La défense de Madrid vue par Cipriano Mera, 1936
Qui était Cipriano MERA SANZ (1897-1975) ?
Cipriano Mera était en prison le 19 juillet 1936 (pour avoir organisé une grève générale dans le bâtiment). Il fût libéré par des camarades et parti immédiatement à la conquête des abords de Madrid.
Dans les jours qui suivirent :
Il devait être 11 heures du matin, le 28 -rapporte Hera- lorsque nous commençâmes notre marche en direction de Cuenca. Nous étions cent cinquante camarades et possédions deux mitrailleuses et un fusil-mitrailleur dont Verardini nous avait appris le fonctionnement. Parmi nous, se trouvaient des camarades connus comme le déjà cité Verardini, Luzon, Acracio Ruiz et Casado.
A Tarancon, nous tombâmes sur une colonne formée par la Fédération locale de la C.N.T. de Madrid, dirigée par Amor Nuno et composée de cent hommes... Ces camarades, apparemment informés, nous apprirent qu'ils attendaient des instructions pour aller combattre à Valence les militaires consignés qui se prépa. raient à fomenter la rébellion. Nous continuâmes notre route et à quatre heures de l'après-midi, nous arrivions à Cuenca. Avant d'entrer dans la ville, quelques camarades y pénétrèrent pour annoncer la venue de mille hommes armés avec un bataillon de mitrailleuses et une batterie de tir rapide. Le retour de ces camarades confirma certaines réticences observées par la Garde civile. Sans découvrir nos intentons, nous prîmes toutes les mesures de sécurité nécessaires. Ayant disposé nos forces aux alentours de la caserne, nous nous adressâmes au gouverneur pour lui signaler que nous allions ouvrir le feu contre la caserne, en insistant sur le fait que le supposé bataillon de mitrailleuses et les mille hommes se tenaient à l'entrée de la ville prêts, sur mon ordre, à faire sauter la caserne et tous ceux qui s'y trouvaient, sans épargner personne. Les choses ne se firent pas attendre. Je fus convoqué par le gouverneur dans son bureau. Je n'assurerais pas que ce fut la conséquence de mon discours, mais il me déclara que la Garde civile, trois cents hommes en tout, et leurs chefs et officiers se mettaient à la disposition de la République. Je fis comprendre au gouverneur que toutes les armes devaient rester en dépôt à la caserne et qu'il fallait préparer un train spécial pour conduire l'ensemble des gardes civils à Madrid afin de les mettre à la disposition du Commandement supérieur. Le gouverneur hésitait à donner un tel ordre. Notre exigence, cependant, eut raison de la timidité du gouverneur. Sur les 8 heures du soir, les gardes civils étaient acheminés vers Madrid et cessaient de représenter un danger pour Cuenca. La ville était gagnée à notre Cause.
Durant trois jours, nous avons parcouru, comme il nous le fut demandé, la province.
Nous passâmes, entre autres, par Tobar et Tragacete ainsi que par la région de Villanueva de Alcoron, Zaorejas et Canizares, observant que les populations sympathisaient plus avec les fascistes qu'avec la cause républicaine. La situation ne présentant cependant aucun danger majeur, la présence sur place de nos forces était inutile. De retour à Cuenca, nous fîmes un rapport au gouverneur...
Ensuite Mera se présenta sans tarder au Comité régional et rendit compte de son séjour à Cuenca et dans la province. Il écrit à ce sujet :
Une fois clarifiée la situation, des syndicats de la C.N.T. et de l'U.G.T. avaient été constitués, parfois aussi des sections de partis politiques. Parmi les adhérents de dernière heure, certains étaient indubitablement sincères, mais il était indéniable que nombre d'individus, hostiles à la cause du peuple, occupaient dans ces organisations des postes de responsabilité, par opportunisme.
Nous suggérâmes au camarade Val d'entreprendre une, nécessaire campagne de propagande.
Celle-ci devait être organisée rapidement et sur une large échelle par des hommes doués de finesse et possédant la formation doctrinale nécessaire pour contrecarrer la propagande menée par la droite et développer le niveau de conscience de ces gens qui, pour l'instant, étaient plus avec cette droite que de notre côté. Pour parvenir à convaincre ces gens que nous ne correspondions pas à l'image donnée de nous par nos détracteurs et leur faire comprendre que notre combat avait pour but de changer les conditions de vie des exploités, nos envoyés devaient, nécessairement, faire preuve d'une éthique irréprochable. Il fallait tenir compte du fait que la plupart des paysans de ces zones libérées étaient des petits propriétaires, relativement indépendants. J'exposai à Val un cas digne d'intérêt qui s'était produit dans le village de Canizares. Là, nous avions fouillé la ferme d'un propriétaire foncier, disparu avant le soulèvement militaire, et avions procédé à la distribution aux plus nécessiteux du village de quelques centaines d'œufs et de poules. Cependant, au fur et à mesure que s'opérait le partage, et sans que nous nous en rendîmes compte, les gens rapportaient tout ce que nous leur avions distribué à la ferme en question. Ils montraient ainsi leur peur de devoir affronter la colère du propriétaire après son éventuel retour. Tel était l'état de pauvreté morale dans lequel se trouvaient la plupart des habitants de ces villages. Toute campagne de propagande devait, par conséquent, être réalisée avec beaucoup de tact et par des hommes ayant une conduite indiscutable.
La bataille de Madrid :
L'ennemi était véritablement aux portes de Madrid. Il fallait donc agir rapidement, mais avec précautions. Les préparatifs pour le transfert à Madrid des mille volontaires eurent lieu le 7, non sans problèmes d'ailleurs car mille combattants supplémentaires s'étaient portés volontaires et il fallut les convaincre de ne pas dégarnir les fronts.
Les renforts arrivèrent à Madrid le 8, vers six heures du matin. Les troupes furent cantonnées pour moitié dans une caserne située dans le Pacifico, l'autre moitié occupant les locaux annexes de la rédaction de "Campo libre", rue Fuencarral. Mera, accompagné de Verardini, se rendit immédiatement au ministère de la Guerre pour consulter l'état-major... Grande fut notre surprise, raconte Mera, en nous apercevant qu'il n'y avait personne pour nous recevoir. Que se passait-il ?
Il semblait que tout le monde avait pris la poudre d'escampette. Nous trouvâmes finalement un gardien ou ordonnance à qui nous demandâmes où était passé l'état-major. L'homme en question nous dit, tout attristé, ne rien savoir, mais ajouta, cependant, qu'il avait remarqué durant la nuit un grand va-et-vient de voitures qui, apparemment, se dépêchaient de rejoindre Valence avant que les fascistes ne coupent les voies de communication. Il nous dit pour finir avoir entendu que le général Miaja se trouvait dans les caves du ministère des Finances.
Nous nous y rendîmes sans perdre de temps. Vers onze heures, nous pénétrions, pour la première fois, au ministère des Finances. On nous indiqua le bureau de Miaja, que nous voyions également pour la première fois. Il était en compagnie du commandant Rojo et notre commandant Palacios était également présent, ainsi que le camarade Val. Ce dernier nous présenta à Miaja qui, visiblement surpris, se dirigea vers moi.
- Ainsi, c'est toi Mera !
- Oui, monsieur. A votre disposition !
- Eh bien, vous tombez bien. Vous savez déjà ce qui est arrivé : le gouvernement nous a abandonnés et il ne reste ici que quelques hommes de bonne volonté. Mais les ministres se rendront bientôt à l'évidence ; Madrid ne tombera pas aux mains de l'ennemi. Nos hommes ont découvert, en fouillant les papiers d'un officier factieux trouvé mort, le plan des opérations qu'il avait sur lui. Nous savons qu'une colonne doit entrer par la Cité universitaire pour gagner les hauteurs du parc de l'Ouest et qu'une autre, partant de Garabitas, doit prendre la direction du pont San Fernando pour occuper les hauteurs de la Moncloa et progresser jusqu'à l'asile de la Paloma. ?
- Ainsi, le gouvernement considère Madrid perdu d'avance alors que l'ennemi doit l'occuper après-demain ?
- En effet, mais si chacun y met du sien, Madrid continuera à nous appartenir. ?
- Alors, général, vous pouvez compter sur mille volontaires aguerris au combat, dont je réponds...
Les troupes confédérales furent envoyées dans le secteur de la Casa-de-Campo, où les combats faisaient rage. Elles résistèrent héroïquement aux attaques fascistes et subirent de très nombreuses pertes. Comme les combats ne diminuaient pas en intensité, il fallut faire appel à de nombreux renforts. Parmi ceux-ci, la légende a retenu celui que représentait la colonne Durruti. Le 16, en effet, Durruti et ses hommes arrivaient à Madrid et étaient immédiatement dirigés vers les tranchées pour y livrer leur premier combat dans la capitale.
Dans la soirée du 16, une importante réunion eut lieu au siège. Au Comité de défense de la C.N.T. Mera, bien évidemment y assista. Voici ce qu'il en dit : Le soir, vers dix heures, je lut convoque en urgence au Comité de défense de la C.N.T. par téléphone. Je m'y rendis immédiatement. Au siège du Comité, rue Serrano, étaient présents Val, Durruti, Garcia Oliver, Federica Montseny, Manzana (assistant de Durruti), Yoldi et d'autres camarades.
Nous nous saluâmes... Durruti voulut connaître mon opinion sur la situation à Madrid.
Je lui donnai... Puis je dis à Durruti :
- Il paraît qu tu est venu avec seize mille hommes... ?
- Non, seulement, quatre ou cinq mille. Comment crois-tu que nous devrions contre-attaquer, me demanda-t-il. ?
En premier, il est nécessaire de regrouper nos deux colonnes sous tes ordres. Nous devrions ensuite attaquer en masse les fascistes de façon à couper leurs communications ou, mieux encore, pour libérer la route de la Bombilla et la partie correspondante de la Casa-del-Campo...
Si l'on te demande d'attaque frontalement avec les hommes, c'est qu'on souhaite ton échec.
Mets-toi bien dans la tête, Buenaventura, que nos ennemis ne sont pas tous dans l'autre camp. Le général Miala semble être correct avec nous, mais il est entouré de communistes et ceux-ci ne veulent pas que Durrutti, le célèbre guérillero anarchiste, inscrive la défense de Madrid à son actif quand, à travers leurs affiches et autres moyens de propagande, ils se prétendent les seuls défenseurs... ?
- Je le sais, Cipriano ; je voulais venir à Madrid avec l'ensemble de la colonne qui opérait sur le front d'Aragon. Ce fut notre propre organisation qui exigea de ne transférer ici qu'une partie de la colonne, pour redresser la situation. Le gouvernement insista également, vu la gravité de la situation.
Les forces confédérales venues d'Aragon participèrent à de très nombreux combats, aux environs de l'hôpital Clinico. Ce fut à leur côté que Mera passa, en compagnie de Durruti, une bonne partie de la journée du 19. En quittant Durruti, Mera lui donna rendez-vous en fin d'après-midi au siège du comité de Défense. L'entretien prévu n'eut malheureusement pas lieu,… Durruti fut mortellement blessé dans l'après-midi.
extrait des mémoires d'un anarcho-syndicaliste.
Qui était Cipriano MERA SANZ (1897-1975) ?
De père manœuvre, il devra faire des petits boulots jusqu'à l'âge de 16 ans où il entre comme "pinche" dans le bâtiment. Il est syndiqué par son père à l'UGT. Il apprend à lire vers 20 ans. Il fréquente les anarchistes après l'attentat contre Eduardo Dato (chef du conseil des ministres).
Après la dictature de Primo de Rivera, il se syndique à la CNT et y organise le syndicat du bâtiment de Madrid dont il sera le secrétaire. Il participe à la création des groupes de défense confédérés. En 1933, avec Durruti et Issac Puentes, il forme partie du comité révolutionnaire de Saragosse. Début 1936, il est emprisonné pour avoir organisé une grève générale dans le bâtiment, il en sort et organise les combats pour la prise du "Cuartel de la Montaña" à Alcala de Henares, Guadalajara.
Avec Buenaventura Durruti, il organise la défense de Madrid, et à la mort de celui-ci, il prend la direction des colonnes anarchistes du front de Madrid. Partisan de la militarisation des colonnes de la CNT il prendra la tête de la 14ème division, puis le commandement du 4ème corps d'armée qui gagnera la bataille de Guadalajara contre les Italiens où il sera promu au grade de lieutenant-colonel. Plusieurs fois il échappera aux attentats et intrigues des communistes contre sa personne. En 1938, il dirige une manœuvre militaire pour détourner les forces ennemies du front de Catalogne et engage la bataille de Sacecorbo où il gagne 20 Km à l'ennemi. A la fin de la guerre (mars 1939) il s'oppose au soulèvement communiste et participe à la "junta de defensa " du général Casado avec l'accord de la CNT du Centre. Exilé en Algérie et au Maroc il sera extradé par le gouvernement de Pétain vers l'Espagne où après plusieurs années de prison, il sera libéré et fuira en France. Il militera dans la CNT en exil créant le D.I. (Defensa Interior) chargé -notamment- des opérations clandestines de la CNT dans l'espagne franquiste. En 1965 il contribue au Plenum de Montpellier, qui réunifie la CNT pour un temps. Lors de la scission de la CNT, il fondera le journal Frente Libertario… Il meurt à Paris, quelques semaines avant Franco.
Centre Ascaso Durruti.
A lire : l'Espagne Libertaire de Gaston Leval (Editions du Monde Libertaire) ; L'espagne libertaire (Revue La Rue N° 37) ; Hommage à la Catalogne (G. Orwell) ; Collectivité à Calenda (Editions de la CNT) ; Autogestion et Anarchosyndicalisme (F. Mintz) ; Bonaventura Durruti (Abel Paz) ; Enseignements de la révolution espagnole (Vernon Richard) ; Mujeres Libres (Edition du Monde libertaire) ; les anarchistes espagnol (José Peirats) ; Le communisme libertaire (Isaac Puente) ;
A voir : Ortiz un général sans dieu ni maître (Vidéo) ; Un autre futur de Richard Prost (en quatre parties) ;