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par Ramon PINO
LA JEUNESSE.
Michel Bakounine naît le 8 mai 1814 à Priamoukhino (gouvernement de Tver, en Russie) où il est élevé jusqu’à l’âge de quatorze ans. Ses parents font partie de ce que l’on appelle la « petite noblesse ». Son père ayant choisi pour lui la carrière militaire, il l’envoie donc à l’école d’artillerie de Saint-Pétersbourg. Après avoir mené quelque temps la vie insouciante de ces jeunes aristocrates, futurs officiers de l’empire, Bakounine se désintéresse bientôt de la caserne et fait tout pour s’y soustraire. Il y parviendra au bout de quelques années, ce qui lui vaudra quelques ennuis et une brouille avec son père.
Il décide brusquement de s’inscrire à l’université de Moscou où il se liera d’amitié avec Herzen et Ogarev, exilés pour plusieurs années de Saint-Pétersbourg. Bakounine est loin d’être assidu aux cours mais se passionne pour la philosophie allemande. Lorsque les vacances arrivent, il retourne à Priamoukhino, mais il n’a plus qu’un désir maintenant : quitter la Russie pour aller en Allemagne étudier la pensée de Hegel. C’est Herzen qui lui avance l’argent nécessaire pour réaliser ce projet.
Nous sommes en 1840 ; Bakounine a vingt-six ans. A Berlin, il fréquente les cours de Werder considéré comme le chef de l’école hégélienne. La pensée de Hegel lui fera parcourir le même cheminement que de nombreux jeunes philosophes à la même époque, parmi lesquels Marx et Engels. Cette voie le mènera à la révolution. Déjà il le pressent et décide de ne jamais retourner en Russie.
Il commence à fréquenter les milieux démocrates et, du même coup, la police secrète du tsar commence à s’intéresser à lui. De ce fait Bakounine préfère quitter l’Allemagne pour aller en Suisse, puis en Belgique, et enfin en France.
C’est à Paris qu’il rencontre Marx et Engels, car il fréquente les milieux allemands et polonais exilés. Surtout il va connaître Proudhon avec lequel il sympathise très vite. Il faut dire que nous sommes en 1845 et que la maison de Proudhon est alors considérée comme « La Mecque » des révolutionnaires du monde entier. Bakounine sera fortement impressionné par les théories proudhonniennes. Toutefois, dans les années qui suivent, la seule activité de Bakounine semble être de discuter avec tous les démocrates résidant à Paris. A la demande de jeunes polonais, il prononce un discours pour la commémoration de la révolution polonaise. Ce sera sa première expérience d’orateur. L’ambassade russe réagit et, à sa demande, le gouvernement français expulse Bakounine qui se réfugie en Belgique.
LA BARRICADE
Nous sommes au début de l’année 1848. En février, la révolution éclate à Paris. Bakounine y retourne aussitôt et se plonge dans cette ambiance exaltée, assistant aux réunions, défilant dans la rue, participant aux barricades. Il écrit un article pour le journal « la Réforme » dans lequel il déclare que « la révolution périra si la royauté ne disparaît pas complètement de la surface de l’Europe ». Pour lui toutes les nations doivent se débarrasser de leurs tyrans, et il pense surtout - évidemment - aux nations slaves. Il part pour la Pologne où une insurrection vient d’éclater ; celle-ci est écrasée alors qu’il se trouve encore en Allemagne. Il interrompt donc son voyage et se rend à Prague où doit se tenir un congrès des Slaves autrichiens. De nombreux incidents éclatent dans la ville pendant la tenue du congrès et dégénèrent en émeutes qui dureront cinq jours au terme desquels les congressistes seront obligés de quitter l’Autriche.
Bakounine se rend alors à Dresde où la révolution éclate aussi. Bien entendu il en sera un des principaux participants. Mais là aussi la réaction triomphe et il est fait prisonnier. Son procès traîne en longueur et c’est en janvier 1850 qu’il est condamné à mort. Cette peine est ensuite commuée en travaux forcés à perpétuité. L’Autriche et la Russie demandent son extradition. La Saxe finit par le livrer à l’Autriche qui elle-même le livrera à la Russie en mai 1851.
LA PRISON
Bakounine revient donc dans ce pays qu’il ne voulait plus revoir. Il est enfermé dans la forteresse Pierre-et-Paul à Saint-Pétersbourg. C’est là qu’il rédigera sa fameuse « Confession » au tsar, document ambigu où Bakounine (qui en principe doit finir ses jours sans jamais ressortir de son cachot) emploie un ton tantôt déférent envers le tsar, en semblant « regretter » son attitude passée, et tantôt enthousiaste lorsqu’il décrit les journées d’émeutes auxquelles il a participé. Toutefois, il arrive à faire parvenir clandestinement à sa sœur Tatiana une lettre dans laquelle l’équivoque est levée ; il ne désire qu’une chose : recouvrer la liberté pour reprendre l’action révolutionnaire.
Au bout de huit ans, Bakounine voit sa peine commuée en déportation à perpétuité en Sibérie. Il y restera jusqu’en 1861, puis tentera et réussira une évasion en passant par le Japon, San Francisco, New York et Londres où il arrivera à la fin de l’année 1861.
LE RETOUR
Bakounine reprend aussitôt contact avec les révolutionnaires qu’il avait connus avant 1848. Une nouvelle insurrection éclate en Pologne. Une expédition est montée pour transporter des volontaires par bateau en territoire russe. Bakounine y participe mais après de multiples péripéties rocambolesques et deux voyages en Suède il abandonne définitivement ce projet de libération des peuples slaves.
L’ANARCHIE
Bakounine s’installe en Italie. Auparavant il se rend à Londres, où il a une entrevue avec Marx, et à Paris, où il revoit Proudhon, peu avant la mort de ce dernier. C’est toujours par les théories de Proudhon qu’il se sent attiré. La période du démocrate bourgeois va bientôt prendre fin. Après avoir rompu avec l’aristocratie il va rompre avec ses dernières attaches bourgeoises. Il est devenu antiautoritaire ou, comme dirait Proudhon, anarchiste. Il fonde une société secrète : la Fraternité internationale. Il adhère même à la franc-maçonnerie, organisation traditionnellement bourgeoise et dont il n’a que faire si ce n’est de recruter quelques jeunes démocrates attirés par la révolution.
Il rédige le « Catéchisme révolutionnaire » (à ne pas confondre avec le « Catéchisme du révolutionnaire », de Netchaïev), qui est en quelque sorte le programme de la Fraternité internationale. Ce texte est une véritable profession de foi anarchiste (le socialisme, le fédéralisme, l’athéisme, l’antimilitarisme, etc., y sont prêchés).
En 1867, Bakounine se rend au congrès de la Ligue de la paix et de la liberté qui a lieu à Genève. Il est nommé membre du comité chargé d’élaborer un programme. C’est à cette occasion qu’il rédigera « Fédéralisme, Socialisme, Antithéologisme ». C’est également pour lui l’occasion de rencontrer James Guillaume qui deviendra en quelque sorte son fils spirituel. Bakounine fonde alors l’Alliance internationale de la démocratie socialiste, organisation publique calquée sur la Fraternité internationale qui, elle, reste secrète. Les buts que se fixe l’Alliance sont : l’abolition des classes, l’égalité économique et sociale, etc.
Nous sommes en 1868 et c’est l’année où Bakounine adhère individuellement à l’A.I.T. (Association internationale des travailleurs). Puis il demande l’adhésion de l’Alliance qui est d’abord refusée puis acceptée non pas en tant qu’Alliance mais en tant que sections locales de l’Alliance.
Au sein de l’A.I.T., Bakounine et Marx vont très vite s’affronter ; il ne s’agit pas d’une simple querelle de personnes mais bien d’une lutte de deux tendances qui ont des conceptions différentes de l’organisation révolutionnaire. Le congrès de Bâle (1869) renforce les positions des partisans de Bakounine, mais la lutte entre les deux fractions va continuer sans répit et par tous les moyens (lettres et circulaires confidentielles, calomnies, injures, etc.).
En France les armées napoléoniennes sont vaincues par celles de Bismarck. La république est proclamée. Bakounine se rend à Lyon et avec l’aide de révolutionnaires français s’empare de l’hôtel de ville pour « décréter » la suppression de l’État. Mais les masses ne sont pas encore préparées et ne suivent pas cette poignée d’internationalistes. Une fois de plus Bakounine doit s’enfuir. Il se cache un mois à Marseille, passe en Italie et enfin va retrouver ses amis jurassiens. Dans le même temps a lieu la Commune de Paris. Si celle-ci succombe sous les coups des versaillais, Bakounine peut voir nombre de ses théories reprises instinctivement par le prolétariat parisien. C’est durant toute cette période (Communes de Lyon et de Paris) qu’il va rédiger « L’Empire knouto-germanique ».
Nous le retrouvons de nouveau en Italie où le démocrate Mazzini a publié une critique sévère de la Commune et des communards parisiens. Bakounine y répond par une série d’articles dans la presse italienne. La polémique tourne à l’avantage de Bakounine et l’influence de l’Internationale grandit en Italie. Parallèlement, l’influence des antiautoritaires grandit au sein de l’A.I.T. Marx va tout tenter pour enrayer cette progression. A la suite de nombreuses manœuvres (choix du lieu, mode de représentativité des délégués, etc.), le dénouement a lieu au congrès de La Haye en 1872. Bakounine (qui ne peut s’y rendre) et James Guillaume sont exclus de l’A.I.T. dont le siège est transféré à New York. Il ne faudra pas plus de deux ans pour que ce qui reste de cette organisation (c’est-à-dire les partisans de Marx) disparaisse totalement.
Bakounine restera jusqu’à la fin 1873 dans la Fédération jurassienne, puis en démissionnera, car la vieillesse réduit de plus en plus ses activités. Il participe encore en 1874 à une tentative de soulèvement populaire à Bologne. En fait, il ne croit pas à une issue favorable, mais il espère y mourir comme il l’a toujours désiré : sur une barricade. Mais le projet est découvert par la police et la tentative avorte. C’est encore une fois la fuite devant les forces réactionnaires.
Bakounine passera les deux dernières années de sa vie retiré de la vie politique résidant tantôt en Italie, tantôt en Suisse.
C’est à Berne qu’il meurt le 1er juillet 1876.
R. P.