Où est-ce qu’on va maintenant ?

Vers une nouvelle stratégie révolutionnaire1

Après la Bataille de Québec, plusieurs se demandent : "qu’est-ce qu’on fait maintenant? " Certains sont déjà en train de se préparer pour " Washington " (où il y aura une réunion de la Banque Mondiale et du FMI) ou " Ottawa " l’an prochain (où il y aura une réunion du G8). Bon, personnellement, j’aurais plutôt une autre idée. Ne serait-il pas temps de trouver des moyens pour confronter les nombreuses critiques amenées contre le " mouvement " (trop blanc, trop classe moyenne, trop mâle)?

Développer une stratégie révolutionnaire sera crucial pour tout mouvement révolutionnaire significatif. En fait, c’est probablement ça, et la pratique qui s’y greffera qui déterminera l’utilité de ce mouvement et éventuellement s’il grossit ou stagne.

À mon avis, une telle stratégie ne peut venir que d’une analyse matérialiste du système sous lequel nous vivons et de nos expériences à le confronter. Une telle stratégie doit être définie collectivement. Je dirais que nous avons face à nous un système intégré d’oppressions qui est construit autour de différentes parties –comme le principe autoritaire/ l’étatisme, le patriarcat/ la réification sociale, le nationalisme/ le racisme et l’esclavage salarié/ l’économie de marché– qui ensemble nous exploitent, nous aliènent et nous oppriment ainsi que le monde nous entourant. De ce que j’en comprend, le système est dynamique et non statique et s’est révélé très habile à récupérer les défis partiels.

Alors qu’un des bons point de la première " nouvelle gauche " fut de souligner qu’il y avait plus que l’oppression de classe dans le capitalisme et qu’aucune lutte n’était " secondaire ", elle a aussi aider, en introduisant l’approche des " luttes spécifiques ", à tuer l’idée d’une lutte totale (et celle d’un " sujet révolutionnaire "). Il semble aujourd’hui que personne n’ai de compréhension totale (ou ne serait ce qu’une théorie générale cohérente) du système contre lequel nous nous battons. La théorie de notre mouvement ressemble plus ou moins à une " liste d’épicerie " (tout comme notre pratique, d’ailleurs).

Si nous recommençons à penser de façon critique à notre situation (un premier pas vers la construction d’une stratégie révolutionnaire) nous devons nous poser quelques questions. L’une est : " à qui profite le crime? ", ou, comme la police le demande souvent dans les manifs avant de nous asperger de poivre, " qui est responsable? ". Peut-être que si nous savions à qui profite le système contre lequel nous en avons et qui le dirige, ce serait plus facile de développer une stratégie pour la révolution???

Je pense que n’importe quel regard honnête sur la situation va pointer vers un groupe de gens relativement petit, ceux et celles que nous, les communistes libertaires de la vieille école, appelons la classe dirigeante (les patronNEs et les politicienNEs) et leurs laquais (les technocrates et les hauts placéEs des compagnies).

Maintenant, comment pouvons nous défier (et éventuellement renverser) leur pouvoir? Bon, peut-être qu’un bon premier pas sera d’essayer de voir comment on peut rompre leur hégémonie idéologique et comment ont peut s’arranger pour convaincre le reste des gens qu’ils exploitent et oppriment de se rebeller avec nous contre eux?

Vous n’avez jamais entendu parler du mot à 6 lettres? Vous savez ce petit mot qu’on épelle "CLASSE"? Pour des gens qui veulent changer le monde, ce petit mot est important (même si ce n’est pas politiquement correct d’en parler et si ça fait vieux jeu). Toute stratégie qui veut renverser le capitalisme et construire le communisme libertaire à la place et qui ne commence pas par "classe" est une stratégie vouée à la faillite.

Qui a le pouvoir de changer le système? Qui a le pouvoir de s’emparer de l’économie, de détruire le capitalisme et de construire une communauté autogérée, directement démocratique à la place? Qui sinon le vieux "prolétariat" (pris dans son sens large, c’est à dire tous les " non-possédants " et tous les " dirigés " et " administrés " de ce monde)????

Les gens ont raison de pointer vers une stratégie de " pouvoir dual ". Dans une société de classe, et l’Amérique du Nord est toujours une société de classe, développer une stratégie autour de l’idée de " pouvoir dual " implique de construire une "force de classe", le camp prolétarien, pour s’opposer au pouvoir existant ("la classe dirigeante").

Bon, ok, je sais très bien que le prolétariat contemporain est démoralisé, désorganisé et parfois même réactionnaire. En fait, il ne sait souvent même pas qu’il existe! Nous avons beaucoup de prolos (c’est à dire des gens qui se font bosser et n’ont que leur force de travail à vendre pour survivre et que "le savent") mais pas de prolétariat (dans le sens qu’il n’y a pas en ce moment de sentiment de classe, c’est à dire qu’il y a objectivement une classe mais pas subjectivement).

Pourtant, la seule façon d’aller là où nous voulons aller, à moins que l’on se compte des histoires, est de construire cette "force de classe". La question c’est : comment faire?

Tout mouvement révolutionnaire, toute force de classe, devra confronter le système dans son ensemble pour le renverser d’un coup (et pour toujours) s’il ne veut pas que ce dernier lui tombe dessus et le suffoque. Je pense que, considérant le rôle central que joue le patriarcat dans le système contemporain (la reproduction "gratuite" de la force de travail, l’introduction de la réification et de l’autorité dans la sphère sociale, la négation de l’individu, l’oppression de la moitié de l’humanité, etc.), il est essentiel de le confronter. C’est la même chose pour le reste des parties du système. Chaque division, chaque oppression, considérant qu’elle peut être la base d’un retour à un système de classe (sans parler du fait que nous ne pouvons tolérer l’oppression, même si nous ne la vivons pas personnellement!), doit être défiée par tous et éventuellement détruite.

Le rôle de l’organisation révolutionnaire est de faire le lien entre toutes les "luttes spécifiques" et montrer ce qui, dans chaque différente révolte spécialisée, peut être généralisé de façon à ce que toutes les "luttes spécifiques" se fédèrent en une seule lutte sociale générale. Nous devons nous assurer que chacunE comprennent qu’une attaque contre l’un ou l’une d’entre nous est une attaque contre touTEs. Dans ce contexte, la défense du droit à l’avortement, par exemple, n’est plus défensive mais offensive. Ça participe d’une lutte générale pour asseoir notre autonomie et se réapproprier ce qui nous revient de droit (tout!). Ce n’est pas seulement un question féministe (ou même une " question femme "), mais également une question de classe et une question anti-raciste.

Mais’encore, comment on construit cette "force de classe"? Une façon de commencer, c’est d’identifier où les différentes forces d’oppression convergent. Quelles causes offrent les meilleures opportunités de généralisation. Je pense qu’il faut identifier les connections, là où les diverses oppressions convergent, et travailler là dessus.

La guerre globale contre les pauvres, également appelée le néolibéralisme et la globalisation capitaliste, peut être un bon début. Des diktats de la Banque Mondiale aux coupures dans les programmes sociaux, de la délocalisation de la production au cassage de syndicats, de la construction massive de prisons à l’introduction d’une gestion globale de la pauvreté... Les liens sont clairs. Nous sommes en face d’une guerre de classe menée contre chacun d’entre nous. Nous pouvons prendre n’importe quelle lutte spécifique et la lier à une question globale (c’est-à-dire : qui a le criss de pouvoir dans cette société). Cette guerre affecte toutes les communautés, chaque oppression. Puisqu’elle pose la question de la distribution inégale de la richesse et du pouvoir, elle offre une opportunité assez large de radicalisation.

Mais par où on commence? Que ce soit au lit ou en politique, je suis contre la position du missionnaire (c’est plate, cliché et vieux!). Pour commencer, nous devons savoir qui nous sommes, où nous vivons, étudions et travaillons et PARTIR DE LÀ. On devrait s’organiser autour d’enjeux quotidiens nous touchant et posant la question du pouvoir et offrent des opportunités de radicalisation. Je parle d’organisation communautaire (de classe!) basée sur une stratégie de conflit. C’est tout autour de nous. La réforme de l’aide sociale. Le contrôle de son corps (et de ses fonctions reproductrices). La criminalisation de la pauvreté. Les sweatchops. Le travail précaire. La syndicalisation. Le logement social. Etc.

Je ne pense pas qu’une organisation révolutionnaire soit l’outil adéquat pour mener ces luttes. Nous avons besoins d’organisations larges, radicales mais ouvertes à tout un chacun pour faire ça. Cependant, nous avons également besoin d’organisations où les militantEs révolutionnaires peuvent partager des expériences et s’organiser pour la bataille des idées.

Pour moi, à la base, la stratégie pour une organisation révolutionnaire (c’est-à-dire une organisation de révolutionnaires) est de radicaliser les luttes et de mener la bataille des idées libertaires contre les idées autoritaires. Je pense qu’elle doit être un point de ralliement pour les militantEs sur la même longueur d’onde pour qu’ils n’aient pas besoin de fuir les léninistes (et les autres courants militants) mais puisse les confronter et gagner le débat sur l’autonomie des mouvements sociaux. À la NEFAC, nous pensons que le travail peut être grosso modo divisé en trois parties différentes : l’étude et le développement théorique; l’agitation et la propagande anarchiste; et l’intervention dans les luttes de notre classe. Notre but est de rendre les idées anarchistes aussi populaire et largement reprises que possible.

Nicolas Phébus

Québec, mai 2001


1 Note : ce texte a d’abord émergé, en version anglaise, comme une contribution au débat sur la stratégie sur une liste électronique regroupant des anars de toute l’Amérique du Nord. Il fut ensuite repris et discuté à l’interne de la NEFAC. Il sera publié en éditorial/ouverture du numéro 2 du NorthEastern Anarchist.

(Source : http://www3.sympatico.ca/emile.henry/strat.htm)