Racisme et lutte de classe
L’oppression raciale est sans aucun doute l’une des caractéristiques inhérentes du monde capitaliste moderne. Elle se manifeste de façon plus visible par des agressions de groupes fascistes contre les immigrant-e-s. Mais plus encore, les communautés immigrantes sont victimes de la discrimination systémique de la part des États capitalistes. Discriminations qui se traduisent par des attaques contre les droits des immigrants, des coupures dans les programmes sociaux, par des attaques policières et un système de justice raciste.
Comment vaincre le racisme?
Pour répondre à cette question, nous devons accorder une attention particulière aux forces qui ont produit et qui continuent de reproduire le raci-sme. Elle requiert aussi une analyse soignée des forces sociales qui peuvent bénéficier de l’oppression raciale.
Nous entendons par racisme soit une négation de l’égalité de tous les êtres humains ou une discrimination sociale, économique ou politique envers certains groupes raciaux.
Les racines du racisme
Le capitalisme s’est développé comme un système mondial basé sur l’exploitation des travailleurs-euses, des esclaves et des paysan-ne-s, qu’ils soient noir-e-s, brun-e-s, jaunes ou blancs/blanches. Au 16e et 17e siècles, le système capitaliste s’est d’abord développé en Europe de l’Ouest et dans les Amériques. Au 18e et 19e siècle, l’Afrique et l’Asie furent progressivement intégrés dans la zone d’influence du capitalisme. En Amérique, de vastes plantations furent mises sur pied. S’appuyant sur l’esclavage, il s’agissait d’entreprises capitalistes qui exportaient des produits agricoles.
C’est au sein du système esclavagiste que nous trouvons la genèse du racisme. D’après Éric Williams, «L’esclavage n’est pas le fruit du ra-cisme : c’est plutôt le racisme qui fut la conséquence de l’esclavage». (1)
À leurs tous débuts, les plantations esclavagistes n’étaient pas organisées sur des bases raciales. Malgré le fait que les premiers esclaves de possession espagnole dans les Amériques étaient généralement des Autochtones, l’esclavage était limité (du moins officiellement) à celles et ceux qui ne s’étaient pas convertis au christianisme.
Les Autochtones furent remplacé-e-s par des Européen-ne-s pauvres. Plusieurs de ces travailleurs-euses étaient mis en esclavage pour une période limitée, comme serviteurs asservis*, engagés par contrat pour une période qui dépassait souvent dix ans. D’autres étaient des prisonniers, coupables de crimes mineurs (tel que le vol de vêtements), ou des prisonniers de guerre capturés suite aux révoltes et à la colonisation de territoires comme l’Irlande et l’Écosse. Toutefois, on retrouvait également un nombre non-négligeable d’esclaves à vie d’origine européenne, et il y avait même un nombre considérable de serviteurs asservis qui furent kidnappés et vendus ensuite comme esclaves. (2)
La traversée par bateau de l’Atlantique pour les esclaves et les serviteurs asservis étaient, selon William, si mauvaise qu’elle devait « éliminer toute idée voulant que les horreurs des négriers étaient imputables au fait que les victimes étaient des nègres ». (3) Plus de la moitié des immigrants anglais dans les colonies américaines du 16e siècle étaient des serviteurs asservis. (4) De plus, jusqu’en 1690, il y a avait beaucoup plus d’Européens non-libres dans les plantations d’Amérique du Sud que d’esclaves noir-e-s. (5)
Les idées racistes se sont développées à travers le commerce d’esclaves au 17e et 18e siècle. À cette époque, les peuples d’Afrique sont devenus la principale source d’esclaves pour les plantations.
Le système de contrôle social encadrant la force de travail non-libre européenne et américaine fut alors appliqué aux africain-e-s.
La principale raison derrière ce changement de cap est d’ordre économique: ces esclaves étaient obtenus à moindre coût et en plus grand nombre, répondant ainsi aux besoins grandissants des plantations capitalistes. (6) La classe dirigeante africaine joua un rôle central dans le commerce lucratif des esclaves : « le commerce fut (...) un commerce africain jusqu’à ce qu’il atteigne la côte. Il était très rare que les Européens soient directement impliqués dans l’acquisition d’esclaves, et quand ce fut le cas, cela se limitait à l’Angola. » (7)
C’est au 17e siècle que l’idéologie raciste a commencé à se développer, la première fois par «les planteurs de canne à sucre anglais et leurs idéologues résidant toujours en Angleterre.» Ces derniers se référaient aux différences physiques pour développer le mythe que les noir-e-s étaient des sous-hommes méritant d’être mis en esclavage : « voici donc une idéologie : un système de fausses idées servant des intérêts de classe. » (8)
Le racisme fut utilisé pour justifier la capture et la mise en esclavage de millions de personnes pour les fins propres au capitalisme. La mise en esclavage des Autochtones a été justifiée par leurs croyances païennes; l’esclavage des Européen-ne-s a été justifié par le fait que c’était le sort des classes inférieures; l’esclavage des Noir-e-s a été justifié par le racisme.
Une fois développées, les idées racistes furent utilisées plus largement pour justifier l’oppression. Les Juifs, par exemple, ont commencé à être opprimés en tant que minorité raciale, et non comme groupe religieux.
Les bénéficiaires de l’esclavage ne furent pas les Européen-ne-s au sens large, mais bien la classe dirigeante capitaliste d’Europe de l’Ouest et la classe dirigeante africaine qui en retira également des bénéfices non-négligeables. En effet, chez les Européen-ne-s, il y avait des marins travaillant dans la traite des esclaves, pour qui les conditions de vies étaient, selon Williams, à peine différentes de celles des esclaves. Il y avait aussi un nombre considérable de « blancs pauvres », des ouvrier-e-s agricoles qui furent écrasé-e-s économiquement par la compétition des grandes plantations esclavagistes (9). Enfin, la grande majorité des Européen-ne-s n’a jamais possédé d’esclaves : seulement 6% des blancs possédaient des esclaves dans le sud des États-Unis en 1860 (10). En outre, il y avait des propriétaires d’esclaves Autochtones et Afro-américains.
Races et Empire
Le racisme est donc le fruit de l’esclavage et du capitalisme. Une fois le racisme créé, des développements ultérieurs du capitalisme vont maintenir et entretenir cette créature des classes dominantes.
L’expansion du pouvoir capitaliste en Afrique et en Asie s’est développée au début du 17e siècle sous la forme de l’impérialisme (11). Au début, les conquêtes impériales furent entreprises par de grandes compagnies privées tel la British East India Company en Inde, ou la Dutch East India Company qui opérait notamment en Afrique du Sud. Plus tard, les gouvernements capitalistes intervinrent directement dans ces pays, notamment par la conquête de la majeure partie de l’Afrique dans les années 1880.
À cette époque, l’impérialisme était poussé par la recherche du profit. Au début, c’était le profit généré par le contrôle du commerce. Ce fut ensuite le profit réalisé grâce à l’exploitation des ressources naturelles et d’une main-d’œuvre peu dispendieuse par les grandes compagnies privées et leur besoin de trouver de nouveaux marchés pour leurs biens manufacturés.
Les idées racistes furent alors utilisées pour justifier le processus de conquête et la domination impérialiste. On justifia la domination impérialiste par de faux prétextes, soi-disant parce que les Africain-e-s et les Asiatiques (et par extension tous les autres peuples colonisés, tels que les Irlandais-es) étaient incapables de se gouverner eux-mêmes, et avaient donc besoin d’être dirigés par une force étrangère : la classe dirigeante d’Europe de l’Ouest et du Japon (12). Les droits et libertés universels n’avaient aucune emprise dans cette perception du monde.
Ni les travailleurs et les travailleuses des colonies, ni celles et ceux des pays impérialistes ne bénéficiaient des conquêtes impériales. Les profits de l’empire étaient source d’enrichissement pour la classe possédante (13), alors que les méthodes brutales de la répression coloniale furent déployées contre les travailleurs et les travailleuses des pays impérialistes (ex: usage de troupes coloniales pour écraser la révolution espagnole). Bien des vies et des ressources furent gaspillées dans de périlleuses aventures impérialistes. Aujourd’hui encore, les compagnies multinationales licencient leurs employé-e-s et coupent dans les salaires en déménageant dans des pays du Tiers-Monde qui n’hésitent pas à utiliser la répression contre les travailleurs et les travailleuses.
Le racisme aujourd’hui
Il n’y a pas de doute : le capitalisme a donné naissance au racisme. Le racisme, comme idéologie, a permis de justifier l’impérialisme et l’esclavage. Le racisme, comme forme de discrimination et d’oppression, rend possible un degré élevé d’exploitation et devient ainsi un facteur important du développement capitaliste.
Officiellement, l’esclavage et les empires sont aujourd’hui choses du passé, résultat de la lutte de millions de travailleurs et de travailleuses, de paysan-ne-s et d’esclaves contre l’oppression. Les révoltes d’esclaves font maintenant partie de l’histoire de la lutte des classes contre le capitalisme. La résistance paysanne et celle des travailleurs et des travailleuses face au colonialisme sont également une partie importante de la lutte des classes. Il faut cependant noter que la plupart des luttes anti-colonialistes ne sont pas allées jusqu’au bout - jusqu’à la révolution socialiste -, notamment parce que les élites locales ont préféré négocier un marché avec les impérialistes et les capitalistes.
Cependant, même si ces luttes ont supprimé les structures racistes formelles du pouvoir impérialiste, elles n’ont pas éradiqué le racisme.
Le racisme - comme idée et comme pratique - continue d’occuper deux fonctions dans le système capitaliste.
Premièrement, le racisme permet aux capitalistes de maintenir une force de travail peu dispendieuse, désorganisée et hautement exploitable. Prenons l’exemple des immigrant-e-s et des minorités ethniques : victimes de la discrimination raciale, ils et elles forment un segment de la classe laborieuse qui est « sur-exploité », fournissant de hauts taux de profit pour les capitalistes. Lors d’une crise économique, ces segments de la force de travail sont les premiers à perdre leurs droits politiques et sociaux. Ce sont les premières victimes des attaques contre la classe ouvrière.
Deuxièmement, le racisme permet à la classe possédante de diviser et de diriger plus aisément les classes exploitées. Partout sur la planète, des milliards de travailleurs et de travailleuses et de paysan-e-s souffrent des maux du capitalisme. Le racisme est utilisé pour accentuer les divisions au sein de la classe ouvrière pour aider la classe dirigeante à diriger.
Praxedis Guerrero, un grand anarchiste mexicain, a décrit ce processus de la façon suivante (14): « Les préjugés raciaux et les préjugés basés sur la nationalité, entretenus par les capitalistes et les tyrans, empêchent les peuples de vivre côte à côte de manière fraternelle… Une rivière, une montagne, quelques petits monuments suffisent à créer des étrangers et faire de deux peuples des ennemis, vivant dans la méfiance et l’envie de son voisin suite aux actes des générations passées. Chaque nationalité prétend être au dessus des autres par tous les moyens possibles, alors que la classe dominante, ceux qui contrôlent l’éducation et la richesse des nations, nourrissent le prolétariat avec de stupides croyances de supériorité et de fierté qui rendent impossible l’unité de toutes les nations qui se battent séparément pour se libérer du Capital. Si tous les travailleurs des différentes nations pouvaient prendre part directement aux questions importantes qui les affectent, ces enjeux seraient rapidement résolus par les travailleurs eux-mêmes ».
Le racisme existe entre une population d’une majorité ethnique et une population d’une minorité ethnique super-exploitée, mais il existe aussi entre les classes ouvrières de différents pays. On dit aux travailleurs et aux travailleuses de blâmer et d’haïr les autres salarié-e-s (qui se distinguent par leur culture, leur langage, la couleur de leur peau ou d’autres attributions superficielles). Ce seraient eux et elles la cause de leur misère. Combien de fois a-t-on utilisé les immigrant-e-s et les réfugié-e-s comme bouc-émissaires pour la perte d’emplois ou de logements?
De cette façon, la rage des travailleurs et des travailleuses est détournée vers d’autres salarié-e-s (avec lesquel-le-s ils et elles ont presque tout en commun) au lieu d’être dirigée contre les capitalistes (avec qui les travailleurs et les travailleuses n’ont pratiquement rien en commun). Un simulacre d’intérêt commun est créé entre salairé-e-s et patrons d’un même pays.
Qui profite de tout cela?
Le racisme ne profite à aucun-e salarié-e. Même les ouvrier-e-s qui ne sont pas directement opprimé-e-s par le racisme y perdent au jeu, parce que le racisme divise la classe ouvrière. Les travailleurs blancs et les travailleuses blanches américain-e-s, par exemple, ne tirent aucun avantage de l’existence d’une minorité appauvrie et opprimée, formée de travailleurs noirs et des de travailleurs noiresaméricain-e-s qui peuvent être utilisé-e-s pour concurrencer les salaires et diminuer les conditions de travail et de vie.
De plus, les attitudes racistes font en sorte qu’il est très difficile d’unir les salarié-e-s contre les capitalistes pour combattre la distribution inégale des richesses et du pouvoir dans la société. Le racisme a été utilisé à maintes reprises pour casser les luttes ouvrières.
Plus la classe ouvrière est divisée, pires seront ses conditions de vie. Cet argument, maintes fois repris par le mouvement anarchiste (15), a été confirmé dans une étude réalisée par un sociologue américain. Ce dernier a mis à l’épreuve la thèse voulant que les ouvriers blancs et les ouvrières blanches bénéficient du racisme (16).
En comparant la situation d’ouvrier-e-s blanc-he-s et noir-es dans les 50 états des États-Unis, il a découvert que moins il y a de discrimination salariale contre les ouvrier-es noir-es, plus les salaires des ouvrier-es blanc-he-s sont élevés. Deuxièmement, il a découvert que l’existence d’un groupe d’ouvrier-e-s pauvres et opprimé-e-s à cause de leur origine ethnique réduisait les salaires des ouvrier-e-s blanc-he-s (mais n’affectait pas beaucoup les gains des blanc-he-s de la classe moyenne et supérieure). Finalement, il a découvert que plus la discrimination raciale est importante, plus la pauvreté est présente pour les blanc-he-s de la classe ouvrière.
De tels faits contredisent l’idée voulant que la majorité de la population ouvrière tire des avantages matériels du racisme. La logique derrière cet argument présuppose que la population ouvrière bénéficiant de ces privilèges doit d’abord y «renoncer» avant que l’unité de la classe ouvrière ne soit possible. Un tel argument suppose également que les capitalistes adopteraient une stratégie qui profite systématiquement à une majorité de travailleurs et de travailleuses, ce qui est non seulement peu probable mais ne peut durer longtemps. De plus, cet argument implique que notre tâche politique immédiate doit être la redistribution des richesses parmi les ouvrier-e-s, et non de mener la lutte des classes contre le capitalisme. En d’autres mots, on demande à la majorité des salarié-e-s de se battre pour de pires conditions de travail.
Cette approche confond deux choses très différentes: l’oppression et le privilège. Il est vrai que nombre de salariés ne font pas directement face à l’oppression raciale, ce qui ne veut pas dire qu’ils et elles en profitent. Les deux termes sont distincts: bien qu’il soit oppressif d’être condamné à des salaires de crève faim, ce n’est pas pour autant un privilège que d’avoir un salaire décent.
Pourquoi les idées racistes sont-elles acceptées ?
Aucun des arguments élaborés dans cet article ne nie la possibilité que des fractions de la classe ouvrière puissent recevoir temporairement des avantages de l’oppression raciale dans des circonstances spécifiques. Par exemple, la petite classe ouvrière blanche sud-africaine a reçu de véritable bénéfices de l’apartheid entre 1920 et 1980. Mais de façon générale, l’oppression raciale va fondamentalement à l’encontre des intérêts de la majorité des travailleurs et travailleuses, peu importe la couleur de leur peau.
Reconnaître le rôle primordial de la classe dominante capitaliste (soutenue par l’État) dans la promotion et l’exploitation de l’oppression raciale, ne revient pas à nier que beaucoup de gens de la classe ouvrière soutiennent souvent le racisme. Le racisme est très répandu au sein de la classe ouvrière. Cependant, ce soutien est bien plus un exemple concret de personnes agissant contre leurs propres intérêts que la preuve que les travailleurs et les travailleuses profitent du racisme
Cependant, si le racisme ne fournit pas d’avantages pour les salarié-e-s, comment pouvons-nous expliquer un tel soutien pour des idées essentiellement irrationnelles?
La réponse réside dans le fait que des forces matérielles fonctionnent dans le but d’encourager le maintien de ces idées.
Le premier facteur qui explique cette situation est l’hégémonie de l’idéologie bourgeoise. Les capitalistes ne gouvernent pas simplement par la force, ils gouvernent également en imposant une vision globale capitaliste. Comme l’indique Praxedis, « la classe dominante, ceux qui contrôlent l’éducation et de la richesse des nations, nourrissent le prolétariat avec de stupides croyances de supériorité et de fierté ». C’est le rôle de l’école, des médias, de la littérature et ainsi de suite. L’impact de cette propagande ne doit pas être sous-estimé.
Le deuxième facteur qui entre en ligne de compte sont les conditions matérielles de la classe ouvrière. Sous le capitalisme, la classe ouvrière souffre de la pauvreté, d’aliénation et de misère. De la même façon que les ouvrier-e=s peuvent se consoler dans la religion, ils et elles peuvent aussi compenser leur état de domination par une supposée supériorité raciale. Ce sont les « stupides croyances de supériorité et de fierté » dont parle Praxedis.
De plus, les membres de la classe ouvrière entrent en compétition les unes avec les autres pour une quantité limitée d’emplois, de logements, etc. Face à cette situation, il est possible qu’ils et elles en viennent à blâmer d’autres groupes de la classe ouvrière pour leurs problèmes. Lorsque ces autres groupes sont culturellement ou physiquement distincts dans leur apparence, ce ressentiment peut être exprimé en des termes racistes: « les maudits immigrants volent nos jobs ».
Les opprimé-es divisé-es
Avec une vue d’ensemble, il est clair que le racisme est un produit du capitalisme. Fondamentalement, il va à l’encontre des intérêts de la classe ouvrière et paysanne.
Peut-on considérer que les capitalistes issus de groupes opprimés sont des alliés fiables dans la lutte contre le racisme? Non, ils ne le sont pas.
Les effets du racisme dépendent fondamentalement de la position de classe. Prenons le cas des États-Unis: bien que les moyennes nationales de revenus des blanc-he-s et des noir-e-s montrent un vaste écart entre les deux, lorsqu’on prend en compte le facteur de classe, les inégalités matérielles entre les ouvrier-e-s blanc-he-s et noir-e-s sont finalement assez limitées. Pris sous un autre angle, l’écart entre les conditions de ces deux groupes de travailleur et de travailleuses, d’un côté, et ceux de la classe supérieure, de l’autre, est beaucoup plus important. (17)
Les intérêts de classe de cette élite lient ses membres au système capitaliste. Les chefs de police, les maires et les officiers des minorités ethniques sont tout autant les défenseurs du capitalisme que leurs homologues blancs. Ces groupes prendront le parti de l’élite blanche, si celle-ci leur permet de participer aux bénéfices.
Combattre le racisme
C’est le capitalisme qui produit continuellement les conditions permettant le développement de l’idéologie et de l’oppression raciste. Il va de soit qu’une véritable lutte contre le racisme peut seulement être menée par la classe ouvrière et paysanne. Ce sont les seules forces capables de renverser le système capitaliste. Le renversement du capitalisme fera en sorte de saper fondamentalement les racines sociales du racisme. Le renversement du capitalisme exige toutefois l’unification de la classe ouvrière et de la paysannerie à un niveau international, peu importe leur couleur ou leur nationalité.
La disparition du capitalisme et la mise en place du socialisme libertaire feront en sorte que les vastes ressources actuellement enchaînées aux besoins de la minorité bourgeoise soient placées sous le contrôle des prolétaires à travers la planète. Avec le communisme libertaire, il sera possible d’utiliser ces ressources pour créer l’égalité sociale et économique pour tous et toutes, nous donnant ainsi la capacité de se débarrasser de manière définitive de l’oppression raciale.
Cependant, cet article ne soutient d’aucune manière qu’on doit attendre après la révolution pour lutter contre le racisme. Seule une classe ouvrière unie peut anéantir le racisme et le capitalisme. D’autre part, l’unité de la classe ouvrière ne peut être construite qu’en s’opposant à toutes les formes d’oppression et de préjugé. C’est le seul moyen de garantir le soutien de tous les secteurs de la classe ouvrière.
Il apparaît clairement que le racisme ne peut être combattu sur que sur une base de classe. C’est dans l’intérêt de tous et toutes les prolétaires de soutenir la lutte contre le racisme. Le racisme est un problème pour la classe ouvrière parce qu’il affecte les conditions de vie de tous et toutes les prolétaires, parce que la plupart des individus qui sont victimes du racisme sont des prolétaires.
L’ensemble de la classe ouvrière bénéficie de cette unité, y compris celles et ceux qui sont victimes du racisme. L’unité de classe permet non seulement de faire progresser leurs conditions de vie, mais prépare également l’assaut final contre le système capitaliste. Sans nier l’héroïsme, et, dans quelques cas, le rôle d’agent de radicalisation joué par des mouvements organisés sur une base «minoritaire», on doit admettre qu’à eux seuls, ils ne parviendront pas à renverser l’ordre actuel des choses. (18) L’unité est particulièrement importante sur les lieux de travail, où le fonctionnement de syndicats formés de travailleurs et de travailleuses de groupes «minoritaires» s’avère pratiquement impossible.
L’unité de la classe ouvrière ne peut être construite que sur la base d’une opposition claire et résolue contre toute forme de racisme. Si les autres segments de la classe ouvrière ne s’opposent pas au racisme, elles créent une situation par laquelle les nationalistes parviennent à lier les segments opprimés de la classe ouvrière à leur propre bourgeoisie, puis les amener vers des campagnes «d’achat noir» et de bloc électoral. Les alternatives «lutte-de-classistes» et anarchistes doivent se présenter comme une alternative viable si elles veulent gagner le soutien de la classe ouvrière dans son ensemble.
Nos tâches
Le travail anti-raciste doit occuper une place prioritaire dans les activités de tous et toutes les anarchistes de lutte de classe. Ce travail est important, non seulement parce que nous nous opposons à toute forme d’oppression, parce que les anarchistes sont depuis longtemps les adversaires du racisme, mais aussi parce que ce travail est un élément essentiel qui permettra d’unifier et de conscientiser la classe ouvrière. Sans cette unité, ni le racisme, ni le capitalisme ne pourront être consignés aux livres d’histoire.
À un niveau général, cette tâche peut se traduire par un travail actif dans les luttes et les campagnes antiracistes, y compris avec des non-anarchistes (sans, bien sûr, perdre notre autonomie politique), de même que par une propagande continuelle contre le racisme dans nos publications, nos lieux de travail, nos syndicats et nos communautés.
Les lieux de travail sont des espaces particulièrement importants pour ces activités. C’est là que le capitalisme crée la plus grande pression sur l’unité ouvrière. C’est là que le mouvement ouvrier parvient ou non à rester debout, selon sa capacité à répondre aux besoins de tous les travailleurs et de toutes les travailleuses.
Plus concrètement, nous pouvons revendiquer des demandes qui s’appliqueront de façon égale à tous et toutes (de meilleurs salaires, le droit de se syndiquer, etc.), tout en amenant des revendications qui répondront plus particulièrement aux besoins des segments de la classe ouvrière qui subissent la discrimination raciale (accès égal à l’éducation et au logement, fin de la discrimination et de la ségrégation dans les milieux de travail, etc.) Ainsi, nous devons nous battre pour de meilleurs logements pour tous et toutes. Nous devons bien sûr cibler les patrons mais nous ne devons tolérer aucun préjugé raciste, d’où qu’il vienne.
Il n’y a pas de contradiction entre la lutte des classes et la lutte contre le racisme. L’une ne peut réussir sans l’autre.
-Par la Worker’s Solidarity Federation (Afrique du Sud), traduit par le groupe La Commune (NEFAC-Montréal)
*Serviteurs asservis : utilisé pour «indentured servants» qui ne possède pas de définition univoque. Ce terme fait référence à des travailleurs qui échangent leur force de travail gratuitement à un maître contractuellement. Ces contrats peuvent parfois durer toute une vie (NDT).
Notes
1) Eric Williams, 1944, Capitalism and Slavery. Andre Deutsch. p. 17. voir aussi Peter Fryer, 1988, Black People in the British Empire. Pluto Press. chapter 11.
2) Williams ne donne pas assez d”importance a l’esclavage dans les populations blanches.
3) Williams, p. 14.
4) Williams, p. 10.
5) Leo Huberman, 1947, We, the People: the drama of America. Monthly Review Press. p. 161.
6) Williams, pp. 18-9, 23-29.
7) Bill Freund, 1984, The Making of Contemporary Africa: the development of African society since 1800. Indiana University Press. p. 51.
8) Fryer, p. 64.
9) Williams, pp. 23-6; Huberman, p. 167-8.
10) Huberman, p. 167.
11) Voir Freund pour plus de références sur le cas africain.
12) Fryer, pp. 61-81; Freund.
13) And not to workers as Fryer claims, pp. 54-5. Ces arguments sont critiqués plus en profondeur par le ‘Position Paper’ de la WSF sur «l’anti-imperialisme».
14) Programa de la Liga Pan-Americana del Trabajo in Articulos de Combate, p. 124-5, cited in D. Poole, “The Anarchists and the Mexican Revolution, part 2: Praxedis G. Geurrero 1882-1910”, Anarchist Review. No. 4. Cienfuegos Press.
15) Comme exemple, Ricardo Flores Magon and others, To the Workers of the United States, November 1914, reproduced as Appendix A, in Colin Maclachlan, 1991, Anarchism and the Mexican Revolution: the political trials of Ricardo Flores Magon in the United States. University of California Press. p. 123.
16) Al Szymanski, 1976, “Racial Discrimination and White Gain”, in American Sociological Review, 41.
17) N. Chomsky, 1994, Keeping the Rabble in Line. AK Press. pp. 105-6.
18) Voir à cet effet “Race, Class and Organization: the view from the Workers Solidarity Federation (South Africa)”, 1997, Black Flag, no. 212.
Extrait de Ruptures no 4