LE TRAVAIL, SEUL LIEU DE NAISSANCE DE LA MARCHANDISE

Partons d'un constat simple : la séparation du travailleur d’avec le produit de son travail, et la séparation du travailleur d’avec le travail lui-même. C’est-à-dire le fait que les travailleurs ne sont pas maîtres de leurs conditions de travail et par là de leurs conditions de vie, et doivent donc se soumettre à des conditions hors de leur volonté. à partir de là, la réappropriation des produits du travail et la fin de la séparation du travailleur d’avec l’objet de son travail vont déterminer la Question Sociale. Reste à trancher le statut du travail. Le travail, comme une simple nécessité sociale, comme le « prix » minimum dont l’être humain doit s’acquitter à l’égard de la nature. Le travail socialement nécessaire ne différerait alors du travail salarié, du travail aliéné actuel que par le fait qu'il est effectué consciemment, et que son produit nous appartient. Ou bien le travail lui-même deviendra-t-il une activité libre et un mode de réalisation ? En d'autres termes quelle est la valeur du travail, ou plutôt, qu'est-ce que la valeur travail ? Fourier dénonce le supplice que constituent des « fonctions sans attrait », Marx dénonce le travail « aliéné », le travail où l’on perd sa vie à la gagner. Pour eux, le travail déparcellisé, rendu attractif reste cependant l'activité principale.

W. Benjamin dénonce de son côté, en 1940, cette « conception du travail, caractéristique d’un marxisme vulgaire, qui ne prend guère la peine de se demander en quoi les biens produits profitent aux travailleurs eux-mêmes, tant qu'ils ne peuvent en disposer. Elle n’envisage que les progrès de la maîtrise sur la nature, et non les régressions de la société. Elle présente déjà les traits technocratiques qu’on rencontrera plus tard dans le fascisme. »

« Ne travaillez jamais ! » C’est la question fondamentale de la valeur travail qui sous tend ce négatif. Reste posée la question : comment se réaliser, comment se retrouver ? On ne peut se contenter de refuser simplement de travailler pour quelqu’un d'autre et de n’envisager que le problème de la redistribution des fruits du travail. Il s’agit de poser la question du travail, de sa valeur. La désertion du travail, les tentations de retour à la terre, le système D, les expériences communautaires, les squats, et parallèlement, les réquisitions, les autoréductions, les grèves sauvages, toutes ces tentatives après 68 n’ont pu contourner le rapport marchand fondamental. Ce rapport qui veut que chacun, dans notre société ne puisse se procurer presque tout ce dont il a besoin, que sous la forme de marchandises, et soit par conséquent contraint de se transformer lui-même, ou plus exactement sa force de travail (physique ou intellectuelle), en marchandise. Contourner le rapport marchand ne suffit pas, il faut le détruire, tout comme ne suffit pas d’ignorer l’État ou de le tenir à distance, il faut l’anéantir.

L’APARTHEID SOCIAL

UNE TENDANCE LOURDE se dessine actuellement : les pôles économiques se constituent (la Communauté européenne, l’Amérique du Nord –Alena– et le Japon avec le Sud-Est asiatique) et s’érigent en forteresses. On assiste donc à la mise en place d’un véritable développement séparé ou apartheid social. Trois points de vue concourent à étayer ce concept :

• l'exclusion sociale

• la construction européenne

• les rapports Nord/Sud/Est

Pour le premier, on retiendra que pendant les Trente Glorieuses, l’Etat avait pour objectif d’intégrer l’ensemble des catégories de la population ; c’était la tâche essentielle de l’Etat-providence. La crise de celui-ci remet en cause une de ses fonctions essentielles. L’Etat social a tendance à disparaître. De même l’idéologie du progrès tombe en désuétude; le progrès n'est plus inéluctable ; celui-ci est source de destruction des êtres humains et de destructions écologiques. Cette crise profonde engendre un changement de la philosophie politique : pendant les Trente Glorieuses, l’objectif est l’intégration. On considère qu’il est primordial de développer le marché intérieur : cela a produit la société de consommation. Maintenant, on assiste à une rupture avec cette conception ; prédomine l’exclusion (ce terme recouvre en fait les populations en «surnombre», dont l’Etat ne sait plus quoi faire) avec comme corollaire la remise en cause des politiques sociales et l’ensemble des acquis que les travailleurs ont obtenus. En conséquence des catégories de la population sont délibérément marginalisées ou en voie de l'être. Leur gestion, pour ce qui concerne l’Occident, fait de plus en plus appel à la prison ; dans les pays pauvres, le cimetière tend à devenir un des moyens prédominant de leur régulation. On assiste donc à une rupture par rapport à la période historique précédente. Cela se vérifie par l’instauration de véritables quartiers ghetto. Les réponses politiques sont de plus en plus autoritaires et sécuritaires pour les victimes de l’exclusion, et de plus en plus libérales en ce qui concerne les formes de gestion économique (dérèglementation du travail) ; ainsi le travail précaire se développe. Un des fondements de la construction européenne est la mise en concurrence des régions entre elles. Certaines ont de réels moyens pour être performantes, comme la région Île-de- France et d’autres ont un avenir de plus en plus incertain. Les régions deviennent de véritables Etats dans l’Etat, aspirant à devenir des pôles économiques de plus en plus autonomes. Pour ce faire les notables régionaux tendent à étendre leur pouvoir et leur influence à tous les aspects qui touchent de près ou de loin la vie économique. En France, ce processus a été réellement engagé par la loi de décentralisation de Deferre en 1982. Mais cette évolution se vérifie aussi au niveau des rapports Nord/Sud/Est. Auparavant les rapports entre le Centre et la Périphérie se caractérisaient par « l’échange inégal ». Les pays occidentaux imposaient aux pays dits «sous-développés» leur modèle de développement. Avec la crise, le mythe du «développement» a fait long feu ! L’évolution de l’impérialisme impose de nouvelles nécessités. Jusqu’aux années 70, l’impérialisme était expansionniste, maintenant il a conquis l’ensemble de la planète; autrement dit, d’une phase de conquête, on est passé à celle d’une gestion totale de celle-ci.

Parallèlement l’idéologie raciste a, elle aussi, évolué. Le racisme différencialiste a pris le pas sur le racisme fondé sur la supériorité de la « race blanche ». Nous assistons donc à la mise en place d’un nouveau racisme qui puise son idéologie dans le différencialisme. «Idéologiquement, le racisme actuel, centré chez nous sur le complexe de l'immigration, s’inscrit dans le cadre d’un “racisme sans race” déjà développé hors de France, notamment dans les pays anglo-saxons: un racisme dont le thème dominant n’est pas l’hérédité biologique, mais l’irréductibilité des différences culturelles ; un racisme qui […] postule […] la nocivité de l’effacement des frontières,

l’incompatibilité des genres de vie et des traditions : ce qu’on a pu appeler à juste titre un racisme différencialiste » (E. Balibar, Y a-t-il un « néo-racisme » ?, in « Race Nation Classe, les Identités Ambiguës », E. Balibar et I. Wallerstein, Editions La Découverte, 1988, pages 32 et 33.). D’une hiérarchisation raciale, on passe alors à un apartheid social : isoler les pays pauvres, garantir l’étanchéité des frontières, imposer l’idée que les communautés ne peuvent vivre leurs spécificités uniquement chez elles et se définissent essentiellement par opposition aux autres. Ainsi des continents entiers sont laissés à l’abandon. Une des principales préoccupations des dirigeants politiques et économiques des pays du Centre est de contenir les vagues migratoires. Ils doivent se prémunir des pressions migratoires des populations des pays du Sud et de l’Est. Par exemple, se met en place au niveau de l’UE un arsenal juridique, administratif et policier (les accords de Schengen, les politiques anti-immigrés, les réformes constitutionnelles en France, en Allemagne) pour tenter de rendre les frontières hermétiques à l’égard des populations venant d’Afrique, mais aussi des pays de l’ex-pacte de Varsovie.

LE LIBRE ET EGAL ACCES A LA MOBILITE

CONTRÔLER LA MOBILITÉ est un enjeu central du système capitaliste. Aujourd’hui, de nombreuses luttes tournent autour de cette question, chacune l’attaquant à sa manière. • Les collectifs pour les transports gratuits mettent en avant cette revendication notamment en faisant l’hypothèse que le ticket, avant de faire rentrer de l'argent dans les caisses des compagnies de transport, sert à contrôler les déplacements des zones pauvres vers les riches.

• Les gens du voyage ont vu se succéder une série de politiques coercitives qui conduit aujourd'hui à contrôler leurs déplacements : ils sont « d’abord appelés “bohémiens” (à travers une législation discriminante d’assimilation), ensuite nomade (à travers une volonté discriminante de sédentarisation) et enfin “gens du voyage” (à travers une législation discriminante de surveillance et de contrôle)…».

• Les sans-papiers sont à la merci des politiques qui d’un côté cloisonne complètement leur mobilité – visas, police des frontières… – et de l'autre laisse passer les « bons étrangers » (informaticiens) ou les clandestins (main d’oeuvre à pas chère). Les êtres humains considérés comme des marchandises ne peuvent que lutter pour une libre circulation.

• La lutte contre les prisons rappelle que la peine principale de notre système est le contrôle total de la mobilité. Pour Foucault, elle est le paradigme vers lequel voudrait pencher notre société. La logique de la prison se répercute au travail, à l'école, à l’armée… Lutter contre la prison, c’est donc lutter pour une société moins contrôlée.

• Le combat féministe est aussi une manière de se libérer du joug patriarcal. La femme à la maison et l’homme au

travail reste un schéma d'actualité. La femme, emmurée chez elle, est « sans prise sur le monde extérieur, sur l'avenir… » tandis que « le rôle dévolu à l’homme c'est l'action, il produit, combat, crée, le monde lui appartient ». Le contrôle de la mobilité n’est pas seulement un moyen de cloisonner deux mondes, il est aussi un moyen de les différencier.

Plus on est riche, plus on est mobile. 75 % de la planète se déplace à la seule force de ses muscles, le plus souvent à pied ou à vélo. Ensuite, certain-es voyagent avec des énergies fossiles, avec les deux roues motorisées, les transports en commun voire une voiture.  Plus on est riche, plus on va vite, en achetant par exemple une « grosse voiture ». Pour quelques un-es, les déplacements se font en hélicoptère, comme dans certaines grandes mégalopoles.

Clairement, le libre et égal accès à la mobilité représente un danger pour les institutions de la société capitaliste dans la mesure où cela impliquerait un bouleversement de ses bases. Refuser le contrôle de nos déplacements, c’est refuser la gestion de nos vies par le système. C’est pourquoi les luttes pour un libre et égal accès à la mobilité, celles des roms, des sans-papiers, des prisons, de libération des femmes doivent porter ensemble la revendication de la liberté de circulation.

LA CONSTRUCTION DU GENRE FONDEMENT DU PATRIARCAT

La construction du genre

Selon certain-es, l’espèce humaine serait rrémédiablement coupée en deux. Les femmes et les hommes n'auraient pas les mêmesqualités (ou défauts !) : les femmes seraient douces, soumises,généreuses, etc. alors que les hommes seraient forts, virils, intelligents,etc. Et pourtant, on ne naît ni femme ni hommemais on le devient. Que ce soit dans la sphère familiale, à l’école,dans la littérature, etc., chacun-e apprend la façon dont elle ou ildoit se comporter : en opposition au modèle féminin si l’on est un garçon et réciproquement. La catégorie femme comme la catégorie homme sont donc des constructions sociales et ne découlent en aucun cas de phénomènes naturels. C’est ce

que l’on appelle le sexe social (opposé au sexe biologique) ou genre.

Genre et division sexuelle du travail

Le système du genre permet de maintenir la domination des hommes sur les femmes, et notamment la division

sexuelle du travail. Sous prétexte que les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes rôles reproductifs et la même force physique (!), elles et ils ont des rôles sociaux différents. Les femmes seraient prédisposées à effectuer certaines tâches : s'occuper de la maison, des enfants, des vieillards… alors que les hommes, eux, seraient prédisposés à occuper des postes à responsabilité. En

conséquence, le salaire des femmes, même quand il est supérieur à celui de leurs maris ou compagnons, est toujours considéré comme un salaire d’appoint. Les femmes n’auraient-elles pas besoin de travailler, même quand elles vivent seules avec ou sans enfants ? Ceci explique bien pourquoi 80 % des emplois précaires

sont occupés par des femmes et pourquoi 80 % des personnels d’entretien sont des femmes.

Genre et mobilité

De même que la construction du genre permet le maintien des inégalités dans le travail, elle permet aussi de contrôler la mobilité des femmes. Quand on étudie la question de la mobilité des femmes dans le monde, on s’aperçoit que les femmes, et plus particulièrement

les femmes du Sud, rencontrent d’énormes difficultés

pour changer de pays. Elles se voient automatiquement refuser un visa. Les seules femmes qui obtiennent des visas sont celles qui les demandent dans le cadre d’un regroupement familial. Cela veut-il dire que seules les femmes mariées ou «dépendantes» d’un homme sont autorisées à quitter leur pays? Pour celles qui décident d'émigrer quand même, c’est-à-dire dans la clandestinité, les ennuis ne font que commencer. Sans-papières, ces femmes sont acculées à travailler au noir dans des ateliers clandestins, des sociétés de sous-traitance (notamment de services d’entretien) quand elles ne sont pas obligées de se prostituer pour assurer leur quotidien.

Afin de lutter pour l’égalité de toutes et tous, il est nécessaire de sortir du carcan des rôles sociaux qui nous sont imposés, il faut arrêter de voir le monde comme une opposition entre féminin et masculin mais plutôt comme une infinité de possibilités correspondant aux spécificités de chacun-e.

Féminité, virilité, non à la norme, non aux clichés.

DECLARATION POLITIQUE

Déclaration politique d’Offensive Libertaire et Sociale (OLS)

Offensive Libertaire et Sociale est née au cours

de l’été 2003. Notre volonté est de participer à la construction d’une réelle offensive qui mette un terme au capitalisme et qui contribue à l’élaboration

d’un autre futur sans rapports de domination ni d’exploitation. Nous militons pour une société fondée sur la solidarité, l’égalité sociale et la liberté. Six principes fondent l’OLS :

1. Indépendanceagir de manière libérée de toute logique institutionnelle liée à l'Etat ou au capital.

2. Fédéralisme les groupes composant l’OLS sont autonomes ; ils s’associent librement tout en respectant les fondements et les valeurs de l’OLS.

3. Assembléisme pratiquer ou favoriser des modes d’organisation horizontaux et des processus décisionnels appuyés sur la démocratie directe.

4. Anti-autoritarisme combat de toutes les formes de domination : exploitation, patriarcat, âgisme, racisme… Refus des logiques de conquêtes de pouvoir, mise en place de contre-pouvoirs pour lutter contre les pratiques hiérarchiques.

5. Rupture à travers nos luttes et autres interventions politiques, nous cherchons à poser la question de la fin du capitalisme. Nous cherchons à favoriser l’existence de rapports sociaux alternatifs et à aider au développement d’espaces et de temps émancipés et subversifs. Nous participons donc à l’émergence d’utopies créatrices.

6. Appui mutuel recherche et apport de solidarité et de participation entre les projets de subversion, selon les principes de la liberté d’association et d’expérimentation. Agir dans le respect des partenaires... Nous souhaitons œuvrer pour un monde où le bien-être et le bonheur seraient parmi les premières préoccupations.

L’OLS se situe comme un élément dans la constellation libertaire, apportant sa pierre au mouvement révolutionnaire. Elle est une structure parmi d'autres organisations, collectifs, comités existants à un moment donné. L’organisation n’est pas une fin en soi et ne doit pas primer sur les luttes et sur la réflexion. Nous refusons de nous impliquer en fonction de nos seuls intérêts organisationnels, de « passer » d’une lutte à l’autre au gré des modes. Même si nous apparaîtrons pour confronter, défendre ou faire partager nos valeurs, nos idées, nos pratiques, notamment au travers de notre journal et lors de certains événements politiques, nous refusons les logiques de représentation. Dans une société fondée sur les apparences, le mouvement révolutionnaire ne doit pas succomber aux sirènes du spectacle.

Nous luttons plus particulièrement contre l’apartheid social, les dominations (sexisme, homophobie, exploitation économique…), pour la liberté de circulation et d’installation. Nous participons aux luttes contre la précarité et le développement de la misère, en essayant de proposer d’autres formes d’organisation sociale dans lesquelles le travail productif perdrait sa centralité.

Nous voulons construire une société réellement démocratique, si l’on définit la démocratie comme une forme d’organisation du pouvoir permettant de connaître et de maîtriser nos conditions d’existence. Il importe de réfléchir à de nouvelles organisations sociales qui permettent le partage des débats et des prises de décisions. Cela revient à briser l’autonomie du pouvoir. Il ne doit plus être en-dehors de la société, mais en son sein : il doit être socialisé.

Nous sommes partie prenante de l’unification des mouvements libertaires et de l’association avec toutes celles et ceux qui développent des pratiques anti-autoritaires et anti-capitalistes. Nous chercherons, au sein de cette constellation, à faire vivre « l’alternative ».