Faucheurs volontaires : action directe ou opération politicienne ?
Le 25 septembre dernier les « faucheurs volontaires » ont mené une nouvelle action nationale contre des parcelles expérimentales d'OGM. Partis de la Puye, dans la Vienne, le cortège automobile devait rallier,
quelques kilomètres plus loin, une parcelle à Valdivienne, commune située, clin d'œil de la société industrielle aux mécréants du progrès que nous sommes, au pied de la centrale nucléaire de Civaux. L'opération se solda, comme lors des précédentes, par quelques violences policières qui entraînèrent des protestations d'autant plus véhémentes de la part des organisateurs qu'elles leur permirent de masquer ce qui ne fut, en fait, qu'une opération inscrite dans les grandes manœuvres de recomposition de
la gauche de la gauche. Une occasion de faire le point sur les enjeux de ces nouveaux mouvements qui se réclament à tort d'une orientation libertaire.
Alors que l'action était sensée se préparer plus ou moins discrètement, à l'abri en tout cas du regard médiatique, sinon policier, nous fûmes surpris de constater, quelques jours avant le jour J, du nombre de gens au courant. Qui plus est, la presse elle-même annonçait à grands renforts de gros titres la venue certaine du pape Bové dans nos villages ! C'est que, une fois de plus, les leaders de la Confédération paysanne, cheville ouvrière de ces opérations avec la complicité active d'ATTAC et des Verts,
ont préféré l'efficacité douteuse des feux de la rampe à la réalité tangible de la destruction d'OGM.
C'est ainsi qu'au départ du cortège nous eûmes droit à la présence très médiatisée de José Bové, bien sûr, mais aussi de Noël Mamère, d'Alain Lipietz, de Marie-Christine Blandin et de Besancenot. Radios et télés
s'intéressaient davantage à ces têtes d'affiche qu'aux quelques centaines de manifestants venus de toute la France et aux motifs même du rassemblement.
Après quelques discours convenus sur la mondialisation, ces braves gens nous expliquèrent qu'il fallait, pendant cette action, respecter la discipline, refuser la violence (c'est-à-dire non seulement ne pas la
provoquer, mais encore ne pas riposter aux flics), et s'en remettre aux porteurs de brassards dont les différentes couleurs indiquaient la nature de leur compétence (parcours, décisions de replis, blessures, etc.)Une fois parvenus à Valdivienne nos bureaucrates et leurs petits soldats embrassardés ne purent évidemment rien faire face aux forces de l'ordre, malgré des négociations menées en sous-mains avec les autorités et le haut niveau d'encadrement des manifestants venus là, tout de même, pour faucher
un champs de maïs, faut-il le rappeler ! Mais cet objectif concret n'était pas partagé, semble-t-il, par nos organisateurs davantage soucieux d'assurer un succès médiatique que de laisser se dérouler une action
directe menée par la base.
Les faucheurs volontaires
On entendit parler des premiers mouvement anti-OGM lorsque, aux Indes, des paysans se sont soulevés contre la firme qui leur avait promis de meilleurs rendements s'ils cultivaient du coton transgénique, ce qui fut très loin d'être le cas ! C'est aussi dans ce pays que des groupes s'élevèrent contre une entreprise américaine qui voulait faire breveter une molécule provenant d'un arbre du pays et utilisée depuis fort
longtemps dans le traitement de certains maux. On se souvient également qu'aux USA quelques agriculteurs menèrent une résistance spectaculaire contre les OGM et les firmes qui les imposaient, et furent victimes d'une répression exemplaire sur le plan juridique.
En France, entre la première action anti-OGM recensée — revendiquée comme fait syndical — (1997, fauchage dans l'Isère, trois paysans condamnés le 21 mai 2004 à 600 euros d'amende et 400 euros de dommages et intérêts à la société Monsanto, puis amnistiés) et le lancement en août 2003 des "faucheurs volontaires" lors du rassemblement du Larzac, les actions menées furent le fait d'initiatives très diversifiées.
Des destructions de maïs et de colza de Monsanto, en 1998 qui entraînèrent des poursuites contre Riésel, à celle du riz trangénique au CIRAD l'année suivante en présence de la caravane intercontinentale des Indiens du Karnataka (poursuites contre René Riesel, José Bové et Dominique Soulier), des actions revendiquées ensuite par la confédération paysanne, aux multiples interventions des "enragés en campagne" (Péré, 17), des "chercheurs dans la nuit" à Toulouse', des Obscurs anti-scientistes dans
le Tarn et Garonne, aux " mal-confinés en Ile et Vilaine, pour n'en citer que quelques unes, les initiatives étaient diverses et variées, réclamant des mesures institutionnelles pour les unes, ou s'attaquant globalement aux causes pour les autres, risquées pour leurs auteurs dans certains cas, ou plus cool dans d'autres, elles offraient l'image d'un mouvement naissant, vivant, aux mille facettes. Un seul principe de précaution, la destruction
On constatait aisément que les actions anti-OGM partaient dans deux directions distinctes : d'un côté celles qui attaquaient de front le capitalisme et critiquaient la société industrielle dans sa globalité et
qui n'avaient que faire des pressions institutionnelles (les réalistes), et de l'autre celles qui se plaçaient sur l'échiquier politique comme demandeuse de strapontins au sein des institutions pour obtenir un
capitalisme à visage humain, citoyen, propre et sans dette pour les pays du Sud (les utopistes illusionnistes).
Cette diversité ne pouvait pas plaire à tout le monde et ne devait évidemment pas durer. Pour contrôler puis éradiquer l'incontrôlable, pour orienter le mouvement dans la bonne direction des négociations avec le pouvoir, il fallait structurer tout ça. Ce qui fut fait avec la création des "faucheurs volontaires" en août 2003, lors du rassemblement au Larzac, et qui fut, en quelque sorte, l'acte fondateur de la récupération et de l'institutionnalisation d'un mouvement qui fut autrement plus radical et autonome qu'il ne l'est à présent.
Cette institutionnalisation des fauchages et des arrachages a eu comme effet d'accompagner le ralentissement du nombre des opérations menées (dû à la répression promise et mise en place par le pouvoir) plutôt que de le combattre.
A partir de ce moment, les « officiels » qui se sont appropriés le mouvement vont commencer à dénoncer les actions des « incontrôlables » et des « irresponsables ».. Deux exemples pour illustrer ces propos.
Le 20 octobre 2000, la Confédération paysanne et Attac, dans un communiqué de presse affirme non seulement n'être pour rien dans la destruction d'une parcelle à Longué (Maine et Loire) revendiquée par "quelques ennemis de la transgenèse et de son monde", mais encore que "cette destruction non revendiquée gêne leur démarche qui vise essentiellement à établir la transparence et à modifier la réglementation". Le Porte parole de la Conf' du Maine et Loire avait même, le 11 septembre précédent espéré que "la gendarmerie va pouvoir identifier rapidement les auteurs". D'ailleurs,
c'est à cette même période que la direction nationale de la Confédération paysanne avait interdit à ses sections locales la moindre initiative sans son accord.
Le 16 juillet 2001, à Guyancourt (78) le groupe des "Ravageur" détruit une parcelle de 300 m2 d'un maïs transgénique insectiside expérimenté par le Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences (GEVES).
L'action est immédiatement condamnée par les associations écologistes et environnementalistes du département des Yvelines "opposés à toute action violente" (Terre et environnement) et "condamnant ce type d'actions clandestines" (mouvement écologiste indépendant). (huit jours plus tard la
confédération paysanne mènera pourtant au même endroit une action du même
type, très médiatisée, qui entraînera la poursuite contre 9 de ses militants).
En fait donc, la création des faucheurs volontaires fut un outil de verrouillage et de contrôle de tout ce qui pouvait s'organiser sans en référer à quiconque et qui risquait ainsi d'échapper aux visées
stratégiques politiciennes que les chefs des nouvelles gauches entendaient mettre sur pieds.
Une nouvelle forme de militantisme : le lobbying
Pourtant, les récupérations ne se font plus comme jadis à coup de discours à la serpe et de termes issus en droite ligne du vocabulaire et de références léninistes. On fait référence aux « copains » plutôt qu'aux «
camarades », on fait volontiers appel à un supposé « esprit libertaire » qui teinterait ces mouvements, on ne demande plus d'obéir mais de respecter les consignes, ces dernières n'étant plus issues d'une analyse
politique ou scientifique mais du simple « bon sens ». Nous sommes en présence de formes de militantisme et d'organisations qui sont très à la mode depuis quelques années : le lobbying comme méthode assortie de la médiatisation comme objectif immédiat ; un centralisme plus ou moins rigoureux et en tout cas des décisions toujours prises par le haut ; un recrutement sélectif de gens pas trop enclins à agir ou à décider par eux-mêmes mais désireux tout de même de « faire quelque chose ».Prenons l'exemple de Greenpeace. Adhérer ce n'est ni participer à la vie de l'organisation ni participer à ses actions, c'est juste accepter un virement mensuel témoin d'une certaine bonne conscience. A l'opposé de
cette large base mondialement représentée, quelques dirigeants salariés qui siègent à Amsterdam en liaison directe avec leurs antennes nationales. Ce sont eux qui décident de tout : des campagnes, des actions, de l'emploi des fonds reçus. Et entre les deux des petits soldats, très spécialisés, aguerris, entraînés, triés sur le volet, qui mènent les actions, celles dont on parle à la télé, celles qui attirent la sympathie de qui partage plus ou moins des sentiments écologistes et qui prennent, de toutes les
façons, fait et cause pour David contre Goliath. Quand aux comités locaux il n'ont ni le droit de prendre des initiatives locales en tant que tel, ni celui d'apposer leur signature aux côtés d'autres forces sans l'aval de la direction nationale. Ils ont, en revanche l'autorisation de recruter des donateurs et des membres.
Autre exemple, celui d'ATTAC : la majorité du conseil d'administration est composée de membres fondateurs qui se cooptent entre eux. Les comités locaux n'engagent jamais leur direction nationale et leurs délégués qui composent la conférence nationale des comités sont sans pouvoir et ne peut
qu'enregistrer des décisions prises ailleurs. Ce qui faisait dire à un groupe dissident : « le fonctionnement d'Attac manifeste la croyance que la démocratie est pesante et qu'il faut s'en remettre au pouvoir et à la
clairvoyance d'un seul ou d'un groupe dirigeant auto institué ».Cette peur de la démocratie (la vraie ! Pas son ersatz parlementaire ou représentative) on l'a retrouvé au récent Forum social européen qui s'est
tenu à Londres lorsque Bernard Cassen, ex-président d'attac et manitou des forums sociaux, a proposé que ces derniers se réunissent moins souvent (ce qui, en effet, laisserait les coudées plus franches aux représentants autoproclamés qui se partagent pouvoirs et décisions). On se souvient également qu'à Porto Alègre, Attac, de connivence avec le PT de Lula voulait empêcher les Forum sociaux de prendre des initiatives internationales... initiatives qui devraient être, selon eux, réservées à ces mêmes élites (non élues et souvent occultes) qui président à ces mouvement et sont seules à même de bien comprendre les situations et les enjeux et qui, de ce fait, voient toujours d'un mauvais œil les
initiatives de la base, comme par exemple cette « assemblée des mouvements sociaux » à Londres, appelant malgré tout à des mobilisations anti-guerre pour le 20 mars 2005. C'est que pour eux, il s'agit avant tout d'éviter que ces mouvements s'éloignent des social-démocratie : lors du FSE à Londres les slogans anti-Bush semblaient remplir tout l'espace politique, comme si l'anti-impérialisme devait se résumer à l'anti-USA. Rien ou presque contre Blair... C'est qu'il fallait ménager le maire « rouge »
(gauche du parti travailliste) de Londres, ce dernier devant ménager Blair, le chef du parti. Même chose en France où l'objectif est de constituer une force suffisamment crédible pour jouer dans la cour du PS
mais en partenaire réel, pas en tant que pion. Exercice d'équilibriste qui oblige à critiquer un peu mais pas trop les alliés de l'ex-gauche plurielle qu'ils rêvent de reconstituer (1)
En fait, sous des oripeaux vaguement « modernistes » et « libertaires », on retrouve les mêmes mécanismes animant jadis un certain « centralisme démocratique » : des citisants, des distributeurs de tracts, des manifestants d'un côté, et de l'autre des décideurs organisés de manière pyramidale. La différence, et elle est de taille, c'est qu'il n'y a plus, comme jadis, un modèle pour servir de référence et que, par conséquent, les leaders sont beaucoup plus fragiles et doivent se servir de méthodes de manipulation plus sophistiqués qui peuvent paraître plus démocratiques, moins « autoritaires » (utilisation des medias, de la dynamique de groupe, etc.). Mais le résultat est identique.
Ces caractéristiques on peut les repérer facilement dans le mouvement des faucheurs volontaires. Lors des rassemblements anti OGM... annonce est faite pour que s'inscrivent de nouveaux « volontaires » à entrer dans la grande famille des « faucheurs ». Noms, adresse, et vous serez convoqués pour les prochaines actions... mais pas pour en discuter. Vous ferez 500 bornes en voiture pour vous voir offrir un brassard d'encadrement de telle ou telle couleur si vous êtes repéré comme élément sûr (c'est-à-dire proche ou membre d'attac, de la conf' ou des Verts, ou plus certainement pour suivre les consignes données au micro, puis vous faire taper sur la gueule, sans avoir le droit de riposter, par les forces de l'ordre (mais là je crois qu'il ne faut pas rêver, la grande majorité des volontaires au fauchage sont d'accord avec cette stratégie plus ou moins non violente, et sont des admirateurs inconditionnels de "José"). Là comme à ATTAC ou à Greenpeace, les décisions se prennent en haut. Ainsi, a-t-on entendu Bové, après l'action de Valdivienne, annoncer à la presse que, sans doute, ce type d'action serait la dernière car « on ne pouvait pas continuer à envoyer des gens se faire casser la figure et qu'on en reviendrait certainement à des opérations plus discrètes ». Très bien, mais qui les y a envoyé jusqu'à présent? Et pour quels objectifs ? Pourquoi l'aspect médiatique fut-il privilégié ? Et cette décision soudaine de changer de manière, qui en a décidé? Le staff, les dirigeants des trois compères Attac, la Conf' et les Verts...
A un degré moindre, la Réseau « Sortir du nucléaire » obéit aux mêmes principes. Certes les groupes de base y sont plus autonomes qu'à Greenpeace. Pourtant le lobbying y est largement utilisé au détriment d'actions plus offensives et concrète. Témoin le récent Tour de France antinucléaire dont le seul objectif fut de mobiliser la presse (ce fut un échec de ce côté-là) par des jeûnes, des actions symboliques et des contacts avec les élus. Choisissant délibérément des rassemblements en semaines et dans la journée, cela ne pouvait concerner qu'une infime partie des antinucléaires (ceux qui sont les plus « dans la ligne » du Réseau) et surtout faire apparaître une sur-représentation des élus Verts ou autres alternatifs.
ATTAC, Greenpeace, les « faucheurs volontaires », le Réseau pour un avenir sans nucléaire s'inscrivent donc, à des degrés divers et chacun dans leur domaine, dans cette logique qualifiée souvent abusivement de libertaire mais qui, surtout, s'appuie sur un fondement politique bien précis : une vision de la société où la « citoyenneté » remplace la lutte des classes, où l'« opinion publique » (dont nul ne sait ce qu'elle est, mais dont nous savons à quoi elle sert) devient la forteresse à conquérir, où la revendication étatique est omniprésente au détriment de l'« autogestion ».
Chacune des revendications de ces courants (transparence, modification des règlements, débat national sur telle ou telle question, etc.) se traduit, dans le cadre de leur lutte dite antilibérale, par davantage d'Etat... Un Etat au dessus des intérêts particuliers, bien sûr, et au service des citoyens.
Et comme bien sûr, aucun débouché réel et tangible n'est promis en tant que tel à ce genre d'engagement, il faudra bien un jour que se concrétise très vite un débouché plus politique, entendez électoral c'est-à-dire tout aussi illusoire, mais visible et tangible. Les Verts, comme la LCR l'ont bien compris qui accompagnent ces mouvements et comptent bien en faire leur base électorale.
1. Par exemple on ne dit pas un mot de la duplicité du PS qui, comme Segolène Royal en Poitou Charentes, soutient les maires refusant des expérimentations d'OGM sur leur commune mais qui, lorsqu'il étaient au pouvoir qualifiait d'illégal (Jospin le 28 août 2001) les actions anti-OGM et affirmait qu'il ne les laissera pas faire (Glavany, ministre de l'agriculture). [ article extrait de Courant alternatif # 143 et repris du site : http://oclibertaire.free.fr/ ]