Hors-jeu international et jeu internationaliste1
Santiago PARANE2
Suivi de
Guerre & propagande
Fred
Suivi de
La liberté victime de la guerre
Lucie
Suivi de
Lettre de sans terres autonomes
Inconnu
Hors-jeu international et jeu internationaliste
Le mouvement anarchiste se montre particulièrement discret dans ses analyses des relations et des conflits internationaux. Ses publications périodiques ou ses livres ne traitent que rarement, ou très circonstanciellement, des problèmes de politique étrangère. Il existe certes un certain nombre de principes généraux - contre tous les impérialismes, contre les nationalismes, contre la guerre, contre les armements -, rituellement répétés, qui planent quelque peu au dessus des événements, des tensions ou des guerres lointaines. Cette répétition économise l'observation des faits et leur interprétation, plutôt qu'elle n'y invite.
Ce silence et ces généralités présentent un danger sérieux, celui de voir le quotidien, fait de désinformation et de propagande, modeler progressivement les réactions des militants et conduire à ce que leur comportement pratique, face a des situations de fait, diffère de leurs convictions affichées, ou les contredise.
Le piège du choix, identique en fin de compte à celui qui fonctionne si souvent pour les questions sociales, réside dans l'exploitation des sentiments pacifistes et internationalistes à des fins guerrières ou impérialistes. Il n'est pas question d'appeler les libertaires à s'engager dans une lutte entre régimes d'exploitation ou entre Etats visant à l'hégémonie régionale ou mondiale. Il est plus intelligemment, et plus utilement fait appel aux sentiments anti-autoritaires, aux convictions anti-totalitaires, aux nécessités de la défense de conquêtes ouvrières, des libertés acquises. De même qu'au nom des valeurs dont se sert la "gauche", il est demandé non de participer aux règles parlementaires, mais d'empêcher - par le vote - le triomphe d'un candidat de "droite". Ou de faire bloc avec ceux qui défendent le "progrès" contre ceux qui s'accrochent aux privilèges du passé.
Le procédé donne des résultats. Il faut reconnaître qu'il n'est souvent pas besoin de le mettre au point du dehors ; il surgit spontanément, au sein même des milieux anarchistes. Ainsi le Manifeste des 16, en 1914.
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La prise de position des Kropotkine, Grave, Malato, Mella ou Moineau n'est pas exceptionnelle, ni conditionnée par une situation unique. On la retrouvera, sous un autre langage, en d'autres conjonctures, en 1936 en Espagne, en 1939, comme on pourrait la détecter aujourd'hui même.
Tout au long de la guerre civile espagnole en effet, l'idée d'un "camp démocratique" favorable à la République a été défendue, propagée, par les adversaires de la révolution sociale - républicains bourgeois et staliniens -, mais elle a pénétré jusque dans nos rangs. Et elle s'y est maintenue. Sans discussion. Dans l'équivoque.
Ainsi, dès le début de la deuxième guerre mondiale, un homme de la taille du Rudolf Rocker a pu parler du Common-wealth britannique comme d'une "communauté de peuples libres"... Mais remarquons qu'entre les affirmation pacifistes, cri jeté sans aucune considération pour les données ou les perspectives de la réalité visible - le tract lancé par Louis Lecoin "Pour une paix immédiate" en fournit un modèle - et les plaidoiries justificatrices de ceux qui se rallient à un camp, il existe surtout un immense no man's land d'ignorance et de sclérose mentale.
Malgré les nombreuses expériences, la somme de connaissances acquises et entrées dans notre mémoire collective est maigre. Il y eut, pendant la guerre 14-18 des manifestations de la pensée et de l'action anarchistes qui témoignèrent de la lucidité et du courage des compagnons. Il y eut Zimmerwald et cent exemples de la présence libertaire. De 39 à 45 il n'y eut pas grand chose qui ressemblât à cette ténacité audacieuse et prometteuse. A quelques exceptions près. L'une collective : l'équipe de War Comentary à Londres. Les autres, individuelles ou à partir de petits noyaux, celui de 1'Adunata dei Refrattariétant le plus solide. Le reste bascula dans l'illusion sanglante, le silence ou l'accommodement.
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En pleine guerre, sous les bombes, l'effort de connaissance des éditeurs de War Comentary (succédant à Spain and the World) ne cesse pas. Avant toute chose, il s'agit de ne pas se laisser entraîner par les torrents de mensonges, accompagnement naturel des haines et des combats. Un effort qui pourtant ne s'imagine pas triomphant. Tout est difficile, lent, incertain, précaire. Marie-Louise Berneri, qui, avec Vernon Richards et l'équipe de Freedom Press, anime le journal, le dit explicitement : "Nous ne pouvons bâtir avant que la classe ouvrière ne se débarrasse de ses illusions, de son acceptation des patrons et de sa foi dans les chefs. Notre politique consiste à l'éduquer, à stimuler ses instincts de classe, et à enseigner des méthodes de lutte. C'est une tâche dure et longue, mais à ceux qui préfèrent des solution plus simples, comme la guerre, nous soulignerons que la grande guerre mondiale qui devait mettre une terme à la guerre et sauver la démocratie, n'a produit que le fascisme et une nouvelle guerre : que la guerre présente provoquera sans nul doute d'autres guerres, tout en laissant intacts les problèmes fondamentaux des travailleurs. Notre façon de refuser de poursuivre la tâche futile de rapiécer un monde pourri, et de nous efforcer d'en construire un neuf, n'est pas seulement constructive, elle est la seule solution" [1].
Il ne s'agit pas d'incantations à la paix, mais de suivre l'actualité et d'en extraire chaque jour la leçon, de dénoncer les bourrages de crânes, de rappeler par des exemples immédiats et évidents que la Grande Bretagne est un empire qui règne sur des peuples esclaves, que les Etats-Unis vont mettre à profit leur entrée en guerre pour étendre leur aire de puissance, que la Russie Soviétique est un totalitarisme qui écrase prolétariat, paysannerie et peuples ; que les mots perdent tout sens quand un Tchang Kai Chek, tyran hier devient grand démocrate le lendemain..., que les idéologies couvrent des intérêts indéfendables. "Ne nions pas que... l'opinion américaine, et peut-être Roosevelt lui-même, n'exprime pas une véritable sympathie pour les démocraties. L'opinion des masses - ou plutôt ce que la presse leur fait croire -, n'a rien de commun avec les intérêts combinés des capitalistes et des impérialistes qui déterminent la conduite du pays. Mais on doit reconnaître que ces intérêts ont tout à gagner dans une guerre européenne" [2].
Cette volonté de continuer à voir clair, de penser avec sa propre tête, va se manifester pour dire, exposer, propager les vérités crues. Par des publications, mais aussi par des tracts distribués aux soldats, ce qui donnera lieu à procès. Par une correspondance qui devra se faufiler dans la masse épaisse des censures et des contrôles, avec les isolés, les rescapés, les tenaces de quatre coins du monde et qui sont l'Internationale.
Sans doute la tradition anglaise fournissait encore, restes sans cesse grignotés du libéralisme d'expression, un terrain plus favorable à cette ,affirmation et à cette recherche anarchistes qu'en des pays entièrement militarisés ou soumis a un régime de police toute puissante. Mais ces possibilités sont exploitées à fond, et non pas escamotées en attendant des jours sans problèmes. Comme ailleurs l'illégalité et la clandestinité s'adaptent et répondent à la loi et à la répression. L'argument ne tient pas quand il est avancé que ces libertés doivent être défendues en se mettant à la disposition d'un pouvoir qui s'ingénie à les réduire. Ce qui est à noter, c'est que dans les pays dictatoriaux, nombre d'éléments de résistance ont agi en liaison avec des services d'Etat "ennemi", en vue de participer à l'effort de guerre de l'autre camp, et non pour des objectifs propres.
C'est là que s'établit la différence fondamentale, pour les anarchistes, entre l'action favorisant le triomphe d'une coalition contre l'autre, et celle qui correspond à des buts de libération sociale. Différence qui était sensible en Italie, en France, aussi bien que dans les pays dits "neutres" - comme en Amérique latine -, là où les grèves étaient soutenues, déclenchées ou condamnées, non par rapport aux intérêts de la classe ouvrière, mais suivant le critère du "bon" ou du "mauvais" bénéficiaire sur le plan international. Il existe, en dépit des situations locales parfois très complexes, un fil conducteur : c'est la guerre sociale que nous menons, et non la guerre entre nations ou entre blocs. Les "forces de libération" ne s'y tromperont pas en Italie - 1944 -, quand les autorités militaires nord-américaines autoriseront la parution de toutes les publications de toutes les tendances "antifascistes", sauf les journaux anarchistes. De même que dans le port de Buenos Aires, les staliniens s'opposeront aux mouvements revendicatifs, dès lors que la production des entreprises intéressées est destinée au ravitaillement des alliés - ennemis la veille - de l'URSS.
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Reconnaissons que nous ne possédons pas de doctrine éprouvée. Nos "ancêtres" ne nous aident guère. Dans la logique marxiste, et pour ce qui concerne la politique internationale, il existe la même croyance dans le caractère "progressif" de l'expansion capitaliste dans le monde - étape inévitable pour que soient réunies les conditions nécessaires à la victoire du prolétariat - que pour le développement économique des nations. Miklos Molnar résume fort bien cette théorie : "Si le progrès réalisé par la bourgeoisie conquérante grâce au développement de ses forces productives est l'étalon universel pour mesurer les peuples, leur place au soleil et la légitimité de leurs revendications nationales, il est tout aussi impossible de se placer aux côtés des peuples "asiatiques" qu'aux côtés des "sous-développés" du vieux continent. Autrement dit, si Marx et Engels avaient voulu adopter un concept anticolonialiste... ils auraient dû l'élaborer au sujet des peuples opprimés d'Europe également et vice-versa. Faute de se placer sur le terrain de l'autodétermination sans discrimination, ils s'enferment dans le carcan de leur vision matérialiste et, dirait-on aujourd'hui, "productiviste" du monde. Dans une position idéologique donc ? Pas du tout, puisqu'il s'agit d'une idéologie fondée sur une analyse de la réalité et qui se voulait scientifique. Ce n'est pas un vœu, un programme, un idéal que Marx et Engels prétendaient exprimer par leurs thèses, mais bien la tendance générale du développement historique" [3].
Il y aurait quelque cruauté à rappeler à nos bons simili-marxistes d'aujourd'hui, qui se portent au secours des colonisés ou néo-colonisés (sauf quand il s'agit de colonies soviétiques), les positions de leurs maîtres à penser (il leur reste des maîtres, mais pas de pensée). Molnar le rappelle : "...le contenu moral du colonialisme, son infamie et sa stupidité n'infirment pas aux yeux de Marx sa nécessité en tant que processus historique global. Quelque détestables que soient les motifs et les méthodes de colonisation britanniques ils accomplissent une tâche historique somme toute progressiste" [4]
Côté Bakounine, le raisonnement est inverse : "La conquête faite par les nations civilisées sur les peuples barbares voilà leur principe. C'est l'application de la loi de Darwin à la politique internationale. Par suite de cette loi naturelle les nations civilisées, étant ordinairement les plus fortes, doivent ou bien exterminer les populations barbares, ou bien les soumettre pour les exploiter, c'est-à-dire les civiliser. C'est ainsi qu'il est permis aux Américains du Nord d'exterminer peu à peu les Indiens ; aux Anglais d'exploiter les Indes orientales ; aux Français de conquérir l'Algérie ; et enfin aux Allemands de civiliser, nolens volens, les Slaves de la manière que l'on sait" [5].
Mais si l'examen des relations entre Russie, Allemagne, Pologne, donne l'occasion à Bakounine de conclure de manière tout à fait opposée aux opinions de Marx, le premier considérant l'Allemagne comme l'Etat le plus porté à l'expansion et le second estimant que la Russie tsariste est destinée à s'étendre par la nature même de son régime retardataire et absolutiste, il n'en reste pas moins que pour le Russe, c'est le problème de l'Etat qui est essentiel. "L'Etat moderne ne fait que réaliser le vieux concept de domination... qui aspire nécessairement, en raison de sa propre nature, à conquérir, asservir étouffer tout ce qui, autour de lui, existe, vit, gravite, respire : cet Etat... a fait son temps" [6].
Ici, déjà, le principe étouffe les analyses détaillées. Il n'est pas sûr qu'il sera suffisant pour dominer les entraînements de la passion.
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On ne peut mieux résumer une certaine mentalité qui régnait dans les rangs de l'émigration CNTiste en France, qu'en citant la réponse faite en novembre 1944 à l'Union Nationale Espagnole - fabrication du PC espagnol -, qui lors d'un congrès tenu à Toulouse, avait décidé d'éviter de nouvelles effusions de sang en Espagne : "Magnifique déclaration avec laquelle nous sommes totalement d'accord. Mais pourquoi dit-on aux Anglais une chose et une autre totalement différente aux Français et aux Espagnols réfugiés en France ? Pourquoi les porte-parole de la U.N.E. appellent lâches les exilés espagnols qui se refusent d'entrer dans les rangs de leurs guérillas qui prétendent reconquérir l'Espagne l'arme au poing ? C'est nous qui portons le drapeau de l'unité de tous les Espagnols amants de la liberté et de la République. C'est nous qui, dans un Front Populaire, avons défendu la République, une République que l'U.N.E. considère morte. C'est nous qui disons aux Anglais, aux Américains, aux Russes et à tous les peuples démocratiques du monde - et très particulièrement aux Espagnols exilés en France - que l'on doit tenter de libérer l'Espagne en évitant une nouvelle tuerie cruelle entre Espagnols" [7].
Que d'illusions, que de vaines et gloriolantes espérances, quel manque de connaissance des motivations qui déterminaient la politique des Etats "démocratiques". Le livre de José Borras dont nous avons extrait cette citation abonde en enfantillages de ce type et en guimauve littéraire, aux lieux et place d'une difficile mais indispensable analyse des conjonctures politiques internationales. La garde est baissée devant la froide détermination des Etats, égoïstes par nature. Après les désillusions, inévitables, viendront les aventures lancées à coups de jeunes, à coups de morts et d'arrestations, un prix aussi mal calculé que l'était la croyance en des gouvernements bourgeois démocratiques animés des meilleurs intentions...
Car le mouvement libertaire espagnol, du moins dans ce qu'il déclare officiellement, n'a rien appris de ce que vaut "l'antifascisme" national ou international : "Une des constantes qui ont nettement marqué le comportement politique des partis et organisations exilés a été de croire - et de faire croire - que si les antifascistes espagnols perdirent la guerre civile et s'ils ne sont pas encore parvenus à abattre la dictature franquiste, la faute en est aux puissances étrangères" [8].
S'agit-il d'une interprétation particulière, marquée par les circonstances propre au conflit ibérique ? Il ne le semble pas, car nous retrouvons ce raisonnement, non plus à chaud, mais comme expression naturelle d'un courant de pensée, chez nombre de militants, et à propos d'autres guerres. Ainsi, sous la plume d'un excellent militant asturien, Ramon Alvarez, quand il parle d'Eleuterio Quintanilla, organisateur et propagandiste anarchiste du premier tiers du XXe siècle : "Tant que la guerre ne se manifesta pas par le choc brutal des armées sur les camps de bataille, transformées en tombes gigantesques de jeunes gens qui avaient rêvé d'une "belle époque" prolongée, Quintanilla se déchaîna contre la guerre. Il n'ignorait pas que les tueries collectives ont toujours assuré le salut du capitalisme, coïncidant chronologiquement avec les cycles de crises économiques, résultats des inévitables contradictions d'un système social basé sur l'exploitation et le profit.
"Une fois mortes les illusions reposant sur un internationalisme trop jeune pour être enraciné dans la conscience civique - bien qu'il doive constituer la première aspiration d'un idéaliste sincère -, Quintanilla décida rapidement de défendre le camp occidental, car il représentait une plus grande somme de libertés, où était possible l'ensemencement révolutionnaire ; alors que la victoire du kaiserisme eut signifié un recul sensible, dont les conséquences eussent retombé de préférence sur les couches les plus pauvres de chaque nation" [9].
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Dans la plupart des cas, le choix d'un camp est déterminé par le sentiment d'impuissance chez le militant. Demeurer en dehors de l'affrontement public majeur lui semble l'exclure de toute action, de toute existence. Or, il ne s'agit pas d'être neutre, mais de refuser les règles d'un jeu qui n'est pas le sien. C'est le choix d'un camp qui fait disparaître sa personnalité propre. Son engagement signifie son suicide en tant que militant anarchiste. Que les circonstances l'obligent à se trouver inséré, en uniforme ou en civil, dans les appareils de l'une des parties belligérantes, ne l'engage pas. Ce serait sa justification de ce qu'il n'a pas le pouvoir d'éviter qui le mettrait hors du combat social. C'est à partir de cette - de sa - situation de fait, non choisie, qu'il peut commencer - ou continuer - d'agir. Pour agir, il doit travailler à suivre et à comprendre les événements, tâche peu aisée mais possible. De même qu'il doit connaître le milieu où il se trouve placé, pour en saisir la diversité et les contradictions. Tous éléments de connaissance qui lui serviront, dans l'immédiat ou dans le temps. Les aspects sociaux d'un conflit, d'une tension, d'une guerre ne sont jamais absents longtemps. Non plus que les réactions individuelles. Là est son terrain.
Quant à la sempiternelle considération que tout acte, tout sentiment exprimé, toute attitude fait le jeu de l'un ou l'autre antagoniste, elle est sans nul doute exacte. Le tout est de savoir s'il faut disparaître, se taire, devenir objet, pour la seule raison que notre existence peut favoriser la triomphe de l'un sur l'autre. Alors qu'un seule vérité est éclatante : nul ne fera notre jeu si nous ne le menons pas nous-mêmes.
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Ne pas vouloir participer aux opérations de politique internationale, dans l'un des camps en lutte, ne signifie pas qu'il faille se désintéresser de la réalité de ces opérations, de ces formes de guerre permanente prenant les aspects les plus variés : commerciales, politiques, militaires ; de ces stratégies. Oublier que les Etats Unis, par vocation et volonté de puissance, sont partout présents dans le monde, veulent assurer la défense et la garantie de leur métropole qui dépend d'un ravitaillement de nature intercontinentale ; oublier les tendances à l'hégémonie mondiale de l'Union Soviétique ; oublier la capacité expansionniste de la Chine ; oublier que les poussées d'indépendance qui secouent l'Afrique, l'Asie et l'Amérique latine sont à la fois volontés populaires, surgissements de nouvelles classes dirigeantes et pions des rivalités entre grandes puissances, c'est se condamner à donner dans tous les panneaux. C'est au contraire par le tri continu des éléments décisifs entre manœuvres de type nationaliste ou impérialiste et courants de libération authentiques que la critique libertaire peut et doit s'exercer si elle veut être instrument de connaissance et de combat.
Or, à chaque fois que le militant prend position, avec l'espoir d'occuper une place dans la "marche de l'histoire", ou qu'il refuse de manifester son soutien à une poussée sociale, par souci de ne pas favoriser une autorité gouvernementale, il erre ou perde toute existence. Il faut se rappeler à ce propos l'attitude d'intellectuels libertaires italiens estimant "progressive" la liquidation de la féodalité tibétaine par l'Armée rouge chinoise (à quoi il était possible - aussi absurdement - de mettre en parallèle le rôle moderniste de la conquête mussolinienne de l'Abyssinie). Ou encore les réticences de milieux anarchistes français lors de l'insurrection hongroise de 1956, dans laquelle ils voyaient la main de la propagande nord-américaine. Plus tard, la critique des méthodes dictatoriales castristes fut assimilée à la défense de l'impérialisme yankee. Et plus récemment, nous avons pu lire dans un journal anarcho-syndicaliste norvégien une défense inconditionnelle du M.P.L.A. d'Angola.
Ce sont exemples non de clairvoyance, mais de soumission aux artifices des propagandes, d'absence d'information directe ou de travail d'analyse. Exemples de l'inutilité des principes, si ceux-ci ne sont pas constamment nourris et vérifiés par l'effort de connaissance.
Par contre, là où nous trouvons des alliés naturels, là où surgissent des forces sur le plan social qui brisent le faux dilemme des blocs bons ou mauvais, nous ne sommes ni assez vigilants ni assez solidaires. Du moins en tant que mouvement, car fort heureusement, individus, noyaux et initiatives agiles n'ont jamais manqué. Il va sans dire que nos alliés naturels ne sont pas, dans les pays de l'Est, les services nord-américains, ni, en Amérique, les hommes du K.G.B. Mais réduire la compréhension des situations nationales et la complexité des rapports internationaux à ces cirques - comme il est aisé et courant de le faire - serait lamentable pour des militants, rétifs par principe aux sortilèges manipulés des mass media.
Si nos alliés naturels se trouvent parmi ceux d'en bas qui, sous des formes infiniment variées luttent ou se défendent dans les entreprises ou dans les quartiers populaires des villes ou des burgs, bulgares, cubains ou sud-africains, russes ou chinois, argentins ou nord-américains, ou à Hong Kong ou au Japon, nos ennemis non moins naturels sont les systèmes et les régimes qui les dominent, les exploitent ou les répriment. De même que nos préoccupations portent sur l'évaluation des résultats des mille formes de résistance aux conflits - non pas théoriques, mais réels - c'est-à-dire sur la façon de savoir, par exemple, si les dizaines de milliers de déserteurs ou de réfractaires nord-américains ont accéléré la liquidation de la guerre au Viet Nam. Ce qui ne nous place nullement à la traîne ni aux ordres du gouvernement d'Hanoi.
A regarder de près, nous ne sommes pas absents du combat, si nous menons le nôtre, tout en connaissant et en dévoilant celui des autres. Nous dirions même que notre combat dépend étroitement de la connaissance de celui des autres. Les chausse-trapes se préparent évidemment bien à l'avance. Pour ne pas y tomber, nos généralités préventives ne sont pas suffisantes. Il nous faut dès maintenant apprendre à détailler : antagonisme-collaboration entre Etats-Unis et URSS, eurocommunisme, libérations du type angolais, éthiopien ou cambodgien, démocratie à la japonaise, etc... Des détails qui nous renforcerons dans notre hors-jeu international et notre possible action internationaliste. . Paris, juin 1977
NOTES
[1] "Neither East nor West" - Freedom Press - Londres 1952.
[2] War Comentary Décembre 1939.
[3] "Marx, Engels et la politique internationale" - Gallimard - Paris 1975.
[4] Ibidem - p. 199.
[5] "Aux compagnons..." - Archives Bakounine II
[6] "Etatisme et Anarchie" - Archives Bakounine III.
[7] José Borras - "Politicas de los exiliados espanoles - 1944-1950" - Ruedo Iberico - Paris 1976.
[8] Ibidem - p. 23.
[9] "Eleuterio Quintanilla - Vida y Obra del Maestro" - Editores Mexicanos Reunidos - Mexico 1973.
Guerre & propagande
Les troupes américaines et anglaises, une fois de plus, ont attaqué l'Irak, déjà anéanti par la guerre de 1991, et par les années d'embargo et de bombardements réguliers qui l'ont suivie. La même histoire se répète, pour les mêmes raisons, contre un même ennemi fantoche.
Mais quel délice, ou quel dégoût, selon l'humeur, de voir la propagande française sur la guerre en Irak et d'entendre aujourd'hui sur toutes les ondes les arguments que l'on tentait d'opposer à la propagande étatique de 1991 ! Les américains ne seraient intéressés que par les réserves pétrolières du Golfe ? C'était déjà le cas en 1991. Ils auraient surgonflé la puissance de leur ennemi pour justifier leur attaque ? C'était aussi le cas en 1991. Leur argument simpliste de la lutte du bien contre le mal serait un prétexte pour justifier par avance l'annexion de l'Irak ? En 1991, le prétexte était la défense du Droit international.
En 1991 comme aujourd'hui, les deux tiers des réserves pétrolières mondiales gisent dans le Moyen-Orient et les trois-quarts des importations mondiales de pétrole vont vers les USA et l'Europe, premiers consommateurs d'or noir. Aucune tentative de contrôle du pétrole du Moyen-Orient par le Moyen-Orient lui-même n'a jamais pu aboutir. Chaque fois, les USA les ont directement ou indirectement brisées, par des assassinats, des coups d'Etat ou des mesures économiques punitives. La guerre du Golfe de 1991 leur a permis de s'installer durablement en Arabie Saoudite, qui refusait jusqu'alors cette intrusion. Mais l'Arabie Saoudite est aujourd'hui bien trop mouillée avec le terrorisme d'Oussama Ben Laden et d'Al-Quaida. Très loin du Moyen-Orient, le Venezuela est en réalité le premier fournisseur de pétrole brut des USA. Mais il vient d'être nationalisé par Chavez et, tout en entretenant la grève des classes moyennes pour déstabiliser le régime, les USA ont besoin d'une alternative. L'Irak, avec ses puits de pétrole, très affaibli, sans défense sérieuse possible, diabolisé depuis longtemps au travers de son dictateur, est une cible parfaite. Il n'est pas possible de s'entendre avec Saddam Hussein ? Qu'à cela ne tienne, cette fois-ci, on le remplacera. La guerre coûte cher ? Peu importe, elle rapporte encore plus. En 1991, elle aurait coûté 40 milliards de dollars, mais l'augmentation du prix du baril de brut (de 15$ jusqu'à 42$) aurait rapporté 60 milliards de dollars, le solde pour les firmes pétrolières et l'Etat américain étant largement positif. Et puis quand le pays est détruit, il faut bien le reconstruire. L'Etat US, qui s'occupe de tout, vient d'offrir le plus gros contrat de cette reconstruction à une boite américaine dont l'ancien PDG est l'actuel vice-président des Etats-Unis, Dick Cheney.
On n'a pas trop de mal à savoir tout ça aujourd'hui, et ce n'est plus du tout contestataire de manifester contre la guerre dans le Golfe. Au contraire, les médias nous y encourageraient ! Quelle pitrerie d'aller gueuler contre la guerre sous les fenêtres d'un pitre, qui se voit déjà prix Nobel de la paix ! Pour un peu, il viendrait serrer les louches des manifestants !
N'oublions pas que tout cela n'est qu'un spectacle pour opinions publiques. Gouvernements et médias jouaient leurs rôles quand ils marchaient dans la combine de Bush, faisant semblant de croire que l'Irak (pays exsangue) fricotait avec Al-Quaida, possédait des armes de destruction massive, et représentait un grave danger pour l'Occident. Ils jouaient leur rôle quand ils vomissaient de l'ONU toute la journée en réclamant encore et encore des expertises pour vérifier que l'Irak ne détenait plus les armes sophistiquées qu'ils lui avaient vendues, eux qui détiennent de quoi détruire plusieurs fois la planète. Et maintenant encore ils jouent, quand ils sont tous à dénoncer poliment cette guerre, en s'offusquant des futurs morts irakiens, jouant les blanches colombes face aux méchants faucons américains.
Tout cela n'est que le spectacle de ce début de printemps : Irak II, le retour. Qu'on se le dise et qu'on ne parle plus de rien d'autre. Ni des révoltes contre l'Etat français colonisateur en Afrique, ni du génocide des Tchétchènes par les "colombes" russes offusquées de la guerre en Irak.
Avant la guerre du Golfe en 1991, la majorité des français étaient contre ; mais après plusieurs semaines de propagande, la majorité des français étaient pour. Je m'étonnais hier encore que les britanniques soient majoritairement contre la guerre. Que font leurs médias, me demandais-je. Eh bien ça y est : ce matin, nouveau sondage, la majorité des britanniques est pour la guerre. Les anglais n'ont rien à nous envier, leurs médias sont aussi efficaces que les nôtres.
Pendant ce temps, Bush réclame une rallonge de 75 milliards de dollars au congrès américain pour poursuivre la guerre, et l'ONU va jouer son rôle en réclamant un peu plus d'un milliard de dollars pour "faire face" au désastre humanitaire qui s'annonce, aux probables épidémies de choléra dans la population déjà victime de mal-nutrition. Qu'importent ces populations que le sauveur états-unien vient soi-disant libérer, qu'importent les kurdes, qui vont se faire écraser par les turcs après avoir servi de première ligne au nord, qu'importent les chiites, qui se sont déjà fait massacrer après avoir été encouragés à se révolter par les "alliés" en 1991 !
L'Etat américain a visiblement un objectif plus ambitieux, celui de montrer au monde qu'il est désormais le seul flic de la planète. Après l'Afghanistan, l'Irak ; pétrole oblige. Le prochain est probablement la Corée du nord, peut-être l'Inde ou le Pakistan. Ceux qui sont les "colombes" d'aujourd'hui (faucons d'hier ou d'ailleurs) ne découvrent pas l'horreur de la guerre, ils tentent simplement de lui résister, de l'obliger à compter avec eux pour le partage du pouvoir et des richesses. En 1991, ils ont parié sur les profits à tirer d'être aux côtés du vainqueur et se sont fait avoir. Aujourd'hui, ils parient sur les profits à tirer à ne pas se mouiller dans cette guerre, sans plus d'état d'âme.
La liberté victime de la guerre
On nous avait annoncé la guerre de la Liberté contre la Dictature. Foutaise. Cette guerre est celle de l'obscurantisme. Nous voici replongés en plein Moyen-Âge. Les missiles ont remplacé les lances, les armures ont fait place aux tanks, la guerre est plus meurtrière que jamais, tue toujours plus de civils, mais, dans ce qui tient lieu de cervelle aux faucons de tous les temps, rien n'a changé. Ils en sont toujours au niveau zéro de la pensée. C'est ainsi que le 29 mars 2003 le Congrès des Etats Unis d'Amérique, dans un beau mouvement qui devrait rester éternellement inscrit dans le livre des records du crétinisme, a appelé les sujets de cette douce contrée à une journée de jeûne et de prière pour attirer la protection divine sur eux.
Triste temps où les fous de Dieu font pleuvoir un déluge de feux sur les "villes ennemies" et un déluge de sottises grotesques sur le reste de la planète ! Après avoir mis le feu aux poudres, les capitalistes occidentaux se dévoilent totalement : leur seule idéologie, c'est celle du sabre et du goupillon, du fusil et de la bible. Ceux qui ne périront pas sous les bombes souffriront jusque dans leur chair de cette idéologie criminelle et rétrograde. Car, pour faire oublier leurs turpitudes, les maîtres du monde ont fait le choix d'imposer partout leur morale ; enfin, ce qu'ils appellent "morale" et qui n'est qu'une suite ininterrompue d'hypocrisies. Au nom de leur "morale", ce sont les libertés les plus précieuses qui sont visées : la liberté de croire ou de ne pas croire, la liberté de pensée en général, la liberté d'expression, la liberté d'aller et de venir, de circuler sans être fouillé ou contrôlé, de sortir le jour et la nuit, la liberté de vivre sa vie intime comme on l'entend…
La première victime de la guerre, c'est la liberté. La mise à mort des libertés individuelles et collectives, qui s'affiche aujourd'hui au grand jour au nom de Dieu, a été longuement préparée. Toute la campagne "sécuritaire", que nous n'avons pas cessé de dénoncer dans nos colonnes, n'avait d'autre objectif que d'y préparer les esprits, en France comme dans le reste du monde occidental. La guerre vient permettre aux réactionnaires de tous bords de resserrer encore plus les boulons. Car la guerre n'est pas un phénomène isolé dans une société. Il existe une corrélation étroite entre la façon de concevoir, de créer, de mener les conflits et l'organisation générale d'un groupe humain. La mise en route de la machine guerrière influe directement sur toute l'organisation de la société. (Cf : "Les hommes aux mains sanglantes", C.S. 76, avril-mai 2002).
Napoléon, grand boucher devant l'histoire, le disait : une "nuit parisienne", avec des femmes ramenées au rang de bêtes à plaisir pour guerriers au repos, suffit à fournir les futurs bataillons. Les guerres modernes, tout autant que les anciennes, exigent qu'on produise des enfants, comme on produit des marchandises. Qu'ils deviennent kamikazes ou petits GI's, ce n'est qu'une question de lieu de naissance. L'ordre moral est le même partout : les femmes sont réduites à l'état de ventres, les hommes hétérosexuels sont classés comme des pions dans l'ordre hiérarchique, et les enfants, élevés au garde à vous, sont préparés dès leurs premiers jours au sacrifice suprême. La famille patriarcale est le pilier grâce auquel l'Etat renforce la militarisation des esprits avec la complicité des religieux de tous bords. Nouvel et spectaculaire exemple de cette collusion, Bush introduit de plus en plus souvent, avec un plaisir non dissimulé, le terme "sacrifice" dans ses discours.
"Sacrifice", "résignation", "peuple", "dieu", "souffrance", "prière", "nation", "guerre"… des mots qui sonnent comme une musique divine aux oreilles des colons israéliens qui massacrent impunément en Palestine, tout comme ils résonnent merveilleusement dans la tête des djiaddistes fanatisés. Entendons-les, les uns et les autres, appeler au massacre en se gargarisant de leur dieu. Dieu ? Les libertaires n'ont jamais persécuté personne et ne persécuteront jamais qui que ce soit, parce qu'il conçoit le monde avec un créateur, un grand architecte, un dieu, quelque soit le nom qu'il lui donne. Si nous réfutons cette opinion, si nous la critiquons, si nous la discutons, si nous ironisons dessus, nous savons que c'est une affaire de conscience personnelle qui n'appartient qu'à chacun. Mais ici, Dieu n'est pas un point de philosophie à discuter. Ici, Dieu est une bonne affaire pour les dirigeants. Tout le monde le sait : la guerre, c'est le crime organisé à l'échelle industrielle. Pour obliger les populations à y participer, l'état pour moderne qu'il se prétende, ne peut s'appuyer que sur l'irrationnel : pour accepter de mourir volontairement au service de l'état, il faut y croire. Dieu est là pour ça. C'est lui qui est chargé de faire "passer la pilule". Accepter l'intrusion dans la société de l'irrationalité est un pas essentiel vers l'acceptation de l'absurdité criminelle. C'est la porte ouverte à la soumission mortelle à ces chefs qui, sur cette pauvre planète, tiennent le haut du pavé : Arafat parkinsonnien, Sharon goutteux, cheik Yacine aveugle, Bush cirrhotique, Sadam psychopathe. Ils sont vieux, laids, malades et méchants. Et c'est dans leur méchanceté maladive qu'ils puisent la force de condamner des femmes et des hommes, jeunes, sains et beaux, à crever. Quelle obscénité ! "Sacrifice", "résignation", "peuple", "dieu", "souffrance", "prière", "nation", "guerre" … nous ne nous reconnaissons pas dans ces imprécations ! Nous, nous aspirons à débarrasser le monde de l'exploitation, et, s'il faut une litanie pour qu'on nous comprenne, alors, qu'elle soit "solidarité", "courage", "humanité", "raison","bonheur", "réflexion","collectivités autogérées", "paix".
Lettre de sans terres autonomes
Lettre de solidarité avec les camarades autonomes de l'assentamento "24 avril / Boqueirão".
A Acarape, région proche de Fortaleza-Ce, des familles qui vivent dans l'assentamento (occupation légalisée) "24 avril / Boqueirão" sont menacées d'expulsion parce qu'elles questionnent et ne se soumettent pas à toute la logique qui reproduit les mécanismes qui permettent au capitalisme de fonctionner.
Ces familles, que nous appellerons ici Groupe Autonome, rêvaient d'une vie meilleure. Mais ces rêves se sont transformés en cauchemar au contact de la réalité vécue dans presque tous les assentamentos du Brésil, que beaucoup méconnaissent.
Réalité pleine d'autoritarisme, de hiérarchie, de machisme, d'exploitation, de bureaucratie et autres maux propres à cette société que l'on retrouve à l'intérieur des mouvements sociaux paysans et urbains.
Dans l'assentamento "24 avril/Boqueirão", comme dans les autres, les patrons d'antan sont maintenant remplacés par une élite administrative qui reproduit la hiérarchie, l'autoritarisme et l'exercice du pouvoir qui empêchent la participation collective dans la prise de décisions. Même en y vivant et en y travaillant, les femmes et les jeunes sont écartés des discussions sur le futur de l'assentamento.
Dans l'assentamento "24 avril/Boqueirão", comme dans les autres, ceux qui y vivent doivent se soumettre à la gestion et au contrôle de l'INCRA (Etat), qui oblige les occupants à accepter des investissements (lire dettes) et à produire en accord avec la logique productiviste du marché pour payer la dette contractée avec la réforme agraire. Au Brésil, la possession de la terre n'est qu'une mauvaise farce.
En d'autres termes, les financements font des travailleurs les esclaves de leurs terres fatiguées afin de remplir les obligations qu'ils doivent à l'Etat, quels que soient les moyens utilisés. Ainsi, tous, sans exception, sont obligés de travailler dans les conditions les plus dures et les plus inhumaines. Les occupant(e) se tuent à coups de fatigue, sous des soleils brûlants, sans apport de calories, dans des journées de travail de 10 à 16 heures (souvent les dimanches et jours fériés). Même comme ça, les dettes ne font qu'augmenter. De plus, souvent orientés par des spécialistes de l'INCRA, ils brûlent les forêts, dévastent les terres et utilisent des produits agrotoxiques de manière excessive, ce qui finit par contaminer les eaux et les terres, laissant de sérieux dommages environnementaux aux générations futures.
D'une manière générale, ces financements font que les travailleurs perdent leur autonomie et sont totalement dépendants de l'Etat : dans la mesure où ils ne peuvent payer les dettes antérieures, ils souscrivent un nouvel emprunt, dans un cercle vicieux interminable.
Par conséquent, quand un de ces investissements prend du retard, les paysans désespèrent au point de vendre des matériaux parfois déjà utilisés et indispensables à la vie quotidienne (bois, pierres). Il est préoccupant que le bois soit coupé de manière désordonnée, sans respect des réserves, quand elles existent.
Il n'y a pas prise en considération des discordances. Le plus important est ce que veut la majorité, la minorité n'ayant qu'à acquiescer en silence.
Devant ces conditions, l'unique relation à la terre est l'exploitation. Le futur et le présent de la vie sur la planète sont une nouvelle fois mis en danger. C'est justement pour tenter de résister, dans la pratique, à la logique de marchandisation de la vie et proposer une nouvelle relation avec la terre et ceux qui y vivent,les camarades du Groupe Autonome, sont confrontés aux institutions du capital - INCRA, FETRAECE et compagnie - et avec la majorité des occupants des assentamentos.
Comme il est impossible de coexister pacifiquement avec des projets et des pratiques si différentes, dans un manque de respect envers ceux qui essaient de changer les choses, le Groupe Autonome veut diviser l'assentamento. C'est seulement comme ça qu'il sera possible d'assurer le droit à l'autonomie, où chaque personne pourra décider à l'intérieur du collectif le respect des limites.
En refusant de brûler les terres, de produire sans agrotoxiques, en donnant la priorité à une agriculture de subsistance agro-écologique, en exigeant que les décisions soient prises par tous ceux qui vivent dans l'assentamento (femmes, jeunes, exclus) de manière horizontale et démocratique, et surtout, en questionnant dans sa totalité la soumission de la vie à la logique de production mercantile, le Groupe Autonome est classifié comme perturbateur de "l'ordre".
Mais la criminalisation de cette perturbation de l'ordre est faite par ceux-là mêmes qui, partout, criminalisent ceux qui luttent contre l'ordre de la marchandise, du capital et de l'Etat, un ordre qui n'est pas et ne sera jamais la nôtre. Si les camarades sont criminalisés et menacés d'expulsion, ils le sont comme tous ceux qui partout veulent construire un ordre fondé sur l'autonomie et la solidarité, libres du marché et de l'Etat.
L'effort quotidien de construire des relations de décisions horizontales et anti-hiérarchiques réalisé par les camarades d'Acarape et leur lutte pour la défense d'une perspective anticapitaliste et antiproductiviste dans la relation de l'homme à la terre ont besoin d'urgence de notre solidarité.
Cette solidarité, en plus de la souscription solidaire à cette lettre et de sa divulgation ample et massive, nécessite aussi une aide financière pour couvrir les coûts de R$ 2.000 du processus d'expulsion en cours à l'INCRA.
Nous sollicitons de tous les camarades qu'ils divulguent et collaborent avec la lutte des camarades d'Acarape, nous aidant ainsi à tisser des relations solidaires avec leur lutte qui est, en définitive, aussi notre lutte. Une seule et même lutte contre le capitalisme, le marché et ses Etats.
Pour en savoir plus il existe un texte en français sur le site tranquille le chat : http://tranquillou.free.fr/mst/inde...
1 In Interrogations n°11, juillet 1977, revue internationale de recherche anarchiste.
2 Militant chilien qui collabora à la presse libertaire internationale.