L’OCL, trente ans d’anarchisme révolutionnaire
L’OCL existe sous ce nom depuis plus de vingt ans. Elle est issue de la transformation de l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA), qui change d’appellation à son congrès d’Orléans, en 1976. Elle estime alors que la diversité des pratiques et des projets regroupés sous le terme “ anarchiste ” est source de confusion, et donc un obstacle à son développement.
L’ORA pour sa part existait depuis 1967. C’est d’abord une tendance de la Fédération anarchiste (FA), qui s’autonomisera progressivement pour devenir une organisation spécifique en 1970. L’OCL telle qu’elle existe aujourd’hui est donc le produit de cette histoire, qui détermine son identité, ses pratiques et son projet politique.
L’originalité de l’OCL dans le courant libertaire ne peut être comprise qu’au regard des expériences militantes de ces trois décennies, qui fondent ses caractéristiques essentielles : une théorie et une pratique du communisme libertaire fondées sur la lutte des classes, le mouvementisme et la priorité aux groupes de base, I’anticapitalisme, l’anti-impérialisme et l’impératif d’une rupture radicale avec l’exploitation, la domination et l’aliénation dans tous les domaines : politique, économie, rapports sociaux de sexe, environnement...
La naissance de l’ORA dans la FA provient d’une critique du dogmatisme et de I’immobilisme de cette vieille maison, dont la vocation est de regrouper tous les courants de I’anarchisme (organisation dite synthésiste).
Les divergences y sont si importantes que les efforts et l’énergie militante sont dépensés davantage pour se neutraliser mutuellement que pour lutter. La FA des années 60 est en effet empreinte d’un anarchisme idéologique figé, et d’un antimarxisme caricatural qui la conduisent par exemple à nier la lutte des classes comme facteur d’évolution historique. Dans le meilleur des cas, la pratique des groupes FA se limite à la seule propagande de l’idéal anarchiste du XIXe siècle, dans une finalité pédagogique et éducationniste : " Apprenons l’Anarchie aux masses, elles finiront par voir combien nous avons raison, et par se rallier sous les plis du drapeau noir. " Cela ne satisfait plus certains anarchistes révolutionnaires, qui souhaitent développer une intervention libertaire dans les multiples luttes sociales des années 60 puis 70 (décolonisation, vie quotidienne, luttes des femmes, écologie, logement, immigration...), et créent donc d’abord une tendance de la FA, puis quittent cette organisation.
En réaction au vaste fourre-tout qu’est la FA de cette époque, I’ORA va développer une stratégie d’organisation structurée, fondée sur la cohérence, le volontarisme et la discipline militante (position dite plate-formiste — en référence à la plate-forme organisationnelle des anarchistes russes en exil après la Révolution russe de 1917, rédigée par Archinov). Mai 68 et le succès des groupes gauchistes qui s’ensuit finissent par faire de l’ORA une organisation peu différenciable de ses concurrentes trotskistes ou maoïstes, si ce n’est dans ses références idéologiques et ses buts proclamés. L’ouvriérisme outrancier, I’activisme organisationnel, la hiérarchisation des secteurs de lutte, la simplification théorique, les raccourcis doctrinaires sont autant de caractéristiques de l’ORA qui déclencheront une crise entre la pratique réelle des groupes et le discours de l’organisation. En 1976, l’ORA tient un congrès qui voit apparaître deux tendances antagonistes.
La première fonde sa pratique et sa stratégie sur le secteur de l’entreprise et l’intervention dans les syndicats. Elle formera à ce congrès une tendance pour une Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL), accordant la primauté à la lutte des classes sur le terrain économique, et au développement d’un appareil politique classique. Cette UTCL sera exclue au congrès d’Orléans pour s’être mise en dehors de l’organisation. Elle existe toujours sous l’appellation d’Alternative Libertaire (1) et travaille entre autres à sa reconnaissance institutionnelle par la gauche de la gauche, syndicale et politique.
La seconde tendance est aux antipodes de cette vision partidaire et ouvriériste. Elle estime au contraire que l’effort militant doit investir tous les champs de lutte de la société, car la lutte des classes ne peut être réduite au seul secteur de l’économie. Elle fait le bilan des travers gauchistes de l’ORA, et considère que l’organisation telle que définie par la plate-forme d’Archinov (unité idéologique, unité tactique, programme anarchiste) est une structure illusoire. Car ce ne sont pas les organisations politiques ou syndicales qui transforment un sujet historique (le prolétariat) en sujet révolutionnaire, mais la combativité dans les luttes sociales qui permet à des gens en mouvement de passer d’une phase revendicative à une phase rupturiste selon un processus de conscientisation et d’autonomisation.
Malgré cette rupture avec le plate-formisme en 1976, l’OCL continuera de vivre pendant quelques années sur un mode centralisé, notamment avec une dichotomie Paris-province dans la réalisation du journal de l’organisation, et donc dans sa principale expression politique. Cela conduira à une crise majeure en 1978-1979, où l’OCL parisienne sera un temps séduite par les sirènes de l’autonomie telle qu’importée d’Italie et plaquée sur une réalité hexagonale fort différente. Cette phase " autonome " ne sera qu’une résurgence de l’ouvriérisme des années précédentes, avec la " découverte " d’un nouveau sujet révolutionnaire, le jeune prolétaire rebelle et urbain, et la mythification de l’émeute urbaine comme lieu central de l’affrontement de classe. Cette dérive conduira à une rupture Paris-province, et à la disparition du quinzomadaire de l’OCL, Front libertaire, tout en donnant à l’OCL nombre d’acquis sur la violence révolutionnaire et la lutte armée.
Après 1979, l’OCL n’aura plus d’existence que " provinciale ", avec une dizaine de groupes qui travailleront à la mise en place d’un nouveau mensuel, Courant alternatif (CA), pris en charge collectivement et de façon rotative pour éviter la centralisation des lieux de décision et d’expression de l’organisation. CA est d’ailleurs édité par l’OCL, et non l’organe de l’OCL — différence subtile mais essentielle dans la conception de l’organisation politique : I’organisation n’a pas une expression unique, mais est traversée par des débats et des pratiques dont elle n’a pas l’exclusivité.
Cette décentralisation conduira l’OCL de la première moitié des années 80 à disparaître en tant qu’organisation classique (bien qu’elle en conserve le nom), pour n’être plus qu’une coordination de groupes militants intervenant dans des mouvements locaux et spécifiques, mettant en commun leurs analyses et leurs pratiques dans Courant alternatif, ou lors de rencontres annuelles. L’OCL est ainsi devenue une organisation anti-organisationnelle, paradoxe à l’origine de bien des incompréhensions, en ce que la primauté de l’effort militant va non pas à l’apparition de l’organisation et de son développement, mais à l’intervention dans les mouvements sociaux et au renforcement de ceux-ci afin d’aller vers plus d’autonomie pour les acteurs/actrices et plus de radicalité dans les objectifs
Cependant, depuis 1986 et la parution de L’État des lieux (2), I’OCL a fait le bilan des limites de la simple juxtaposition des pratiques, et tente de favoriser le développement d’une organisation conçue comme un outil de partage d’expériences et de réflexions au service des luttes sociales. Ces dix dernières années, l’OCL a ainsi participé ou construit avec d’autres un certain nombre de campagnes hexagonales (contre le sommet franco-africain, contre le G7, Initiative pour une alternative au capitalisme), et choisi de réapparaître lorsque ses positions n’étaient pas développées par une lutte, et qu’il y avait besoin d’une affirmation communiste libertaire spécifique. La diffusion de Courant alternatif en kiosque depuis 1990 a traduit cette nouvelle approche, tout comme la production d’un matériel organisationnel spécifique : brochures, autocollants, affiches, tracts hexagonaux...
1. Alternative libertaire - France n’a rien à voir avec le mensuel belge du même nom.
2. L’État des lieux, et la politique bordel ! est un livre collectif qui a établi secteur par secteur les acquis et les positions de l’OCL en 1986 (mouvements de libération nationale, antinucléaire, syndicalisme, antimilitarisme, lutte des femmes...) Quelques exemplaires sont encore disponibles.
L’OCL, comment ça marche ?
L’Organisation communiste libertaire n’est pas un parti en ce sens que nous ne lui attribuons pas un rôle d’avant-garde destinée à diriger les luttes. L’OCL est un des multiples lieux de ces mouvements sociaux en lutte contre l’ordre capitaliste et patriarcal, qui nous sert à échanger, discuter, agir entre personnes plus ou moins sur la même longueur d’onde.
Un des principes fondamentaux de l’OCL est que l’organisation dans son fonctionnement doit être à l’image de son projet politique, en ce que les moyens déterminent la fin. L’OCL s’efforce donc d’être un lieu d’expérimentation et d’élaboration de rapports différents entre les individus et les groupes, par la mise en œuvre d’une gestion politique radicale et libertaire. Nous fonctionnons selon quelques principes tels que la démocratie directe et le refus de la délégation, I’assembléisme et le collectivisme, l’autogestion et la décentralisation. L’OCL repose sur une base militante et bénévole, sans permanent ou salarié d’aucune sorte (désolés pour les personnes à la recherche d’un emploi jeune ou d’un CES).
L’appartenance à l’OCL est soumise à l’acceptation du groupe le plus proche, selon une autonomie locale. Le paiement d’une cotisation proportionnelle aux revenus est nécessaire pour l’indépendance financière du groupe local, de la coordination régionale quand elle existe, et de la trésorerie hexagonale dont la gestion est confiée par mandat à une personne pour deux ans.
La liaison entre les groupes ou les individus isolés se fait par l’intermédiaire d’un Bulletin inter régional (BIR) réservé aux membres de l’OCL – ainsi qu’aux sympathisant-e-s pour une période maximale de six mois. Ce bulletin paraît deux fois par mois, et permet un égal accès de tous et toutes aux informations sur la vie de l’organisation. Il est alimenté par les groupes et les individus, sa réalisation technique et son animation sont confiées pour deux ans à un groupe. Pour les consultations ou les informations rapides, I’OCL dispose également d’un serveur minitel, et un site internet est en cours de réalisation
Le fonctionnement par commissions journal (CJ) tournantes de Courant alternatif permet à l’OCL de se rencontrer chaque mois dans une ville différente. Pas de secrétariat, de conseil national, ou autre bureau politique déguisé, à l’OCL. Avant le travail sur le journal chaque CJ débute par un point concernant les prises de décision de l’organisation. Chaque groupe mandate une ou plusieurs personnes pour la CJ, et celles qui se trouvent dans l’impossibilité de se déplacer peuvent faire connaître leurs positions via le BIR, ou directement auprès du groupe organisateur de la CJ. Ce fonctionnement permet une grande homogénéité dans les positions et les pratiques des groupes, car le débat régulier en assemblée tend à éviter les décalages et les inégalités entre des groupes ou des individus.
Lors d’actions spécifiques, I’OCL fonctionne par commissions thématiques pour prendre en charge une campagne, élaborer un document, préparer un dossier technique... Le mandat est là encore uniquement technique, et l’approbation politique du travail des commissions revient à l’ensemble de l’organisation. Les décisions peuvent être entérinées par un vote à la majorité des deux tiers si nécessaire, les groupes disposant de 3 voix et les isolé-e-s d’une seule. Concrètement, on vote très peu, et les décisions sont prises la plupart du temps par consentement mutuel après épuisement du débat.
En plus de ces moments de concertation régulière, I’OCL organise deux moments forts d’échanges, d’analyses et d’élaboration politique :
o Des Rencontres nationales, qui se tiennent au minimum tous les deux ans, et constituent trois jours de travail de tous les membres disponibles sur les positions et le fonctionnement de l’OCL (élaboration de textes, définition des axes stratégiques et tactiques, définition et attribution des mandats pour deux ans...).
o Le camping de l’OCL, qui existe maintenant depuis plus de vingt ans, et constitue un moment de vie collective durant deux semaines en été. S’y retrouvent des militant-e-s OCL et toutes les personnes intéressées pour faire le point sur les luttes de l’année écoulée et d’autres questions, mais aussi apprendre à se connaître dans des moments de convivialité et d’autogestion de la vie quotidienne.
Parallèlement à cette structuration hexagonale, les groupes éditent leur propre matériel (journaux locaux, tracts, affiches...), et définissent librement leurs axes d’intervention et leur positionnement en tant que groupe OCL local. Les rencontres régulières, la pratique du débat direct entre les groupes, et le petit nombre de militant-e-s font qu’il y a très rarement des positions contradictoires entre les actions locales, même lorsqu’elles ne sont pas concertées. Comme il n’y a pas d’enjeu de pouvoir entre tendances ou personnes pour gagner l’hégémonie dans un lieu central de l’organisation (il n’en n’existe pas !), les désaccords trouvent généralement une issue dans le débat, et ne se traduisent pas par les phénomènes de scission et d’exclusion qui sont le lot des organisations classiques. Ainsi, les départs de l’organisation s’expliquent davantage par l’usure militante que par les divergences politiques.
Cette démocratie directe assembléiste n’est pas sans écueil. Les échanges à l’OCL sont essentiellement fondés sur la parole et le débat. Cela évite le pouvoir des professionnels de la plume et de la motion de congrès, mais rend parfois difficile l’intégration au débat, car une culture orale de plusieurs années ne s’acquiert pas en deux ou trois réunions. Par ailleurs, ce fonctionnement est possible entre une vingtaine de villes, et une grosse soixantaine de militant-e-s. C’est une des entraves au développement de l’OCL qui ne cherche pas à recruter et à " faire des cartes ". L’intégration à l’organisation se fait par assimilation progressive sur la base de pratiques communes, et non sur l’adhésion à une charte ou à un manifeste ronflant. Ce fonctionnement entretient également une sorte de flou pour savoir qui est réellement à l’OCL et qui n’y est pas, vu que chacun-e peut participer à la vie de l’organisation sans pour autant y cotiser. Cela entraîne entre autre nombre de paranos de la part des organisations classiques qui, en l’absence d’un porte-parole officiel, crient à la manipulation et au noyautage dès que les positions de l’OCL trouvent un écho dans les mouvements de lutte.
Malgré ces limites, I’OCL est un outil organisationnel original, que nous nous donnons pour agir, prendre des initiatives collectivement et participer, dans la mesure de nos moyens, à la recomposition politique et sociale que la situation exige : remettre au goût du jour l’idée qu’il faut changer ce monde, pousser à l’émergence d’un pôle révolutionnaire qui ne se prenne pas les pieds dans les filets que la social-démocratie laisse traîner derrière elle.