Musique et Copyleft, ça coule de source

PAR Antoine Moreau

Après avoir fouillé jusqu’à épuisement sa problématique spaciale, l’art contemporain « plastique » s’intéresse de près à un autre type d’espace, celui du son, dévolu ordinairement à la pratique musicale. Il est question alors d’espace sonore comme on parle de plage horaire. La forme acoustique est bien palpable, elle occupe l’espace.

Si l’art contemporain excède son propre champ en allant s’exercer dans de nombreux autres domaines comme celui de la musique, on observe qu’il excède aussi le droit d’auteur, non pas pour le nier, mais pour en reformuler justement les termes.

Ainsi le copyleft qui autorise la copie, la diffusion et la transformation des oeuvres.

S’il s’agit d’un jeu de mot utilisé par Richard Stallman, créateur du concept des logiciels libres et de la Free Software Foundation, pour désigner les logiciels créés sous la General Public Licence, le copyleft n’est pas pour autant le contraire du copyright. La GPL et autres licences libres protègent les auteurs de qui voudrait faire main basse sur leur création pour se l’approprier et empêcher qu’elle soit à nouveau copiable, diffusable et transformable librement.La Licence Art Libre, une General Public Licence pour l’art.

Créée par le collectif « Copyleft Attitude », la Licence Art Libre étend l’esprit de la création des logiciels libres du projet GNU (dont les oeuvres les plus connues sont Linux, Gimp ou Emacs) au domaine de la création artistique.

Il s’agit là, dans le domaine de l’art, d’excéder le droit d’auteur classique, le copyright conventionnel pour autoriser la copie, la diffusion et la transformation des oeuvres d’art .

Créer sous copyleft avec la Licence Art Libre c’est renouer avec une économie propre à l’art et qui a depuis toujours permis la libre appropriation des oeuvres de l’esprit. Ce n’est qu’avec le triomphe de l’individualisme inconditionnel, à partir du rapport de Lakanal de janvier 1793, que cette tradition millénaire fut entravée.Le « hors la loi » des régles de l’art.

La Licence Art Libre, rédigée avec l’aide des juristes Mélanie Clément-Fontaine et David Geraud, s’adresse à tous types de créations. Contrairement à d’autres licences libres, elle ne fait pas de distinction entre les différents genres de création. Pour les artistes à l’initiative de cette licence, avoir un outil juridique qui concerne la création contemporaine dans son ensemble est fondamental quand aujourd’hui la création est transversale, multi-médias et excède, là aussi, sa propre définition. La Licence Art Libre concerne la création artistique sans que même les qualités qui sont reconnues propres à l’art soient éxigées.

C’est à dire toutes formes de création à une époque qui voit les plasticiens faire de la musique, les musiciens faire des installations plastiques, les cinéastes procéder par cut-up littéraires et les écrivains découvrir l’interractivité avec les lecteurs.

Créer collectivement à la première personne du singulier.

L’avantage du copyleft et la nécessité d’utiliser une licence libre comme la Licence Art Libre se fait sentir de façon évidente dans le cas de création collective. On parle alors de « création commune » puisque le terme de « création collective » n’a pas la signification qu’on pourrait lui attribuer... En effet, juridiquement la « création collective » appartient uniquement à l’initiateur de l’oeuvre créée à plusieurs.

Sans cela et malgré les bonnes intentions qui traversent de nombreuses oeuvres d’art contemporain, la création qui se veut collective est en fait toujours régie par le régime du droit d’auteur classique. C’est à dire qu’elle appartient en propre à son initiateur et à lui seul.

Où l’on voit que le discours qui entoure certaines oeuvres ne réussit pas à briser les conditions qui cadrent son existence. Le copyleft redéfinit un cadre juridique pour permettre réellement la création d’une oeuvre collective, qu’on appellera « oeuvre commune » pour des raisons de langage juridique.

Cette création commune n’annulant pas non plus toute échappée singulière. Ce qui appartient à tous, appartient à chacun et chacun peut créer pour son propre compte également. Ainsi, nous avons des arborescences de créations qui forment des noyaux à composantes multiples et des sattellites dispersés et mouvants.Une musique libre, bien entendu.

Comme le dit Ram Samudrala, musicien et chercheur en biotechnologies : « La musique est libre parce qu’on peut laisser ses amis l’écouter, la copier, la faire entendre à leurs amis, et ainsi de suite. Dans une acception plus radicale, la musique est totalement libre lorsqu’un autre musicien peut utiliser une création préexistante comme point de départ pour sa propre création. C’est alors que la musique libre devient très intéressante. Et sans cette liberté, la créativité humaine ne peut vraisemblablement pas développer toutes ses capacités. »

Outre la Licence Art Libre, il existe d’autres licences libres dévoluent à la musique comme la Free Music Licence->http://www.ethymonics.co.uk] ou la Free Music Public Licence->http://www.musique-libre.com] ou encore la récente Open Audio Licence de l’Electronic Frontiere Foundation.

C’est là un mouvement mondial qui a le même potentiel culturel que celui des logiciels libres et qui gagne du terrain de jour en jour grâce à sa pertinance conceptuelle, à la qualités humaines de ses acteurs et à ses compétences techniques.Copylefter ses oeuvres.

Pour les artistes qui veulent créer sous copyleft, la Licence Art Libre est simple d’emploi. Il suffit de mentionner :

[Quelques lignes pour indiquer le nom de l’oeuvre et donner une idée éventuellement de ce que c’est.]

[Quelques lignes pour indiquer s’il y a lieu, une description de l’oeuvre modifiée et le nom de l’auteur.]

Copyright © [la date] [nom de l’auteur] (si c’est le cas, indiquez les noms des auteurs précédents)

Copyleft : cette oeuvre est libre, vous pouvez la redistribuer et/ou la modifier selon les termes de la Licence Art Libre.

Vous trouverez un exemplaire de cette Licence sur le site Copyleft Attitude ainsi que sur d’autres sites.

PS :

Copyright © 2001 Antoine Moreau. Publié dans la revue Synesthesie, numéro 11.