambeau.
Tout à coup, ébranlant la mine,
Le grisou, sombre épouvantail,
Vient par derrière et l'assassine:
Victime du travail.
Pauvres débris sans nécropole,
Noirs restes d'un peuple martyr,
Le bourgeois grade son obole
Pour les victimes du plaisir.
Devant ces morts-là, la Fortune
Passe, agitant son éventail:
"Pourquoi s'affliger?... ce n'est qu'une
Victime du travail!..."
Héros inconnus de l'usine,
Pauvres broyés de l'atelier,
Humbles étouffés de la mine,
On parle de vous au foyer.
Laissez l'ignoble bourgeoisie,
Pour ses morts dresser un portail.
Le vrai peuple vous glorifie,
Victimes du travail !
7 juin 1887
L'ÉVANGILE DU PATRON
(Extrait des Cantiques du Capital, par M. Tolain)
Air : Jamais tu n'en pourras trop faire.
A mon ami Corréard
Honnête ouvrier de fabriques,
Sois toujours humble et toujours bon;
Le travailleur mange des briques;
Le patron suce du bonbon.
Pour l'aimer, pour le satisfaire,
Redouble d'efforts empressés:
bis:
Jamais tu n'en pourras trop faire
Tu n'en feras jamais assez!
Pauvre ouvrier en redingote,
Que l'État traite en vrai bourreau,
Pour ne pas que l'on te dégote,
Trime pour ton chef de bureau.
Par son travail du ministère,
Le pauvre homme a les reins cassés
bis:
Jamais tu n'en pourras trop faire,
Tu n'en feras jamais assez !
Toi qui déjeune sans vaisselle,
Avec du pain noir pour gâteau,
Dans la pleine ou sur le coteau.
Bon moissonneur, pousse une selle,
Ton maître y trouve son affaire:
Ses terrains en sont engraissés:
bis
Jamais tu n'en pourras trop faire,
Tu n'en feras jamais assez !
20 décembre 1886.
BALLADE DES VIEUX ALMANACHS
Chanson de fin d'année
A Jean Salis
Mais où sont les neiges d'antan ?
François Villon
Où tombent-elles, les années
Que, sur terre, sème le Temps?...
Où s'en vont les roses fanées,
Les automnes et les printemps?.,.
Où s'envolent les feuilles sèches,
Les billets bleus des anciens krachs?...
Crânes chauves, où sont vos mèches ?...
Mais où sont les vieux almanachs ?...
Où gisent, beauté délicate,
Tes jolis yeux, ton petit nez ?...
Où sont les pieds des culs-de-jatte ?...
Les têtes des guillotinès ?...
Gros éléphants morts centenaires,
Où sont vos trompes, vos cornacs ?...
Dieux déchus, où sont vos tonnerres ?...
Mais où sont les vieux almanachs ?
Petit Thiers, où sont tes lunettes ?....
Bonaparte, où sont tes chapeaux ?...
Matelots, où sont vos dunettes ?...
Soldats, où gisent vos drapeaux?...
Gourmands défunts, où sont vos tripes ?...
Fumeurs, où sont-ils vos tabacs,
Vos cigarettes et vos pipes ?...
Mais où sont les vieux almenachs ?...
Ici-bas, tout lasse et tout passe,
La mer, la rue ou la forêt,
Comme l'étoile dans l'espace,
Un siècle file et disparaît.
Ouvriers, généraux, évèques,
Caron, nous irons, sur tes bacs,
Dans l'oubli des calendes grecques.
Rejoindre les vieux almanachs.
31 décembre 1888
TOUT A L'ÉGOUT !
A Édouard Norès
«Tout à l'égout !» c'est la devise
De l'éternel Monsieur Alphand.
C'est là le but auquel il vise
Et que, sans répit, il défend.
Brodant à l'envi sur ce thème,
Il dépense tout son bagout,
Pour faire adopter son système :
Tout à l'égout !
Ce système simple, j'avoue
Que j'en suis assez partisan :
Notre époque, à l'égout, se voue ;
C'est le Panthéon d'à présent.
Notre temps trouve à l'infamie
Un irrésistible ragout.
L'infection est son amie :
Tout à l'égout !
A l'égout ! l'impeccable juge,
L'inattaquable magistrat,
Offrant sa robe pour refuge
A la terreur d'un scélérat
L'ex-président de République,
A l'Élysée, en vrai grigou,
Faisant de l'usure publique,
Tout à l'égout !
A l'égout ! toutes ces crapules,
Du peuple hypocrites amis;
Élus, reniant, sans scrupules,
Ce que, jadis, ils ont promis !
A l'égout ! ce monde fossile,
Du mort ayant déjà le goût,
Traînant sa vieillesse imbecile :
Tout à l'égout!
Un jour l'orage populaire
Viendra fondre sur les pavés.
Par les bras du peuple en colère,
Tous les faubourgs seront lavés,
Poussant des biceps et du buste,
Il enverra, plein de degoût,
D'un seul coup de balai robuste,
Tout à l'égout !
24 janvier 1888
LOUISE MICHEL
A Louis Montégut
Louise, c'est l'impersonnelle
Image du renoncement.
Le «moi» n'existe plus en elle ;
Son être est tout au dévouement.
Pour ce cœur vaste et secourable,
Ivre de solidarité,
Le seul air qui soit respirable,
C'est l'amour de l'Humanité.
On la condamne: elle défie
Son juge, féroce et pourri.
Qu'importe, à qui se sacrifie
Le poteau noir de Satory?
A ses bourreaux, près de la tombe,
Elle parle fraternité.
Que lui fait la mort ? Elle tombe,
Pour l'amour de l'Humanité.
On la déporte: Elle ne souffre
Que pour ceux, près d'elle blottis :
Combien doit pleurer, dans ce gouffre,
Le père, éloigné des petits !
Captive auguste, elle ne pense,
Qu'aux frères en captivité.
Leurs blessures, elle les panse,
Pour l'amour de l'Humanité.
On l'amnistie : elle se lève
Et revient, le front calme et doux.
Grave et lente, sa voix s'élève
Et son cœur parle parmi nous.
De son repos faisant litière,
Bravant le pouvoir irrité,
Elle se donne tout entière,
Pour l'amour de l'Humanité.
On l'emprisonne: Comme au bagne,
Elle règne par la douceur,
La proxénète est sa compagne ;
La prostituée est sa sœur ;
De la voleuse elle est complice ;
Aux froides sœurs de charité
Elle parle de la Justice,
Pour l'amour de l'Humanité.
Une brute, sur elle tire
(Bien mieux qu'Aubertin sur Ferry)
Mais, loin de poser au martyre,
Elle s'arrête, puis sourit:
«C'est à moi ! Qu'on me l'abandonne !»
Dit-elle, «qu'il soit acquitté !
Il s'est trompé ; je lui pardonne,
Pour l'amour de l'Humanité.»
Plus d'un la traite, en vrai Jocrisse,
D'«hystérique», journellement.
Crétins ! folle de sacrifice !
Hystérique de dévouement !
Écrivains aux longues-oreilles,
Jadis, Plutarque eût souhaité
Beaucoup d'héroïnes pareilles,
Pour l'honneur de l'Humanité !
26 janvier 1888.
HAUT-LE-CŒUR
A Clovis Hugues.
Air : On les guillotinera. (A. Potney)
«—Ma concierge sait cela.»
(Paroles de Clovis Hugues dans la discussion Wilson à la Chambre).
Parlement vil et traqueur,
Qui protèges les canailles,
La France a des haut-le-cœur ;
Faudra bien que tu t'en ailles.
Refrain :
On les déménagera
Messieurs les parlementaires ;
On les déménagera
Et le peuple applaudira.
Sur nos députés pourris.
Leurs parjures et leurs fugues,
Tout le monde est de l'avis
D'la «concierge à Clovis Hugues.»
(Au refrain.)
Modérés ou radicaux,
Se disant socialistes,
Tous ne sont que des fourneaux,
Des traîtres ou des fumistes.
(Au refrain.)
Soumis et fermant les yeux,
lls tendent tous leurs derrières
Aux coups de pied furieux
De Wilson et de Fallières.
(Au refrain,)
Pour vomir ces scélérats
Faut un remède énergique.
Par le haut ou par le bas
On nettoiera la boutique.
On les déménagera,
Messieurs les parlementaires ;
On les déménagera
Et le peuple applaudira !
5 février 1888.
LA CARMAGNOLE DES CORBEAUX
A Philippe Gilles
Noirs dans la neige les corbeaux (Bis.)
Attendent les morts sans tombeaux (Bis.)
En cercle se pressant
lls tournent croassant :
«— De partout à la ronde
Vive le son ! (Bis.)
La guerre approche et gronde.
Vive le son
Du canon !
Dansons la Carmagnole
Vive le son ! (Bis.)
Dansons la Carmagnole !
Vive le son
Du canon !
Les coteaux auront au beau temps (Bis.)
Moins de fleurs que de combattants (Bis.)
D'un sang jeune empourprés
Pour herbes les grands prés
Auront des baïonnettes
Vive le son ! (Bis.)
Adieu les alouettes !
Vive le son
Du canon !
Dansons la Carmagnole !
Etc., etc.
Les bois par les obus brisés (Bis.)
Seront sans oiseaux sens baisers (Bis)
Où l'amour roucoulait
Passera le boulet.
Sous les feuiles nouvelles,
Vive le son ! (Bis.)
Jailliront des cervelles !
Vive le son
Du canon !
Dansons la Carmagnole !
Etc., etc.
Dès l'aube, à l'abri des combats (Bis.)
Dans l'azur, loin des cris d'en bas (Bis.)
Au ciel formant des ronds,
Corbeaux, nous planerons.
Sans craindre la mitraille,
Vive le son ! (Bis.)
Nous verrons la bataille,
Vive le son
Du canon !
Dansons la Carmagnole !
Etc., etc.
Puis, le soir, lorsque les prés verts, (Bis.)
Dc cadavres seront couverts, (Bis.)
Graves, nous attendrons
L'ombre et nous descendrons
Sur le champ solitaire,
Vive le son ! (Bis.)
Manger les morts, par terre,
Vive le son
Du canon !
Dansons la Carmagnole !
Etc., etc
Nous leur mangerons, tout joyeux, (Bis.)
Le ventre, la tête et Ies yeux. (Bis.)
Corbeaux, tenons-nous préts
Pour le temps des cyprès.
Au loin, l'horizon bouge ;
Vive le son ! (Bis.)
Voici le Printemps Rouge!
Vive le son
Du canon !
Dansons la Carmagnole !
Vive le son! (Bis.)
Dansons la Carmagnole !
Vive le son
Du canon !»
8 février 1885.
LE CHARRETIER ET LE CHEVAL
A Armand Masson
Charretier brutal et féroce
Qui tapes sur ta maigre rosse,
Au lieu de lui faire du mal,
Aime plutôt l'humble animal.
Les mêmes tâches sont les vôtres ;
Tous deux, sans répit, pour les autres,
Vous travaillez dans le brancard :
Viande à patron, viande à Macquart.
Oui, pour ton cheval, sois plus tendre ;
Vous êtes faits pour vous entendre.
Lui, la rue est son atelier ;
Ta blouse, à toi, c'est ton collier.
Du même cuir on vous harnache ;
Du fardier où l'on vous attache,
Vous haletez dans le brancard :
Viande à patron, viande à Macquart.
Pendant votre triste existence,
Tous deux, vous trimez d'importance.
C'est ton compagnon, ton copain
Et son avoine vaut ton pain.
Tes cheveux, comme sa crinière,
Blanchissent en la même ornière.
Vous vieillissez dans le brancard :
Viande à patron, viande à Macquart.
Quand vous succombez à la tâche,
Sous les yeux de la foule lâche,
Vos corps, de misère crevés,
Fraternisent sur les pavés.
On vous decoupe, ou l'on vous scie :
L'équarrissage, ou l'autopsie,
Quand vous tombez dans le brancard :
Viande à patron, viande à Macquart.
6 mars 1888
LES FONCTIONNAIRES
A Adolphe Bonnet,
«Sans sortir de la métropole, il est facile de constater combien le fonctionnariat s'est developpé et se développe de jour en jour, avec ses exigences, son autoritarisme mesquin, son impertinence aussi traditionnelle que son inutilité, dans la plupart des cas.»
John Labusquière, Cri du Peuple d'hier).
Monsieur, avant de se coucher,
A la lueur d'une chandelle,
Féroce, est en train de chercher
L'insecte, au bois de lit fidèle.
Le fatal soufflet, braqué sur
Les coins, refuges ordinaires,
Il massacre, d'un coup d'œil sûr,
Des masses de fonctionnaires.
Madame, montrant ses appas,
Examine, pleine d'astuce,
Son corps blanc, où prend son repas,
Cynique, une invisible puce.
Elle inspecte chaque côté
Avec des airs peu débonnaires.
La coquette, sur sa beauté,
Fait la chasse aux fonctionnaires.
Bébé, dans ses beaux cheveux blonds,
Passe sa main douce et se gratte.
D'insaisissables bataillons
Marchent sur sa peau délicate.
Le môme, inquiet et nerveux,
Se plaint de ses «pensionnaires».
Dans l'épaisseur de ses cheveux,
S'engraissent des fonctionnaires.
11 février 1888.
LES OUVRIERS DE FRANCE
Air des: Pioupious d'Auvergne
A Jules Joffrin
Maigres prolétaires,
Modestes héros,
Gare aux militaires !
Aux «brav's généraux» !
L'fusil, la giberne
N'aim'nt pas les outils.
L' peuple, à la caserne,
N'eut jamais d'amis.
Quand, dans la ru', nous descendrons, tout blêmes,
Seuls, nous nous batt'rons ;
Chassant les patrons,
Dans les fournils, nous f'rons not' pain nous-mêmes
Et, pour le manger,
Nous nous pass'rons bien d' Boulanger,
De mêm' qu'il se cabre
D'vant les avocats,
Le peuple, du sabre,
N' fait non plus grand cas.
Tout ça, ça jacasse.
Sous différents noms ;
Faut d'abord qu'on casse,
La gueule aux canons.
Quand, dans la ru', nous descendrons, tout blêmes,
Seuls, nous nous batt'rons ;
Chassant les patrons,
Dans les fournils, nous f'rons not' pain nous-mêmes
Et, pour le manger,
Nous nous pass'rons bien d'Boulanger.
Amants d' I'épaulette
Et d' la corde au col,
Sachez-le, la bête,
Brisant son licol,
Malgré les épates
De Clermont-Ferrand,
N'veut plus, pour ses pattes,
D'maréchal-ferrant.
Quand, dans la ru', nous descendrons, tout blêmes
Seuls, nous nous batt'rons ;
Chassant les patrons,
Dans les fournils nous f'rons not' pain nous-mêmes
Et, pour le manger,
Nous nous pass'rons bien d'Boulanger.
7 avril 1888.
LA QUESTION DES CHIENS
Opinion de Bibi
A Toumine John
M'sieu Loze, not' préfet d'police,
Contre les cabots entre en lice.
Il paraîtrait que tous les maux
Nous vienn'nt de ces brav's animaux.
J'dis qu'il a tort de fair' des niches
A nos bons amis les caniches.
Y' a qué'qu'un qu'offre plus d' danger :
C'est l' brav'général Boulanger.
Les chiens, errant à l'aventure,
N'aspirent pas à la dictature.
Quelque temps qu'il fass', chaud ou frais,
lls ne voyag'nt pas à nos frais.
Ils ont un' conduit' polissonne ;
Mais, quoi, ça n' fait d'mal à personne.
Y' a qué'qu'un qu'on d'vrait attacher :
C'est l' brav' général Boulanger.
«Les chiens mord'nt», dit-on ; c'est un' craque :
I's n'mord'nt que c'lui qui les attaque,
Et puis, i's sont très rigolos,
Quand ils se dis'nt bonjour dans l'dos.
Leur voix, à tort' on la critique :
I's n'aboient pas d' la politique.
Y' a qué'qu'un qu'on devrait mus'ler :
C'est l'brav' général Boulanger.
La polic' les pig' par derrière,
Pour les conduire à la fourrière.
D'vant la rousse, i's sont nos égaux,
Car, leurs bêt's noir's c'est les sergots.
Au lieu de conduire à la chaîne,
Ces copains de la race humaine,
Y' a qué'qu'un qu'on devrait piger :
C'est l'braY' général Boulanger.
De pitié j' sens mon cœur se fendre,
Quant, comm' des bandits, j'les vois pendre.
S' passant d' cour d'assis's et d' jurés,
On les execut' sans curés.
L' bourreau, sans tambour ni trompette,
Leur-y serre la margoulette.
Y' a qué'qu'un qu'on d'vrait nettoyer:
C'est l' brav' général Boulanger.
12 juillet 1888.
LA BASTILLE
Air de : La ronde du Veau d'or, (Faust)
A Paulard.
La Bastille est toujours debout !
Sa grande ombre / S'étend, sombre, (Bis.)
D'un bout du monde à l'autre bout
Son nom infâme est l'Usine.
Les exploiteurs confondus,
Autour, dansent, éperdus,
Conduits par l'âpre lésine,
La ronde du Capital, (bis.)
Et l'argent mène le bal,
Mène le bal ;
Et l'argent mène le bal !
Mène le bal !
La Bastille est toujours debout !
Sa grande ombre / S'étend, sombre, (Bis.)
D'un bout du monde à l'autre bout.
Son nom féroce est l'Armée.
Autour d'elle, l'arme en main,
Les fléaux du genre humain
Dansent, parmi la fumée,
leur ronde, au rythme brutal, (bis.)
Et la mort mène le bal,
Mène le bal !
Et la mort mène le bal !
Mène le bal !
la Bastille est toujours debout !
Mais la ronde / Là bas, gronde (Bis.)
D'un bout du monde à l'autre bout.
Sinistres, les ventres vides,
Au lointain, au nom du Droit,
Farouches, montrent du doigt,
A leurs exploiteurs livides,
Le Waterloo social; (bis.)
Bourgeois, gare au dernier bal !
Au dernier bal !
Bourgeois, gare au dernier bal !
Au dernier bal !
14 juillet 1888
LA CHANSON DE LA GRÈVE
Air: C'est ta poire !
A Léopold Dauphin.
Effrontés marchands de nègres,
Bourgeois exploiteurs, patrons,
Qui faites nos ventres maigres
Pour que les vôtres soient ronds,
Nous vous chanterons sans trève,
A la barbe du sergot,
Oh ! oh ! oh ! oh !
C'est la grèv, la grèv', la grève !
C'est la grève qu'il nous faut !
Nous qui trimons sans relâche,
Ainsi que des animaux,
Sans gagner, à notre tâche,
De quoi nourrir les marmots ;
Nous qui n'avons que la fève,
Quand d'autres ont le gâteau,
Oh ! oh ! oh ! oh !
C'est la grév', la grèv', la grève !
C'est la grève qu'il nous faut !
Au nez des capitalistes,
Jetant nos outils brisés,
Déclarons, socialistes,
La guerre des bras croisés.
Que la montagne, à la grève,
Réponde, comme un écho:
Oh ! oh ! oh ! oh !
C'est la grèv', la grèv', la grève !
C'est la grève qu'il nous faut !
Déshérités de la plaine
Et de la rue, halte-là !
Esclaves, la coupe est pleine ;
Sur la terre brisons-la !
Qu'un seul cri partout s'élève,
De la ville ou du coteau :
Oh l oh ! oh ! oh !
C'est la grèv', la grèv', la grève !
C'est la grèv' qu'il nous faut !
8 août 1888.
CHANT DE GUERRE DES SERGOTS
Air: Le Midi bouge !
A Maxime Xissonne
En avant les sergots ! / Mieux qu'avec des flingots, (Bis.)
Chargeons la foule !
Dans tout Paris à seaux,
Que le sang coule
A même les ruisseaux !
Cognons !
Le drapeau bouge,
Noir et rouge !
Cognons !
Rangés en rangs d'ognons !
La Marianne est là ! Frappons-la, saignons-la ! (Bis)
Sus aux femelles,
Aux enfants en maillots !
Gare aux mamelles,
Aux ventres, aux boyaux !
Cognons !
Le drapeau bouge,
Noir et rouge !
Cognons !
Rangés en rangs d'ognons!
Topons, à qui mieux mieux ! / Sur les jeunes, les vieux.(Bis)
Saignons la bande,
Sans entendre et sans voir:
Le peuple est viande,
La rue est échaudoir !
Cognons !
le drapeau bouge,
Noir et rouge !
Cognons !
Ranges en rangs d'ognons !
16 août 1888.
LE COUCHER DU SOLEIL
Air: Combien j'ai douce souvenance (Chateaubriand.l
A Arthur Taire
De rubis ourlant les nuages,
Là-bas, là-bas, loin des rivages,
Dédaigneux du monde indécent
Des plages,
Dans la mer, l'astre incandescent
Descend.
De la terre on le voit qui bouge.
ll se laisse tomber, tout rouge.
Pour boire son sang, I'Océan,
Sa gouge,
L'attire en son gosier géant,
Béant.
C'est fini ; l'eau vient de le prendre.
L'embrasement se fait plus tendre.
Comme des charbons cachés sous
La cendre,
Les nuages ont des tons roux,
Très doux.
Se chargeant comme une palette,
et rose, et bleue et violette,
La vase, miroir transparent,
Reflète
Les feux de l'astre indifférent,
Mourant.
L'ombre enveloppe toute chose ;
Seule, sur l'Océan morose,
Une voile, là-bas, se teint
De rose.
Puis le couchant, flambeau lointain,
S'éteint.
Et maintenant c'est la nuit noire,
Les baigneurs, monde bassinoire,
Faisant, bien que bas de plafonds,
Leur poire ;
Les cocottes et leurs griffons
Bouffons,
La plage est pleine d'imbéciles,
Du Casino moutons dociles :
Vieux ramollis, jeunes aux troncs
Fossiles ;
Après les roses, les étrons.
—Rentrons !
Fouras, 2 septembre 1888.
MONSIEUR FERROUILLAT
Air de: Cadet-Rousselle.
A Forain.
Ferrouillat, ministre ingénu, (bis)
Professe la terreur du nu. (bis)
Ainsi que Joseph le pudique,
Devant Putiphar il abdique.
Ah ! ah ! C'est renversant !
Ce que Ferrouillat est décent !
Quand, le soir, il se met au lit, (bis)
Craignant de commettre un délit, (bis)
Pour ne pas voir son corps modèle,
Il souffle d'abord la chandelle.
Ah ! ah ! C'est renversant !
Ce que Ferrouillat est décent !
Sombre, il furète, sur les quais, (bis)
Dans les bouquins effiloqués. (bis)
Il tremble devant les estampes
Et pleure sur les culs-de-lampes.
Ah ! ah ! C'est renversant !
Ce que Ferrouillat est décent !
Innocent comme Calino (bis)
Aux jambes de son piano (bis)
Il a fait mettre une culotte,
Défendant que jamais on l'ôte.
Ah ! ah ! C'est renversant !
Ce que Ferrouillat est décent !
Un crâne chauve le fait choir: (bis)
Devant lui tirant son mouchoir, (bis)
Comme Tartufe, il crie: «Arrière !
Éloignez de moi ce derrière !»
Ah ! ah ! C'est renversant !
Ce que Ferrouillat est décent !
Il rougit d'un propos gaillard. (bis)
Chez lui quand il joue au billard, (bis)
Il blêmit, ses yeux s'effarouchent,
Lorsque les deux billes se touchent,
Ah ! ah ! C'est renversant !
Ce que Ferrouillat est décent !
29 septembre 1888.
L'ABBÉ ROUSSEL
Air de : Cadet-Rousselle.
A mon ami Georges Montorgueil
L'abbé Roussel a trois maisons (bis)
Pleines d'orphelins, bruns et blonds; (bis)
Dans des dentelles de Malines,
Il recueill' mêm' les orphelines ;
Ah ! ah ! ah ! mais vraiment,
L'abbé Roussel est bon enfant !
L'abbé Roussel a trois wagons (bis)
Pleins d' redingott's et d' pantalons; (bis)
Ses orphelins il les habille,
Moins cher qu'aux Phar's de la Bastille.
Ah ! ah ! ah ! mais vraiment,
L'abbé Roussel est bon enfant !
L'abbé Roussel a trois rabats. (bis)
Les deux premiers, i' n' les met pas. (bis)
Chez lui, quand il fait la dînette,
Le troisièm' lui sert de serviette ;
Ah! ah ! ah ! mais vraiment,
L'abbé Roussel est bon enfant !
L'abbé Roussel a trois bannièr's. (bis)
Le jour i' s' sert des deux premièr's. (bis)
Oui. mais, le soir, après l'église,
la troisièm' lui tient lieu d' chemise
Ah ! ah ! ah ! mais vraiment,
L'abbé Roussel est bon enfant !
L'abbé Roussel a trois enfants (bis)
Qui n'ont jamais eu de parents; (bis)
Pour qu' son pensionnat soy' prospère,
I' sem' des orphelins sur terre.
Ah ! ah ! ah ! mais, vraiment,
L'abbé Roussel est bon enfant !
6 décembre 1886
LES ACCAPAREURS
Air : Le Midi bouge
A Edouard Drumont
C'est nous les financiers; / Gros oiseaux carnassiers, (Bis.)
Notre bec fouille,
A la barbe des lois,
Dans la dépouille
Du bon pays gaulois.
Un ! deux !
Le veau d'or trône ;
Tout est jaune !
Un ! deux !
Nous nous foutons bien d'eux !
Les juges, pantins vils / Dont nous tenons les fils, (Bis)
Pleins d'insolence
Pour le pauvre aux abois,
Dans leur balance,
Pour nous ont de faux poids.
Un ! deux !
Le veau d'or trône ;
Tout est jaune !
Un ! deux !
Nous nous foutons bien d'eux !
Pressurons, sans souci / Ce riche pays-ci. (Bis.)
Serrons la meule !
Poussons sur Ie ressort !
Quand la faim gueule,
C'est de l'argent qui sort !
Un ! deux !
Le veau d'or trône ;
Tout est jaune !
Un ! deux !
Nous nous foutons bien d'eux I
Tranquilles, jouissons, / Mangeons, buvons, pissons, (Bis.)
Vivons sans masque
Jusqu'à satiété ;
Car qui qui casque ?
C'est la société !
Un ! deux !
Le veau d'or trône ;
Tout est jaune !
Un ! deux !
Nous nous foutons bien d'eux !
5 novembre 1888.
LES ACCAPARÉS
Air : Le Midi bouge.
A Jacques de Biez
Gare à vous, financiers, / Gros oiseaux carnassiers ! (Bis)
La bonne Gaule,
Terrible en ses lambeaux,
A coups de gaule
Chassera les corbeaux !
Filous !
Quand Paris bouge,
Tout est rouge !
Filous !
Prenez bien garde à vous !
Bouchers d'Or, vils saigneurs, / Pire que les seigneurs, (Bis)
Le peuple tisse
Sa toile, aveugle et sourd,
Et sa Justice
Vous pendra haut et court.
Filous !
Quand Paris bouge,
Tout est rouge !
Filous !
Prenez bien garde à vous !
Sachez-le, gros barons, / Nous vous rattraperons, (Bis)
Mauvaise teigne,
Nous serrerons à mort:
Quand le Rich' saigne,(1)
C'est notre argent qui sort !
Filous !
Quand Paris bouge,
Tout est rouge !
Filous !
Prenez bien garde à vous !
Voleur à gros bedon, / Ronfle sous l'6dredon: (Bis)
Pour voir ta fiole,
Pâle, sur l'oreiller,
La Carmagnole
Viendra te réveiller !
Filous !
Quand Paris bouge,
Tout est rouge !
Filous !
Prenez bien garde à vous !
6 novembre 1888.
LES FORAINS
Air de: Paillasse (Béranger)
A François Bidel
«Une pétition contre les forains circule en ce moment à Montmartre. Cetto pétition, où figurent le noms de MM. Gérôme, William Busnach, Sarcey, G. Ohnet, Lenepveu, etc., etc., demande l'expulsion des banquistes. actuellement installés boulevard Rochechouart.»
(Extrait des journaux. )
Forains, roulant votre tonneau
Ainsi que Diogène,
Que l' beau mond' ferme son piano,
Si vot' fanfar' le gêne.
Vos spectacl's, vos jeux
Ne sont pas pour ceux
Chez qui l'argent abonde.
Paillass', mon ami,
N'saut' pas à demi :
Saut'pour le petit monde !
Saut' pour que Gérôme, aux abois,
Désertant la peinture,
N' nous montre plus d' bonshomm's en bois,
Couleur de confiture.
Brav'mont, criant: «Zut !
A tout l'lnstitut,
Critique, blague et fronde
Paillass', mon ami,
N' saut' pas à demi :
Saut' pour le petit monde !
Saute ! pour que William Busnach,
Renonçant au théâtre,
De Zola n' se fass' plus l' cornac,
Changeant son marbre en platre
Tout' son œuvre en toc,
Même prise en bloc,
Ne vaut pas ta faconde.
Paillass', mon ami,
N' saut' pas à demi :
Saut' pour le petit monde.
Saute pour que monsieur Lenepveu
Ne fass' plus de musique.
Pour que Sarcey, sans feu ni lieu,
Abandonn' la critique.
Pour que Georg's Ohnet,
Dans son cabinet,
N' fabriqu' plus d' guimauv' blonde.
Paillass', mon ami,
N' saut'pas à demi :
Saut' pour le petit monde !
Le seul banquiste qu'on devrait
Chasser d' la plac' publique,
Un saltimbanque, un chouette, un vrai,
C'est Roch'fort, c'te sal' clique ;
Il excit' les gens
Et quand les agents
Cogn'nt su' l' peuplc, à la ronde,
Pour n' pas voir de sang
I' s' débin', laissant
Assommer l' petit monde I
23 novembre 1888.
LE TEMPS DES CRISES
Air: le temps des cerises.
A mon ami Georges de Labruyère
Vous regretterez le beau temps des crises,
Quand, pauvres sans pain et riches gavés,
Nous serons aux prises.
Les drapeaux de Mars flotteront aux brises,
les drapeaux vermeils sur qui vous bavez.
Vous regretterez le beau temps des crises,
Quand viendra le Peuple en haut des pavés.
Quand vous pleurerez le beau temps des crises,
Le vil renégat et l'accapareur
En verront de grises.
Les politiciens auront des surprises.
Les Judas, au ventre, auront la terreur.
Quand vous pleurerez le beau temps des crises,
Grondera partout la Rue en fureur.
Profitez-en bien du beau temps des crises,
Où le Peuple jeûne et passe en rêvant
Aux Terres promises.
Quand donc viendras-tu fondre les banquises,
O grand soleil rouge, ô soleil levant?
Profitez-en bien du beau temps des crises,
Où le Peuple veille et s'en va, rêvant.
10 décembre 1886
LES OPPORTUNISTES ET LES INTRANSIGEANTS
Scie politique dédiée aux électeurs
de la prochaine Chambre
Air : Ah ! mesdam's, voilà du bon fromage !
A mon ami Sutter Lauman
Quelle sci', vraiment ! Il est temps qu'on en finisse !
Ce qu'on nous rase avec les opportunisses !
Pour les électeurs, vrai, c'que c'est em...bêtant
d'entendre toujours parler d'intransigeants !
Qui qu'aim' le pouvoir ? Qui qui veut êt' minisses ?
Ah ! mes bons amis, c'est les opportunisses.
Dans le fond d'son cœur qui qui l'aime égal'ment ?
Soyez-en certains, c'est les intransigeants.
Qui qui plac' rich'ment ses neveux et ses fisses ?
Ah ! mes bons amis, c'est les opportunisses.
Dans des sinécur's qui qui plac' ses parents ?
Soyez-en certains, c'est les intransigeants.
Qui qui trait' partout l'ouvrier d'immondices ?
Ah ! mes bons amis, c'est les opportunisses.
Dans l'intimité. qui qui l'trait' de faignant ?
Soyez-en certains, c'est les intransigeants.
Qui qu'a la terreur des affreux communisses ?
Ah ! mes bons amis, c'est les opportunisses.
Devant la Commun' qui qu'a des tremblements ?
Soyez-en certains, c'est les intransigeants.
Qui qui s'fich' pas mal que le peuple pâtisse ?
Ah ! mes bons amis, c'est les opportunisses.
Dans l' for intérieur, qui qui s'en fiche autant ?
Soyez-en certains, c'est les intransigeants.
Tout's ces élections, oh ! la ! la ! quel supplice !
Électeurs, votons tous pour des socialistes.
Bien loin de la Chambre envoyons pareill'ment
Les opportuniss's et les intransigeants.
11 décembre 1886.
LE REVEILLON DES GUEUX
Air : Digue, digue, digue, diguedidou
(Cloches de Corneville)
A mon ami Jean Richepin
Dans Paris glacé, les cloches des églises
Sonnent, à minuit, la chanson de Noël,
Et les vagabonds, sans pain et sans chemises,
S'en vont, greloytant et maudissant le ciel.
Blême et muselant l'appétit qui l'assiège,
Le rôdeur se dit qu'il n'ira plus bien loin,
Et, loin des sergots, s'étendant sur la neige,
Comme un chien galeux va crever dans un coin. —(bis)
Digue, digue, digue, diguediguedon,
Sonne, sonnz, sonnez, joyeux carillon !
Digue, digue, digue, diguediguedon, `
Sonne l'heure du Réveillon !
Digue, digue, digue, digue,
Etc., etc.
Les fils de famille et les filles de joie,
Les maigres viveurs et les bourgeois tout ronds,
Près d'un clair foyer s'en vont manger de l'oie :
Le Peuple, pour eux, a tiré les marrons.
L'on boit, l'on s'empiffre, et l'on bat la campagne,
Les catins en rut dépouillent les michés,
Et le cliquetis des verres de champagne
Répond en sourdine à l'hymne des clochers. —(bis)
Digue, digue, digue, diguediguedon,
Sonne, sonnez, sonnez, joyeux carillon !
Digue, digue, digue, diguediguedon, `
Sonne l'heure du Réveillon !
Digue, digue, digue, digue,
Etc., etc.
Gros bourgeois repus, nocez, faites ripaille !
Nous, les meurt-de-faim, nous nous réveillerons !
Près d'un clair foyer, rôdeurs sans sou ni maille,
Nous viendrons un jour pour manger les marrons !
Oui, les vagabonds sans pain et sans chemises,
Viendront démolir vos Noëls et vos dieux !
Et vous entendrez les cloches des églises
Sonner à minuit, le réveillon des gueux (bis)
Digue, digue, digue, diguediguedon,
Sonne, sonnz, sonnez, joyeux carillon !
Digue, digue, digue, diguediguedon, `
Sonne l'heure du Réveillon !
Digue, digue, digue, digue,
Etc., etc.
26 décembre 1886
LA MÉLINITE
Air : Ça vous coup' la gueule à quinze pas
A mon ami Henri d'Arsay
I' faut le r'connaître, un' jolie invention
C'est celle do la mélinite.
Ça fait honneur à la civilisation,
D' produir' des matières de c' mérite.
C'est joli, ça r'ssemble à du miel ;
Mais ça fait sauter vingt maisons jusqu'au ciel.
Un simple choc et patatras !
Ça vous coup' la gueule à quinz' pas !
Nous avions déjà découvert la nitro-
Glycérine et la dynamite ;
L' Prussien, sentant v'nir la guerre au petit trot,
Inventa la douc' panclastite.
Monstres, prenez pas c't air rupin,
Car la mélinit' c'est le coup du lapin ;
Réunis, vous ne la valez pas :
Ça vous coup' la gueule à quinz' pas !
Chauvins d'outre-Seine et soudards d'outre-Rhin,
En dépit' de vos airs terribles,
Les peupl's couvriront, de leurs grand's voix d'airain,
Le bruit d' vos matièr's explosibles.
Gar' si nous nous en emparons,
Un jour, contre vous, nous nous en servirons.
C'est drôl' que vous n' le sentiez pas :
Ça vous coup' la gueule à quinz' pas !
11 janvier 1887
LA SOCIÉTÉ PROTECTRICE DES ANIMAUX
«Tout Paris était hier soir à l'hyppodrome pour la seconde représentation des courses de taureaux...
«Quelques fanatiques de la Société Protectrice des animaux ont cru devoir protester, mais sans grand succès.»
Air : aimez-moi au moins comme vos bêtes
Lachambaudie.
A mon ami Henri Brissac
A l'aube, je vais à l'usine ;
En sueur, sans jamais m'asseoir,
Je me surmène, je turbine,
Depuis le matin Jusqu'au soir.
Philanthropes, soyez plus chouettes ;
Je vaux bien tous vos animaux.
Bis :
Aimez-moi du moins comm' vos bêtes,
Vos chiens, vos chats et vos taureaux !
Pour rien je travaille sans trêve ;
L'exploiteur est mon picador ;
Et lorsqu'à bout je me soulève,
César est mon toréador.
Hommes sensibles que vous êtes,
Protestez contre mes bourreaux !
Bis :
Aimez-moi du moins comm' vos bêtes,
Vos chiens, vos chats et vos taureaux !
Quand j'attrape soixante ans d'âge,
Le patron dit: «Il est trop vieux !»
Il m'envoie à l'équarrissage
Comme un pauvre cheval boiteux.
Au lieu de faire des courbettes
Devant mes cruels toreros,
Bis :
Aimez-moi du moins comm' vos bêtes,
Vos chiens, vos chats et vos taureaux !
Le sort me garde en récompense
La mort, sans rien dans le fanal ;
L'autopsie, au nom de la science,
Sur un triste lit d'hopital.
Les travailleurs ont leurs squelettes
Dans les cabinets medicaux.
Bis :
Aimez-moi du moins comm' vos bêtes,
Vos chiens, vos chats et vos taureaux !
23 janvier 1887.
POUR LA GRÈVE !
(A tous les travailleurs de France)
Air des Pins (de Pierre Dupont)
A mon ami Vialla
Tous les esclaves du Chantier,
Tous les écorchés de l'Usine,
Tous les martyrs de l'Atelier,
Tous les enterrés de la Mine !
Ceux du dessus et d'en-dessous !
Alerte ! amis, on nous affame !
En chœur envoyez vos gros sous
Pour les petits et pour la femme !
Travailleurs on vous tend la main !
Donnez toujours ! Donnez sans trève !
Pour ceux qui souffrent de la faim,
Que le bronze se change en pain :
Le pain, c'est l'arme de la Grève !
La Grève, c'est le grand combat
Des rouges contre les livides
Des poitrines où le cœur bat
Contre les poitrails qui sont vides,
C'est le combat où, pour lutter,
Le pauvre n'a pas de mitrailles :
Il lui suffit, pour résister,
D'un peu de blé dans les entrailles !
Travailleurs on vous tend la main !
Donnez toujours ! Donnez sans trève !
Pour ceux qui souffrent de la faim,
Que le bronze se change en pain :
Le pain, c'est l'arme de la Grève !
Donnez encore ! Donnez toujours !
Des liards, faites la récolte !
Cette farine dans les fours,
C'est la poudre de la Révolte
Tire ta bourse, citoyen !
Celui qui bataille est ton frère ;
Ton gros sou, c'est un biscaïen
Qui tombe dans sa cartouchière !
Travailleurs on vous tend la main !
Donnez toujours ! Donnez sans trève !
Pour ceux qui souffrent de la faim,
Que le bronze se change en pain :
Le pain, c'est l'arme de la Grève !
8 mars 1887
POISSON D'AVRIL
Air : On les pendra !
A mon ami Eugène Riffey
Peuple crédule qu'on lanterne
Et qui coupe dans tous les ponts,
Allume un peu mieux ta lanterne ;
Tu démasqueras les fripons,
Les renégats et les capons.
Du candidat sur son affiche,
N'écoute plus le vilain babil ;
Ses promesses, ce qu'il s'en fiche !
Poisson d'avril ! (4 fois)
Ce blagueur, afin qu'on l'élise,
Dans sa longue profession,
Voulait, de l'Etat, de l'Eglise,
Pour toujours sans rémission,
Faire la séparation.
Candidat, il fit la promesse
D'envoyer le prêtre en exil ;
Honorable, il sert la messe ;
Poisson d'avril ! (4 fois)
Cet effronté, pourri de vice,
De faire four ayant le trac,
Au villageois simple et novice
Sur son affiche, sans mic-mac,
Promet un bureau de tabac.
Pour un autre, garde ton vote,
Bon gogo, car ce bureau qu'il
Te promet, c'est une carotte :
Poisson d'avril (4 fois)
Ce troisième dans ses affiches,
Sur un ton protecteur et fier,
Promet aux électeurs godiches
Un grand canal, un port de mer,
Des routes, des chemins de fer.
Conclusion accoutumée :
Le pays n'a même pas un fil ;
Le railway s'envole en fumée :
Poisson d'avril (4 fois)
Bon peuple, à Lille comme à Tarbes,
Ne crois plus aux politiqueurs ;
Imberbes ou bien vieilles barbes,
Forts en paroles, mais traqueurs.
Tous les tribuns sont des truqueurs,
De grands mots ils tiennent boutique ;
Un jour, quand t'auras un fusil,
Tire dessus la politique :
Poisson d'avril (4 fois)
2 avril 1887
LES ANTI-PROPRIÉTAIRES
Air : On les guillotinera, messieurs les propriétaires...
A. POTHEY.
A mon ami Alexandre Pothey
Refrain :
On les déménagera
Les malheureux locataires ;
On les déménagera ;
Le concierge en crèvera.
Vous qui n'avez pas d'argent,
Demandez les pauvres hères,
L' coup d'épaule intelligent
Des antipropriétaires
(Au refrain.)
Honnêt's filles sans le rond,
Pâl's et tristes ouvrières,
Lugubre chair à patron,
Nous sauv'rons vos pauv's affaires.
(Au refrain.)
Pauvres vieillards aux abois
Dont les fils sont militaires,
Appelez la cloch' de bois :
Elle sonn' pour tous nos frères.
(Au refrain.)
Tristes veuves sens emploi,
Petits goss's restés sans pères,
A la barbe de la loi
Nous soulag'rons vos misères.
(Au refrain.)
Vous qui rôdez sous le ciel
En r'gardant l'eau des rivières
De vos maqu'reaux maîtr'-d'hôtel
Nous défonc'rons les caf'tières.
(Au refrain.)
Du rez-d' chaussé' jusqu'en haut
Sur los pip'lets délétères
Nous cogn'rons et, s'il le faut,
Nous ouvrirons los portières.
On les déménagera
Les malheureux locataires ;
On les déménagera ;
Le concierge en crèvera.
9 avril 1887
LE TOMBEAU DES FUSILLÉS
Air: La Chanson des peupliers.
A mon ami Désiré Magnien
Ornant largement la muraille,
Vingt drapeaux rouges assemblés
Cachent les trous de la mitraille
Dont les vaincus furent criblés.
Bien plus belle que la sculpture
Des tombes que bâtit l'Orgueil,
L'herbe couvre la sépulture
Des morts enterrés sans cercueil.
Ce gazon que le soleil dore,
Quand Mai sort des bois réveillés ;
Ce mur que l'Histoire décore,
Qui saigne encore,
C'est le tombeau des fusillés. (bis)
Autour de ce tombeau sans bronze,
Le prolétaire, au nez des lois,
Des héros de soixante et onze
Écoute chanter las exploits.
Est-ce la tempête ou la houle
Montant à l'assaut d'un écueil ?...
C'est la grande voix de la foule
Consolant les morts sans cercueil !
Ecoute, bon bourgeois qui tremble:
Pleurant ceux qu'on croit oubliés,
Le peuple, tout entier, s'assemble
Et vient ensemble
Près du tombeau des fusillés. (bis)
Loups de la Semaine sanglante,
Sachez-le, l'agneau se souvient.
Du peuple la justice est lente ;
Elle est lente, mais elle vient !
Le fils fera comme le père
La vengeance vous guette au seuil;
Craignez de voir sortir de terre
Les morts enterrés sans cercueil !
Tremblez ! les lions qu'on courrouce
Mordent, quand ils sont réveillés !
Fleur rouge éclose dans la mousse,
L'Avenir pousse
Sur le tombeau des fusillés ! (bis)
30 mai 1887
LA MARSEILLAISE DE LA JEUNESSE
Air : La Marseillaise
A mon ami Louis Jeannin
Allons ! Jeunesse de la France,
Fils de la rue et du pavé,
Par nous, des arts, do la science,
Le drapeau sublime est levé ! (bis)
Entendez-vous, dans nos écoles,
Les maîtres parler aux enfants?
A leurs jeunes fronts triomphants,
Le savoir met des auroles !
Aux livres ! citoyens ! Sans répit travaillons !
Lisons ! (bis) que le savoir guide nos bataillons !
Que veulent ces porte-soutanes,
Contre le progrès conjurés ?
Pour qui ces honteux bonnets d'ânes,
Pour des fronts étroits préparés (bis)
Enfants ! Pour nous ! Ah ! quelle offense !
Apprêtons-nous à résister !
C'est nous qu'on ose méditer
de rendre à l'antique ignorance !
Aux livres ! citoyens ! etc., etc.
Eh quoi ! cette horde de prêtres
Mettrait sur nous son mantenu noir !
Quoi ! sur l'Esprit, cec mauvais maîtres
Placeraient l'ignoble éteignoir ! (bis)
Sous l'effort de ces mains impures,
Nos Crânes se déformeraient!
Ces cancres débiliteraient
Les générations futures !
Aux livres ! citoyens ! etc., etc.
Pour l'intolérance passée,
Gardant un trop juste mépris,
Enfants, que la Libre-Pensée
Dirige seule nos esprits ! (bis)
Parcourant Montaigne et Molière,
Ces prophètes des temps nouveaux,
Camarade, que nos cerveaux
S'ouvrent enfln à la Lumière !
Aux livres ! citoyens ! etc., etc.
Instruction obligatoire,
Viens lutter avec tes soldats !
Donne-nous la seule victoire
Qui soit féconde en résultats ! (bis)
A l'école, que la Jeunesse
Accoure è ton sublime appel !
Au nez des Buffet, des Freppel,
Que, par toi, la France renaisse !
Aux livres ! citoyens ! etc., etc.
14 juin 1887
LA QUESTION DE l'EAU
Air : C'est la poire
A mon ami Raoul Ponchon
LES VAGABONDS
L'eau de source, pure ot saine,
Coule pour tous les richards.
En revanche l'eau de Seine
Empoisonne les déchards.
La situation est noire
Pour nous autres, buveurs d'eau !
Oh ! oh ! oh ! oh !
Bis :
C'est à boire, à boire, à boire,
C'est à boire qu'il nous faut !
LES BÉBÉS
Bébé en maillots, en robes.
Qu'on coiffe d'un bourrelet,
Prenons bien garde aux microbes :
Y' a de l'eau dans notre lait !
Dans le biberon d'ivoire
La mort guette le marmot !
Oh ! oh ! oh ! oh !
Bis :
C'est à boire, à boire, à boire,
C'est à boire qu'il nous faut !
LES TRAVAILLEURS
Nous tous qui mangeons sans nappes
Dans les gargot's d'ouvriers ;
A qui, comme jus de grappes,
On verse des vins mouillés ;
Camarades, l'infusoire
Peut s'échapper du goulot !
Oh ! oh ! oh ! oh !
Bis :
C'est à boire, à boire, à boire,
C'est à boire qu'il nous faut !
LES COLLÉGIENS
Esclaves de la science,
Triste chair à professeurs,
Oui buvons de l'abondance,
Loin des mamans et des sœurs !
Pour nous tous, le réfectoire
Peut devenir le tombeau !
Oh ! oh ! oh ! oh !
Bis :
C'est à boire, à boire, à boire,
C'est à boire qu'il nous faut !
LES RICHES
Riches, heureux de la vie,
Nous pour qui tout est azur,
Nous que la Misère envie,
Grisons-nous de bon vin pur !
Amis, comme un saint-ciboire,
Levons le verre bien haut !
Oh ! oh ! oh ! oh !
Bis :
C'est à boire, à boire, à boire,
C'est à boire qu'il nous faut !
26 juin 1887
V'LA-Z-UN GENDARME !
A mon ami Lunel
Un gendarme passait, M. Josselin eut la malencontreuse idée de fredonner :
«V'là un gendarme, sauvons-nous !»
Le scandale de Saint-Cloud.
Vieilles, sur les seuils accroupies,
Assises à l'ombre des toits ;
Pauvres fileuses à roupies,
Chantonnant des airs d'autrefois :
Sentez ces odeurs de maroles,
De bottes, quand les temps sont mous...
Grand'mères, gare à vos paroles :
V'là-z-un gendarme, taisez-vous !
Joyeuses rondes enfantines,
Qui, par la rue ou les buissons,
insouciantes et mutines,
Tournez au rythme des chansons;
Sentez-vous dans le frais bocage,
Ces fades relents d'hommes saoûls ?
Oiseaux, rentrez dass votre cage:
V'là-z-un gendarme, envolez-vous !
Gais amoureux qui, sous les branches,
Fuyant l'averse de soleil,
Parmi les paquerettes blanches,
Marchez vers l'horizon vermeil,
Dans les fourrés montant la garde,
Quand voue vous faites les yeux doux.
Cabis est là qui vous regarde:
V'là-z-un gendarme, sauvez-vous !
«Fatal oracle d'Épidaure»,
Docteur Castaing, qui dans Saint-Cloud
Conquit la gloire, avant Pandure ;
Campi, Gamahut. Ménesclou,
Prévost, Troppmann et Lacenaire,
Corps sana têtes, têtes sans cous,
Les assassins, sortez de terre :
V'là-z-un gendarme, embrassez vous !
4 juillet 1887
LA «VEUVE»
A mon ami Octave Mirbeau
La veuve, auprès d'une prison,
Dans un hangar sombre, demeure.
Elle ne sort de sa maison
Que lorsqu'il faut qu'un bandit meure.
Dans sa voiture de gala
Qu'accompagne la populace,
Elle se rend, non loin de là,
Et, triste, descend sur la place.
Avec des airs d'enterrement,
Qu'il gèle, qu'il vente, ou qu'il pleuve,
Elle s'habille lentement,
La Veuve.
Les témoins, le prêtre et la loi,
Voyez, tout est prêt pour la noce.
Chaque objet trouve son emploi :
Ce fourgon noir, c'est le carrosse.
Tous les accessoires y sont:
Les deux chevaux, pour le voyage,
Et les deux paniers pleins de son :
la corbeille de mariage.
Alors, tendant ses longs bras roux,
Bichonnée, ayant fait peau neuve,
Elle attend son nouvel époux,
La Veuve.
Voici venir son prétendu,
Sous le porche de la Roquette,
Appelant le mâle attendu,
La Veuve, à lui, s'offre, coquette.
Pendant que la foule autour d'eux,
Regarde, frissonnante et pâle,
Dans un accouplement hideux,
L'homme crache son dernier râle.
Car ses amants, claquant du bec,
Tués dès la première épreuve,
Ne couchent qu'une fois avec
La Veuve.
Cynique, sous l'œil du badaud,
Comme, en son boudoir, une fille,
La Veuve se lave à grande eau,
Se dévêt et se démaquille.
Impassible, au milieu des cris,
Elle retourne dans son bouge.
De ses innombrables amants
Elle porte le deuil en rouge,
Dans sa voiture se hissant,
Gouge horrible, que l'homme abreuve,
Elle rentre cuver son sang,
La Veuve.
30 août 1887.
LA LIBERTÉ DU TRAVAIL
Air du Rêve du Paysan (Pierre Dupond)
A mon ami Bernard Fau.
— Travaillez, dit un vieil adage,
Le travail, c'est la liberté !
— Non ! le travail c'est l'esclavage !
Riposte, aujourd'hui, l'exploité.
Le Capital vous extermine,
Du pouvoir bravant les fusils ;
Quittez la fabrique et la mine,
Frères, laissez là vos outils !
Grève ! travailleurs ! grève !
Que, de la montagne à la grève,
Ce cri, par vous tous répété,
Donne au travail ressuscité,
La liberté ! (Bis)
Le travail, laboureur du monde,
Engraissant son fermier brutal,
Patient, récolte à la ronde,
Pour enrichir le Capital.
Tandis qu'enfermé dans ses chambres,
Ronfle le patron, son tuteur,
Il fauche, ayant aux quatre membres
Les chaînes d'or de l'exploiteur.
Grève ! travailleurs ! grève !
Que, de la montagne à la grève,
Ce cri, par vous tous répété,
Donne au travail ressuscité,
La liberté ! (Bis)
Hercule doux et sans révolte,
Oubliant son manteau royal,
Le travail soutient l'archivolte
De l'édifice social.
Usant la vigueur qul l'embrase
Et sans revendlquer son bien
Du lourd monument qui l'écrase
Il est le colossal soutien.
Grève ! travailleurs ! grève !
Que, de la montagne à la grève,
Ce cri, par vous tous répété,
Donne au travail ressuscité,
La liberté ! (Bis)
Exploiteurs ! gare à la révolte !
Le faucheur brisera ses liens.
L'Hercule, lâchant l'archivolte,
Sonnera l'assaut de vos biens.
Il vous faudra bien vous soumettre
Et cracher tout l'or du vol, quand
Le travail, devenu son maître,
Sortira, rouge, du volcan !
Grève ! travailleurs ! grève !
Que, de la montagne à la grève,
Ce cri, par vous tous répété,
Donne au travail ressuscité,
La liberté ! (Bis)
30 septembre 1887.
LES ANARCHISTES DE CHIGAGO
A mon ami Ernest Laumant
«Si l'hommage rendu à la vérité est un crime capital, eh bien ! pour si cher qu'en soit le prix, nous le paierons.»
(Paroles de Spiees à ses juges)
Ceux qui meurent pour leurs idées,
Sans crainte affrontent le trépas.
Pour ces légions décidées,
la potence n'existe pas.
Fières victimes du mensonge,
Ils dédaignent le ver qui mord.
Le martyr, à l'avenir, songe
Avant la mort !
Quand sonne l'heure du supplice
Quittant son radieux séjour,
En dépit de l'ombre complice,
La vérité brille au grand jour.
du patient qui se balance,
Âme lumineuse, elle sort.
De l'échafaud elle s'élance
Pendant la mort !
Ombrageant la fosse comblée,
Arbre, des exploiteurs maudits.
D'affronts et d'insultes criblée,
Aux yeux de tous elle grandit.
De la sève des martyrs pleine,
Vers l'azur prenant son essor,
Elle couvre toute la plaine
Après la mort !
17 octobre l887.
LE MEILLEUR PRÉSIDENT
Air : Mon père était pot.
A mon ami Georges Duval
Que l' président soit Freycinet,
Sadi-Carnot ou d'autres,
C'est bonnet blanc et blanc bonnet:
Ces gens n'sont pas des nôtres,
Pour l'os des bourgeois
Tremblants, aux abols,
Bon peuple, aboie ou gronde :
L'fait est évident :
L' meilleur Président
C'est l'Président Tout-l'-Monde.
De vot' maîtr' quel que soit le nom,
Pauvr's, c'est toujours vot' maître.
Sur vous il fera tirer l' canon,
Afin de vous soumettre.
Il vous exploit'ra
Et l'on rigol'ra
d'vos bobin's à la ronde.
L'fait est évident :
L' meilleur Président
C'est l'Président Tout-l'-Monde.
Au lieu d' voter pour le bedon
Des richards a bell' mise,
Travailleur naïf, vote donc
Pour l'homm' qu'est dans ta ch'mise.
Sortant d' sous ton toit,
Ne t' bats plus qu' pour toi,
Quand souffle un vent de Fronde.
L'fait est évident :
L' meilleur Président
C'est l'Président Tout-l'-Monde.
Des présidents, il n'en faut plus ;
Moi j' trouv' ça ridicule :
C'est des soliveaux superflus
Qul gên'nt quand on circule.
I's n'veul'nt foutr' le camp
D' leur fauteuil que quand
L' mépris public débonde.
L'fait est évident :
L' meilleur Président
C'est l'Président Tout-l'-Monde.
3 décembre 1887.
(1)Quand le Rich' saigne : Le texte original était«Quand le Juif saigne». L'antisémitisme n'a pas droit de cité sur , surtout pour le laisser abîmer cette belle chanson.